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Conseil d'Etat, 19 mars 2010, n°310421 (Responsabilité du service public hospitalier -défaut d'information)

Cet arrêt rappelle que le défaut d'information engage la responsabilité du service public hospitalier, mais en l'absence de perte de chance, il ne peut y avoir de réparation pécuniaire. En l'espèce, le patient avait été informé des risques mortels liés à l'opération chirurgicale mais pas des effets secondaires liés à cette intervention (risques exceptionnels mais connus, à savoir la compression du canal médullaire entrainant notamment une paraplésie définitive). La responsabilité de l'établissement de santé est donc engagée. Toutefois, le juge a considéré qu'il n'y avait pas de perte de chance pour le patient, "les alternatives envisagées ne présentant moins de risques que l'option choisie". D'où l'absence de dédommagement.

LE CONSEIL D'ETAT. SECTION DU CONTENTIEUX.
5ème et 4ème sous-sections réunies,

Sur le rapport de la 5ème sous-section
M. X
N° 310421
19 mars 2010

Inédit au Recueil LEBON

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 novembre 2007 et 4 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. X, demeurant (...) ; M. X demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l' arrêt du 4 septembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête dirigée contre le jugement du 16 novembre 2004 du tribunal administratif de Bordeaux rejetant sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier régional de Bordeaux à lui verser une indemnité en réparation des préjudices résultant de l'intervention chirurgicale qu'il avait subie le 14 novembre 2000 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel et d'ordonner la capitalisation des intérêts échus;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional de Bordeaux la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. X, qui souffrait d'une artérite bilatérale des membres inférieurs, a subi au centre hospitalier régional universitaire de Bordeaux, le 14 novembre 2000, une opération chirurgicale lors de laquelle lui a été posée une prothèse aorto-bifémorale ; qu'à la suite de cette opération, une complication est survenue, provoquant une paraparésie définitive et divers troubles liés à cette infirmité ; que M. X a recherché la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Bordeaux ; que, par un jugement du 16 novembre 2004, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande indemnitaire ; que, par l'arrêt attaqué du 4 septembre 2007, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son appel contre ce jugement ;

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que l'avocat de M. X a été avisé par lettre recommandée, dont il a accusé réception le 8 juin 2007, de la date de l'audience de la cour administrative d'appel, prévue le 26 juin 2007 ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que les parties n'auraient pas été informées de la date d'audience dans les conditions requises par l'article R. 711-2 du code de justice administrative manque en fait ;

Sur le bien fondé de l'arrêt attaqué :

Considérant que, lorsqu'un acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, les seules circonstances que ces risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ou que l'état de santé du patient ait nécessité l'intervention réalisée ne dispensent pas les praticiens de leur obligation ;

Considérant qu'après avoir jugé qu'il était constant que le requérant n'avait pas été informé du risque de complication médullaire présenté par l'opération et estimé que ce défaut d'information constituait une faute susceptible d'engager la responsabilité du service public hospitalier, la cour administrative d'appel de Bordeaux a relevé qu'une intervention médicale s'avérait nécessaire, que les alternatives envisagées ne présentaient pas moins de risques que l'option choisie et que M. X ne contestait pas avoir été informé, avant l'opération en cause, des risques vitaux afférents à cette opération ; qu'elle a ensuite jugé que, dans ces conditions, la faute commise par le centre hospitalier régional de Bordeaux n'avait pas entraîné de perte de chance pour M. X de se soustraire au risque qui s'est réalisé ;

Considérant, en premier lieu, qu'en présence d'un rapport d'expertise qui, s'il s'était interrogé sur la question de savoir si un traitement endovasculaire n'eût pas été préférable, avait toutefois relevé qu'un tel traitement présentait des risques de complication et de mauvais résultats sur un patient présentant comme M. X des calcifications susceptibles de provoquer une dissection vasculaire, et estimé que les choix thérapeutiques faits avaient été conformes aux données actuelles de la médecine, la cour n'a pas entaché son arrêt de dénaturation en relevant qu'il ne résultait pas de l'instruction que les alternatives envisagées présentaient moins de risques que l'option choisie ;

Considérant, en second lieu, que la cour, après avoir constaté que M. X, informé avant l'opération des risques vitaux d'une occurrence de 9/100 que celle-ci comportait y avait consenti, a pu estimer, sans qualifier inexactement les faits, que la faute commise par le centre hospitalier pour ne pas l'avoir informé des risques de compression médullaire, qui constitue un risque dont le pronostic vital est moins élevé et l'occurrence plus rare, n'avait pas entraîné de perte de chance pour celui-ci de se soustraire à ce risque qui s'est en définitive réalisé ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme X et ses filles X, qui ont repris l'instance à la suite du décès de M. X, ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

DECIDE :

Article 1er : Le pourvoi de M. X est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme X, à Mme X, à Mme X, au centre hospitalier universitaire régional de Bordeaux et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde.

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. X et autres, de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier régional de Bordeaux et de la SCP Didier, Pinet, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, rapporteur public ; La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. X et autres, à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier régional de Bordeaux et à la SCP Didier, Pinet, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde ;

Le Président : M. Jacques Arrighi de Casanova.