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Conseil d'État, 16 avril 2008, n° 286585 (PUPH - suspension - caractère temporaire de la sanction)

Le Conseil d’État rappelle, dans un considérant de principe, que la sanction de suspension des fonctions, prévue par l'article 19 du décret du 24 février 1984, doit par sa nature même avoir un caractère temporaire. Ainsi, lorsque la juridiction disciplinaire a omis d'assortir sa décision de suspension d'un délai, il appartient aux ministres chargés de la santé et de l'enseignement supérieur, soit de leur propre initiative, soit à la demande du praticien sanctionné, de saisir conjointement la juridiction disciplinaire pour qu'elle fixe un délai ou qu'elle se prononce sur la levée de la suspension.

Conseil d'État
5ème et 4ème sous-sections réunies

N° 286585   

Mentionné dans les tables du recueil Lebon

M. Stirn, président
M. Olivier Rousselle, rapporteur


Lecture du mercredi 16 avril 2008

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu l'ordonnance du 27 octobre 2005, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 2 novembre 2005, par laquelle le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Rennes a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la demande présentée par M. Bernard A ;

Vu la demande enregistrée au greffe du tribunal administratif de Rennes le 22 septembre 2006 et le mémoire complémentaire enregistré le 23 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par M. Bernard A demeurant ... ;

M. A demande :

1°) l'annulation des décisions implicites par lesquelles le ministre de la santé et des solidarités et le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ont rejeté ses demandes en date du 25 mai 2005 tendant à ce que sa situation administrative soit réexaminée à la suite de la suspension prononcée à son encontre par une décision du 6 avril 1998 de la juridiction disciplinaire instituée par l'article L. 952-21 du code de la santé publique ;

2°) à ce qu'il soit enjoint aux ministres concernés de procéder à un réexamen de sa demande dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ;

3°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'éducation ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le décret n° 84-135 du 24 février 1984 ;

Vu le décret n° 86-1053 du 18 septembre 1986 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Rousselle, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 952-21 du code de l'éducation : « Les membres du personnel enseignant et hospitalier des centres hospitaliers et universitaires (…) exercent conjointement les fonctions universitaire et hospitalière. Ils consacrent à leurs fonctions hospitalières, à l'enseignement et à la recherche la totalité de leur activité professionnelle…. » ;
qu'aux termes de l'article L. 952-22 du même code : « Les membres du personnel enseignant et hospitalier sont soumis, pour leur activité hospitalière comme pour leur activité universitaire, à une juridiction disciplinaire unique instituée sur le plan national…. » ;
qu'aux termes de l'article 1er du décret du 18 septembre 1986, fixant les règles de procédure devant la juridiction disciplinaire instituée par l'article L. 952-21 du code de l'éducation : « La juridiction disciplinaire instituée par l'article L. 952-22 du code de l'éducation est saisie conjointement par le ministre chargé de l'enseignement supérieur et le ministre chargé de la santé » ;
qu'aux termes enfin de l'article 19 du décret du 24 février 1984 portant statut des personnels enseignants hospitaliers des centres hospitaliers universitaires : « Les peines disciplinaires applicables aux personnels titulaires sont : 1° L'avertissement ; 2° Le blâme ; 3° La réduction d'ancienneté d'échelon ; 4° L'abaissement d'échelon ; 5° La suspension avec privation totale ou partielle de la rémunération ; 6° La mise à la retraite d'office ; 7° La révocation avec ou sans suspension des droits à pension. » ;

Considérant que la juridiction disciplinaire instituée par l'article L. 952-22 du code de l'éducation précité, saisie conjointement le 12 décembre 1997 par les ministres chargés de la santé et de l'enseignement supérieur a prononcé le 6 avril 1998, à l'encontre de M. A, professeur des universités-praticien hospitalier de chirurgie infantile, chef de service de chirurgie pédiatrique, une sanction disciplinaire de suspension de ses fonctions, avec privation de la moitié de sa rémunération ;
que cette décision, qui ne fixait pas de durée à la suspension prononcée, lui a été notifiée le 15 janvier 1999 ; que par arrêté du 26 octobre 1999 du ministre de l'enseignement supérieur, M. A a été réintégré à l'université de Brest dans ses fonctions universitaires à compter du 1er septembre 1999 ;
que l'intéressé a demandé, le 25 mai 2005, au ministre chargé de la santé et au ministre chargé de l'enseignement supérieur de mettre un terme à la mesure de suspension prise à son encontre et de le réintégrer dans ses fonctions hospitalières ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur :

Considérant que, la circonstance que M. A ne se soit pas pourvu en cassation contre la décision du 6 avril 1998 de la juridiction disciplinaire nationale ne fait pas obstacle à ce que qu'il demande aux ministres compétents de réexaminer sa situation administrative et défère au juge de l'excès de pouvoir les décisions implicites de rejet opposées à sa demande ; que par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'enseignement supérieur doit être écartée ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant que la sanction de suspension des fonctions prévue par l'article 19 du décret du 24 février 1984 doit par sa nature même avoir un caractère temporaire ; que lorsque la juridiction disciplinaire a omis d'assortir sa décision de suspension d'un délai, il appartient en conséquence aux ministres chargés de la santé et de l'enseignement supérieur, soit de leur propre initiative, soit à la demande du praticien sanctionné, de saisir conjointement la juridiction disciplinaire pour qu'elle fixe un délai ou qu'elle se prononce sur la levée de la suspension ;
que par suite M. A est fondé à demander l'annulation des décisions implicites de rejet des ministres chargés de la santé et de l'enseignement supérieur ayant refusé de faire droit à sa demande tendant à ce que sa situation administrative soit réexaminée à la suite de la suspension dont il a été l'objet ;

Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit fait application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution » ;
que l'annulation des décisions implicites de rejet des ministres chargés de la santé et de l'enseignement supérieur implique nécessairement que ceux-ci saisissent la juridiction disciplinaire compétente afin qu'elle fixe le délai de la suspension qu'elle a prononcée ou décide la levée de la suspension de M. A dans ses fonctions hospitalo-universitaires, puis qu'ils en tirent les conséquences sur sa situation administrative ;
qu'il appartient aux ministres de procéder à cette saisine dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision ;

Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit fait application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Les décisions implicites de rejet des ministres de la santé, de la jeunesse et des sports et de l'enseignement supérieur et de la recherche des demandes de M. A du 25 mai 2005 tendant au réexamen de sa situation administrative à la suite de la suspension dont il a fait l'objet par la décision du 6 avril 1998 de la juridiction disciplinaire instituée par l'article L. 952-21 du code de la santé publique sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative et au ministre de la recherche et de l'enseignement supérieur de saisir la juridiction disciplinaire dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : L'Etat versera à M. A la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Bernard A, à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et à la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.