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Conseil d’Etat, 16 mars 2011, n°320734 (Centre hospitalier régional universitaire – Preuve Etablissement français du sang – Hépatite C )

En l’espèce, un patient a été hospitalisé en 1976 au sein d’un CHRU où il a reçu plusieurs transfusions sanguines. En 1999, alors qu’une hépatite C lui est diagnostiquée, le patient saisit le tribunal administratif afin de rechercher la responsabilité du CHRU auquel l’EFS se substitue en cours d’instance. Le tribunal reconnaît que les transfusions au sein du CHRU sont à l’origine de la contamination par l’hépatite C. La cour administrative d’appel annule ce jugement, au motif que le requérant avait été exposé à d’autres sources de contamination. Toutefois, le Conseil d’Etat considère « que le juge ne pouvait (…) se fonder, pour rejeter la demande d’indemnité dont il était saisi, sur une hypothèse qui, à la supposer exacte, aurait engagé la responsabilité de la même collectivité à laquelle le requérant imputait l’origine de son dommage ». Dès lors, le Conseil d’Etat condamne l’EFS à indemniser le requérant du préjudice subi dans la mesure où celui-ci n’apporte pas la preuve contraire qui aurait permis de ne pas retenir l’engagement de sa responsabilité.

Conseil d'État
5ème et 4ème sous-sections réunies
N° 320734   


Mentionné dans les tables du recueil Lebon


M. Vigouroux, président
M. Xavier de Lesquen, rapporteur
Mme Lieber Sophie-Justine, rapporteur public
SCP VINCENT, OHL ; SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP ROGER, SEVAUX, avocats


Lecture du mercredi 16 mars 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi, enregistré le 16 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. Francisco A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07LY00368 du 17 juillet 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a, d'une part, annulé le jugement n° 0501120 du 5 décembre 2006 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ayant limité à 3 000 euros le montant de la condamnation de l'Etablissement français du sang (EFS) du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, et d'autre part, rejeté l'ensemble de sa demande de première instance et mis à sa charge les frais de l'expertise ordonnée en référé ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête d'appel et de rejeter l'appel incident de l'Etablissement français du sang ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 février 2011, présentée pour l'ONIAM ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

Vu les décrets n° 2010-251 et n° 2010-252 du 11 mars 2010 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Vincent, Ohl, avocat de M. A, de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Etablissement français du sang et de la SCP Roger, Sevaux, avocat de l'Office national de l'indemnisation des accidents médicaux,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Vincent, Ohl, avocat de M. A, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Etablissement français du sang, et à la SCP Roger, Sevaux, avocat de l'Office national de l'indemnisation des accidents médicaux ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A a été hospitalisé du 10 au 13 février 1976 à la clinique de la Plaine à Clermont-Ferrand puis du 14 février au 3 mars 1976 au Centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Clermont-Ferrand où il a subi des interventions chirurgicales avec anesthésie générale, plusieurs transfusions sanguines et des séances de dialyse ; qu'imputant aux transfusions sanguines sa contamination par le virus de l'hépatite C, diagnostiquée en 1999, il a recherché la responsabilité du CHRU de Clermont-Ferrand auquel l'Etablissement français du sang (EFS) s'est substitué en cours d'instance ; que par jugement en date du 5 décembre 2006, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a jugé que les transfusions étaient à l'origine de la contamination et a condamné l'EFS à verser au requérant la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice qu'il avait subi de ce fait ; que par l'arrêt attaqué du 17 juillet 2008, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement et rejeté la demande indemnitaire de M. A ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, applicable au présent litige : En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utile. Le doute profite au demandeur. / Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ; qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient au demandeur, non pas seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination par le virus de l'hépatite C provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; que ce n'est qu'au stade où le juge, au vu des éléments produits successivement par les parties, forme sa conviction que le doute profite au demandeur ;

