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Conseil constitutionnel, décision n° 2014-412 QPC du 19 septembre 2014 (Transfusion sanguine – Données personnelles – Consentement préalable – Constitutionnalité)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 juin 2014 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. D portant sur les  articles 226-19 du code pénal et L. 1223-3 du code de la santé publique. Selon le requérant, les dispositions combinées de ces deux articles méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines ainsi que la prévisibilité de la loi en faisant exception à l’obligation de recueillir le consentement exprès d’une personne désireuse de donner son sang pour mettre ou conserver en mémoire informatisée des données à caractère personnel relatives à la santé et l’orientation sexuelle de cette dernière.

Le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions contestées conformes à la constitution. Il a notamment jugé qu’en adoptant l’article 226-19, le législateur a défini de manière claire et précise les délits d’enregistrement ou de conservation en mémoire informatisée des données à caractère personnel. En prévoyant des exceptions dans les « cas prévus par la loi » à l’incrimination qu’elles définissent, les dispositions de cet article ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits et des peines.

 

DECISION

Décision n° 2014-412 QPC du 19 septembre 2014
 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 juin 2014 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 3450 du 17 juin 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. X., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 226-19 du code pénal et L. 1223-3 du code de la santé publique.

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;

Vu la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2004-499 DC du 29 juillet 2004 ;

Vu la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, notamment son article 116 ;

Vu l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine ;

Vu la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées les 15 juillet, 30 juillet et 27 août 2014 ;

Vu les observations produites pour l'Etablissement français du sang et M. Y., parties en défense, par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées les 15 juillet, 30 juillet et 2 septembre 2014 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 15 juillet 2014 ;

Vu la lettre du 31 juillet 2014 par laquelle le Conseil constitutionnel a invité les parties à produire des observations sur la question de savoir si l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine, dont sont issues les dispositions de l'article L. 1223-3 du code de la santé publique, ont été ratifiées ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Patrice Spinosi pour le requérant, Me Claire Waquet et Me Pierre-Yves Fouré, avocat au barreau de Paris, pour les parties en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 9 septembre 2014 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 226-19 du code pénal, dans sa rédaction résultant de l'article 14 de la loi du 6 août 2004 susvisée : « Le fait, hors les cas prévus par la loi, de mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans le consentement exprès de l'intéressé, des données à caractère personnel qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou les appartenances syndicales des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à l'orientation sexuelle de celles-ci, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende » ; Est puni des mêmes peines le fait, hors les cas prévus par la loi, de mettre ou de conserver en mémoire informatisée des données à caractère personnel concernant des infractions, des condamnations ou des mesures de sûreté » ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1223-3 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi du 9 août 2004 susvisée : « Les établissements de transfusion sanguine, le centre de transfusion sanguine des armées et les établissements de santé autorisés à conserver et distribuer des produits sanguins labiles doivent se doter de bonnes pratiques dont les principes sont définis par un règlement établi par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé après l'avis de l'Etablissement français du sang, homologué par arrêté du ministre chargé de la santé et du ministre de la défense et publié au Journal officiel de la République française » ;

3. Considérant que, dans sa rédaction résultant du paragraphe III de l'article 4 de l'ordonnance du 1er septembre 2005 susvisée, ce même article L. 1223-3 dispose : « Les établissements de transfusion sanguine, le centre de transfusion sanguine des armées et les établissements de santé autorisés à conserver et distribuer ou délivrer des produits sanguins labiles doivent se doter de bonnes pratiques dont les principes sont définis par décision de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé après avis de l'Etablissement français du sang et du centre de transfusion sanguine des armées » ;

4. Considérant que, selon le requérant, en faisant exception à l'obligation de recueillir le consentement exprès d'une personne désireuse de donner son sang pour mettre ou conserver en mémoire informatisée des données à caractère personnel relatives à la santé et l'orientation sexuelle de cette dernière, les dispositions combinées des articles 226-19 du code pénal et L. 1223-3 du code de la santé publique méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, ainsi que la « prévisibilité de la loi » ; qu'en outre, en renvoyant à des dispositions législatives indéfinies et indéterminées, et notamment à celles de l'article L. 1223-3 du code de la santé publique, les exceptions à l'exigence de consentement prévue par l'article 226-19 du code pénal, le législateur aurait méconnu le « principe constitutionnel de consentement à la captation et à la conservation des données personnelles » ;

