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Conseil d'Etat, 17 novembre 1997, Centre hospitalier spécialisé de Rennes (hospitalisation d'office - police générale de l'établissement)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 11 avril 1995, l'ordonnance du 7 avril 1995 par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Nantes transmet au président de la section du Contentieux du Conseil d'Etat, en application de l'article R. 81 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, le dossier de la requête présentée par le centre hospitalier spécialisé de Rennes ;

Vu la requête, enregistrée le 27 mars 1995 au greffe de la cour administrative d'appel de Nantes, présentée par le centre hospitalier spécialisé de Rennes, représentée par son directeur en exercice, demeurant (...) ; le centre hospitalier spécialisé de Rennes demande à la cour administrative d'appel :
1°) d'annuler le jugement en date du 11 janvier 1995 par lequel le tribunal administratif de Rennes a, à la demande de M. X, médecin généraliste, annulé la décision du directeur du centre hospitalier spécialisé de Rennes en date du 23 décembre 1991 ne l'autorisant à voir son patient que dans le cadre d'une surveillance visuelle d'un infirmier de l'hôpital et l'a condamné à verser au docteur X la somme de 3 000 F au titre des frais irrépétibles ;
2°) de rejeter la demande présentée par le docteur X devant le tribunal administratif de Rennes ;
3°) de condamner le docteur X à lui verser la somme de 7 000 F au titre des frais irrépétibles ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 modifiée ;
Vu la loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance du 18 décembre 1839 modifié ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Boissard, Auditeur,
- les observations de la SCP Richard, Mandelkern, avocat de M. X et de la SCP Vier, Barthélemy, avocat du Conseil national de l'Ordre des médecins,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen de la requête :

Considérant qu'en vertu de l'article 22-2 de la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 repris par l'article L. 714-12 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 applicable à l'ensemble des établissements publics de santé, il incombe au directeur d'un établissement public de santé d'"assurer la gestion et la conduite générale de l'établissement", et d'"exercer son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins" ; qu'en vertu des dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 18 décembre 1839 portant règlement sur les établissements publics et privés consacrés aux aliénés, dans sa rédaction issue du décret n° 62-68 du 16 janvier 1962, "le directeur est exclusivement chargé de pourvoir à tout ce qui concerne le bon ordre et la police de l'établissement", et "le service médical, ainsi que la police médicale des aliénés sont placés sous l'autorité du médecin" ; qu'il résulte de ces dispositions que, dans un établissement public consacré aux aliénés comme dans l'ensemble des établissements publics de santé, le directeur est l'autorité compétente pour assurer la police générale de l'établissement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par la décision attaquée, le directeur du centre hospitalier spécialisé de Rennes, établissement public de santé consacré aux aliénés, a, le 23 décembre 1991, pour des motifs de sécurité, subordonné la visite rendue par M. X, médecin généraliste extérieur à l'établissement, à l'un de ses patients qui y avait été placé d'office, à la présence, derrière une porte vitrée, d'un infirmier ; qu'il résulte des dispositions susmentionnées que le directeur avait compétence pour prendre cette mesure, laquelle doit être regardée comme relevant de la police générale de l'établissement et non de la responsabilité des médecins de l'établissement dans l'administration des soins ;

Considérant, il est vrai que l'article 27 de la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière prévoit que des dispositions réglementaires déterminent les conditions dans lesquelles, sous l'autorité des coordonnateurs des départements ou des chefs de service, les médecins traitants peuvent être admis dans les divers services d'hospitalisation publics ; que toutefois ces dispositions, si elles restaient en vigueur, à la date de la décision litigieuse, en vertu de l'article 34 de la loi du 31 juillet 1991 selon lequel "les dispositions de la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière demeurent applicables jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions correspondantes prévues par la présente loi", n'ont eu ni pour objet ni pour effet de modifier les pouvoirs de police générale des directeurs des établissements ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier spécialisé de Rennes est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes s'est fondé sur l'incompétence de son directeur pour annuler la décision prise par celui-ci le 23 décembre 1991 ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. X devant le tribunal administratif de Rennes ;

Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que M. X a, à sa demande, obtenu par lettre du 13 janvier 1992 communication des motifs de la décision litigieuse ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'absence de motivation de ladite décision manque en fait ;

Considérant, en deuxième lieu, que la décision attaquée n'a pas méconnu les dispositions des articles 8 et 11 du code de déontologie médicale, lesquelles ne s'imposent, en vertu de l'article 1er du décret n° 79-506 du 28 juin 1979 portant code de déontologie médicale, qu'aux médecins, et, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 714-12 du code de la santé publique, au directeur d'un établissement public de santé que dans l'exercice de son autorité sur le personnel de l'établissement ;

Considérant, en troisième lieu, que, si aux termes de l'article L. 326-3 du code de la santé publique : "Lorsqu'une personne atteinte de troubles mentaux est hospitalisée sans son consentement en application des dispositions du chapitre III du présent titre, les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par son état de santé et la mise en oeuvre de son traitement. En toutes circonstances, la dignité de la personne hospitalisée doit être respectée et sa réinsertion recherchée (...) En tout état de cause, elle dispose du droit : (...) 3° De prendre conseil d'un médecin ou d'un avocat de son choix", il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en subordonnant, pour des raisons de sécurité, la visite rendue par M. X à l'un de ses patients hospitalisés aux conditions susanalysées, le directeur du centre hospitalier spécialisé de Rennes ait méconnu les dispositions précitées de l'article L. 326-3 ;

Considérant, enfin, que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier spécialisé de Rennes est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision susvisée de son directeur ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant que les dispositions de ces articles font obstacle à ce que le centre hospitalier spécialisé de Rennes, qui n'est pas la partie perdante, soit condamné à payer à M. X une somme au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'affaire, de condamner M. X à payer au centre hospitalier spécialisé de Rennes les sommes de 3 500 F et de 7 000 F qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DECIDE :
Article 1er : Le jugement susvisé du 11 janvier 1995 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. X devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.
Article 3 : Les demandes présentées par M. X et par le centre hospitalier spécialisé de Rennes au titre des frais non compris dans les dépens sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier spécialisé de Rennes, à M. X et au ministre de l'emploi et de la solidarité.