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Conseil d'Etat, 10 décembre 2001, Assistance Publique - Hôpitaux de paris (contamination par transfusion sanguine au cours du dernier trimestre de 1984)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 7 janvier 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS (AP-HP), représentée par son directeur général en exercice, dont les bureaux sont situés 3, avenue Victoria à Paris (75004) ; l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule l'arrêt du 12 novembre 1999 de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il l'a, à la demande des consorts X., et après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 4 juillet 1997, condamnée à verser aux consorts X. une somme de 1 740 000 F assortie des intérêts et de la capitalisation de ceux-ci, en réparation du préjudice qu'ils ont subi du fait de la contamination de leur père par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ;
2°) rejette les demandes des consorts X. ;
3°) condamne ceux-ci à lui verser solidairement la somme de 15 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de déontologie médicale ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Sanson, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Foussard, avocat de l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS et de Me Blanc, avocat de M. X. et autres,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par les consorts X.. :

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

Considérant que l'arrêt attaqué énonce les motifs de droit et de fait pour lesquels la responsabilité pour faute de l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS est engagée à raison de la prescription à M. X., qui souffrait d'hémophilie modérée, de produits sanguins concentrés non chauffés par les médecins de l'hôpital Cochin à Paris à l'occasion de son hospitalisation pour une intervention chirurgicale ; que, par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation doit être écarté ;

Sur les autres moyens de la requête :

Considérant que le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers ; qu'il suit de là que la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que le droit à réparation des préjudices tant matériels que personnels subis par M. X. est entré dans le patrimoine de ses héritiers alors même que M. X. n'avait, avant son décès, introduit aucune action tendant à la réparation de ces préjudices ;

Considérant qu'en jugeant qu'il résultait de l'instruction et qu'il n'était pas contesté que M. X. avait été contaminé par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) lors de plusieurs transfusions de produits sanguins concentrés pratiquées entre le 6 et le 11 novembre 1984 à l'hôpital Cochin, la Cour s'est livrée, sans les dénaturer, à une appréciation souveraine des faits et n'a pas entaché son arrêt d'une erreur de droit ;

Considérant qu'en jugeant que les centres de traitement des hémophiles de l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS connaissaient, à la date à laquelle des produits sanguins ont été administrés à M. X., l'existence d'un risque de contamination, pour les personnes atteintes d'hémophilie, par le virus du VIH par voie de transfusion sanguine, la Cour s'est livrée à une appréciation souveraine des faits qui, en l'absence de dénaturation, ne peut être discutée devant le juge de cassation ; qu'elle a également estimé, par une appréciation souveraine des faits, que l'opération que devait subir M. X. ne présentait pas de caractère d'urgence et qu'en outre, eu égard à l'hémophilie modérée dont il souffrait, des traitements de substitution à la prescription de produits sanguins concentrés étaient possibles ; qu'elle a pu déduire de ces constatations de fait, et sans qu'il ait lieu de rechercher la responsabilité personnelle des médecins prescripteurs sur le fondement de manquements aux dispositions du code de déontologie médicale qu'alors même que les risques liés aux transfusions de produits fractionnés et concentrés n'étaient pas encore connus dans toute leur ampleur et que la date des transfusions prescrites à M. X. entre le 6 et le 11 novembre 1984 est légèrement antérieure à la date du 22 novembre 1984 à partir de laquelle la responsabilité de l'Etat est engagée faute d'avoir interdit la délivrance de ces produits, le service médical hospitalier a fait courir à M. X. un risque injustifié engageant la responsabilité pour faute de l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS ;

Considérant que la Cour n'a pas entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation ni d'une erreur de droit en allouant aux consorts X. une indemnité d'un montant de deux millions de francs en réparation des troubles de toute nature subis par M. X. et en déduisant de cette somme le montant des indemnités reçues par ailleurs en réparation du même préjudice ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 12 novembre 1999 ;

Sur les conclusions de l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS et des consorts X. tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les consorts X., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, soient condamnés à payer à l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS la somme que cet établissement public demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Considérant, d'autre part, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à payer aux consorts G. la somme de 15 000 F que ceux-ci demandent au titre des frais de même nature qu'ils ont exposés ;

DECIDE :
Article 1er : La requête de l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS est rejetée.
Article 2 : L'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS versera conjointement à MM. X., X1. et X2. une somme de 15 000 F au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS, à MM. X., X1. et X2., à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et au ministre de l'emploi et de la solidarité.