Sur les dispositions soumises à l'examen du Conseil constitutionnel :

5. Considérant, en premier lieu, que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 226-19 du code pénal ;

6. Considérant, en second lieu, qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, de remettre en cause la décision par laquelle le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation a jugé, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée, qu'une disposition était ou non applicable au litige ou à la procédure ou constituait ou non le fondement des poursuites ; qu'en l'absence de précision, dans la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, sur la version des dispositions renvoyée au Conseil constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité doit être regardée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée ; qu'au regard des faits à l'origine du litige, l'article L. 1223-3 du code de la santé publique doit être regardé comme ayant été renvoyé au Conseil constitutionnel tant dans sa version antérieure à l'ordonnance du 1er septembre 2005 susvisée que dans sa version postérieure à cette ordonnance ;

7. Considérant, toutefois, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi dans les conditions prévues par cet article que de dispositions de nature législative ;

8. Considérant que ni la loi du 29 décembre 2011 susvisée ni aucune autre disposition législative n'a procédé à la ratification de l'ordonnance du 1er septembre 2005 ; que les dispositions de l'article L. 1223-3 du code de la santé publique, dans leur rédaction issue du paragraphe III de l'article 4 de l'ordonnance du 1er septembre 2005, ne revêtent pas le caractère de dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution ; qu'il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel d'en connaître ; que, par suite, le Conseil constitutionnel est seulement saisi de l'article L. 1223-3 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi du 9 août 2004 ;

Sur la constitutionnalité des dispositions contestées :

9. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ;

10. Considérant que le premier alinéa de l'article 226-19 du code pénal punit de cinq ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende le fait, « hors les cas prévus par la loi », de mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans le consentement exprès de l'intéressé, des données à caractère personnel qui font apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou les appartenances syndicales des personnes, « ou qui sont relatives à la santé ou à l'orientation sexuelle de celles-ci » ;

11. Considérant que les dispositions de l'article L. 1223-3 du code de la santé publique n'ont pas pour objet de définir une exception à cette incrimination ; que de telles exceptions sont en particulier définies par l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée ; que le premier paragraphe de cet article interdit de collecter les données à caractère personnel qui font apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, « ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci » ; que son second paragraphe énumère les exceptions à ce principe et, notamment, « les traitements nécessaires aux fins de la médecine préventive, des diagnostics médicaux, de l'administration de soins ou de traitements, ou de la gestion de services de santé » ; que, dans sa décision du 29 juillet 2004 susvisée, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 dans sa rédaction issue de l'article 2 de la loi du 6 août 2004 susvisée ;

12. Considérant, d'une part, qu'en adoptant l'article 226-19, le législateur a défini de manière claire et précise le délit d'enregistrement ou de conservation en mémoire informatisée des données à caractère personnel ; qu'en prévoyant des exceptions dans les « cas prévus par la loi » à l'incrimination qu'elles définissent, les dispositions de cet article ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits et des peines ;

13. Considérant qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de porter une appréciation sur les mesures réglementaires prises pour l'application des dispositions de l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions du premier alinéa de l'article 226-19 du code pénal ne portent aucune atteinte au principe de légalité des délits et des peines ;

15. Considérant, d'autre part, que les dispositions de l'article L. 1223-3 du code de la santé publique, qui se bornent à imposer aux établissements de transfusion sanguine de « se doter de bonnes pratiques dont les principes sont définis par un règlement établi par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé après l'avis de l'Etablissement français du sang, homologué par arrêté du ministre chargé de la santé et du ministre de la défense », ne méconnaissent aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ;

16. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,

Décide :

Article 1

Il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de statuer sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 1223-3 du code de la santé publique dans sa rédaction issue du paragraphe III de l'article 4 de l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine.

 

Article 2

Sont conformes à la Constitution :

- le premier alinéa de l'article 226-19 du code pénal, dans sa rédaction issue de l'article 14 de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
- l'article L. 1223-3 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

 

Article 3

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 septembre 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, président, M. Jacques BARROT, Mme Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.

Rendu public le 19 septembre 2014.

Le président,

Jean-Louis Debré