Considérant que pour juger que M. A ne pouvait prétendre à réparation, la cour s'est fondée sur la circonstance que M. A a été exposé à d'autres sources de contamination que les transfusions de produits élaborés par le centre de transfusion sanguine (CTS) de Clermont-Ferrand, relevant du CHRU de Clermont-Ferrand ; que toutefois, il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que ces autres sources de contamination en cause, et tout particulièrement les séances de dialyses, correspondaient à des actes pratiqués au CHRU de Clermont-Ferrand ; qu'ainsi, à supposer qu'elle se soit produite à l'occasion d'un de ces actes, la contamination de l'intéressé aurait en tout état de cause engagé la responsabilité de cet établissement public, l'introduction d'un germe pathogène dans le corps du patient à l'occasion d'un acte invasif révélant une faute dans l'organisation du service ; qu'il en résulte que la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; que le juge ne pouvait en effet se fonder, pour rejeter la demande d'indemnité dont il était saisi, sur une hypothèse qui, à la supposer exacte, aurait engagé la responsabilité de la même collectivité à laquelle le requérant imputait l'origine de son dommage ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond dans les limites de la cassation prononcée ;

Sur la responsabilité :

Considérant que le jugement attaqué relève que M. A a reçu, lors de ses hospitalisations en février et mars 1976 dix-sept produits sanguins élaborés par le CTS de Clermont-Ferrand ; qu'eu égard au caractère massif des transfusions opérées de produits dont l'innocuité n'a pu être établie que pour deux d'entre eux, et à une époque reconnue comme ayant été à haut risque, le tribunal administratif a pu estimer à bon droit que M. A devait être regardé comme apportant des éléments permettant de présumer que sa contamination par le virus de l'hépatite C a pour origine les transfusions réalisées en 1976 ; que si l'EFS fait valoir qu'il ne peut être exclu que la contamination par le virus de l'hépatite C ait pu également se produire à l'occasion des interventions chirurgicales et des séances de dialyse subies par l'intéressé lors de son séjour au CHRU de Clermont-Ferrand, il n'identifie, dans l'histoire médicale de M. A, aucun signe clinique d'une infection nosocomiale et n'établit pas avec suffisamment de précision que sa contamination serait la conséquence d'un de ces actes ; qu'ainsi l'Etablissement français du sang n'apporte pas la preuve contraire qui lui incombe ; qu'il n'est par suite pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a retenu sa responsabilité dans la contamination de M. A ;

Sur les droits à réparation de M. A :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que M. A est porteur du virus de l'hépatite C mais qu'il n'a subi aucune incapacité temporaire de travail en relation avec sa contamination, n'a fait l'objet d'aucun soin à raison de sa positivité à ce virus et ne souffre d'aucune incapacité permanente partielle ; que le préjudice d'agrément qu'il invoque n'est pas établi par les pièces du dossier ; qu'en revanche, sa contamination entraîne des souffrances physiques, évaluées par l'expert à 1 sur une échelle allant jusqu'à 7, ainsi que des troubles dans les conditions d'existence induits par la découverte de sa contamination par le virus de l'hépatite C ; qu'il sera fait une juste appréciation de ses préjudices en portant la somme de 3 000 euros que le tribunal administratif lui a allouée à ces titres à la somme de 9 000 euros qu'il demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande l'Etablissement français du sang en appel au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par M. A en appel et devant le Conseil d'Etat à ce titre ;

D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon en date du 17 juillet 2008 est annulé.

Article 2 : La somme que l'Etablissement français du sang a été condamné par l'article 1er du jugement n° 0501120 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 5 décembre 2006 à payer à M. A est portée de 3 000 euros à 9 000 euros. Elle sera versée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à M. A.

Article 3 : La requête de l'EFS devant la cour administrative d'appel de Lyon est rejetée.

Article 4 : Le jugement n° 0501120 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 5 décembre 2006 est reformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 5 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à M. A la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Francisco A, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à l'Etablissement français du sang, au centre hospitalier régional universitaire de Clermont-Ferrand et à la Banque de France.