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Conseil d’Etat, 2 septembre 2009, n° 292783 (Obligation d’information – Caractère continu – Identification de risques nouveaux postérieurement à l’exécution d’une investigation)

En l’espèce, une patiente âgée de 67 ans a fait une chute dans un escalier d’un hôpital de l’AP-HP . Le service des urgences a diagnostiqué, au vu des radiographies effectuées, une entorse de la cheville gauche. Cette patiente a quitté le service le jour même, après qu’une attelle provisoire ait été posée. Une ordonnance prescrivant la réalisation d’une botte plâtrée a été prescrite. Suite à la persistance des douleurs ressenties par la patiente un mois après, des radiographies ont été effectuées révélant une fracture du calcanéum avec déplacement secondaire qui, faute de pouvoir faire l’objet d’un traitement chirurgical, a été traitée par une contention de la cheville puis par rééducation. La patiente, qui reste atteinte de douleurs et de troubles à la marche, a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris qui avait condamné l’AP-HP a réparer l’intégralité du préjudice qu’elle estime avoir subi. Le Conseil d’Etat considère par cet arrêt que les termes de l’article L. 710-2 du Code de la santé publique alors applicables ne dispensaient pas le service public hospitalier, en cas d’identification de risques nouveaux postérieurement à l’exécution d’une investigation, de l’obligation, désormais consacrée à l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique, d’en informer la personne concernée, sauf impossibilité de retrouver celle-ci. La Haute juridiction a ainsi estimé que l’absence de transmission de cette information a constitué une faute et a indemnisé la patiente pour perte de chance d’une guérison sans séquelles.

Conseil d'État
5ème et 4ème sous-sections réunies

N° 292783

Mentionné dans les tables du recueil Lebon

M. Daël, président
M. Xavier de Lesquen, rapporteur
M. Thiellay Jean-Philippe, commissaire du gouvernement
SCP RICHARD ; SCP DIDIER, PINET, avocats

Lecture du mercredi 2 septembre 2009

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 avril 2006 et 18 août 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Eliane A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 7 février 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 5 février 2002 du tribunal administratif de Paris condamnant l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 7622,45 euros en réparation du préjudice résultant d'une erreur de diagnostic, rejeté sa requête et mis à sa charge les frais d'expertise et la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) statuant au fond, de condamner l'Assistance publique Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 7622.45 euros à titre de dommages et intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Assistance publique Hôpitaux de Paris la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le décret n° 98-1001 du 2 novembre 1998 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Richard, avocat de Mme A et de la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Rapporteur public,

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Richard, avocat de Mme A et à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A, alors âgée de 67 ans, a fait le 13 avril 1999 une chute dans un escalier de l'hôpital ... ; que le service des urgences a diagnostiqué, au vu des radiographies effectuées, une entorse de la cheville gauche ; que Mme A, qui résidait à Dijon, a quitté le service le même jour après qu'une attelle provisoire a été posée, munie d'une ordonnance prescrivant la réalisation d'une botte plâtrée, effectuée le 16 avril 1999 à Dijon par un médecin de ville ; que, devant la persistance des douleurs ressenties par l'intéressée, des radiographies ont été réalisées le 14 mai 1999 à la demande de ce médecin et ont mis en évidence une fracture du calcanéum avec déplacement secondaire qui, faute de pouvoir faire l'objet d'un traitement chirurgical, a été traitée par une contention de la cheville puis par rééducation ; que Mme A, qui reste atteinte de douleurs et de troubles à la marche, se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris condamnant l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à réparer l'intégralité du préjudice qu'elle estime avoir subi ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 710-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date des faits en litige : Les établissements de santé, publics ou privés sont tenus de communiquer aux personnes recevant ou ayant reçu des soins, sur leur demande et par l'intermédiaire du praticien qu'elles désignent, les informations contenues dans leur dossier médical ; que ces dispositions ne dispensaient pas le service public hospitalier, en cas d'identification de risques nouveaux postérieurement à l'exécution d'une investigation, de l'obligation, désormais consacrée à l'article L. 111-2 du code de la santé publique, d'en informer la personne concernée, sauf impossibilité de retrouver celle-ci ; que par suite en jugeant que rien n'imposait au service des urgences de transmettre spontanément à Mme A les informations figurant dans le compte-rendu rédigé le 14 avril 1999 par un praticien du service des urgences des radiographies réalisées la veille dans ce service, diagnostiquant chez l'intéressée un remaniement du calcanéum et prescrivant la réalisation d'une radiographie à la sortie du plâtre avec incidence rétro-tibiale , la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit par suite, être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant que le tribunal administratif de Paris a jugé que la responsabilité de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris était engagée envers Mme A à raison de l'erreur fautive de diagnostic commise par le service des urgences et de l'organisation déficiente du service révélée par l'absence de communication à la patiente des informations résultant d'un nouvel examen des clichés le 14 avril 1999 ; que le tribunal en retenant une erreur fautive de diagnostic, alors qu'il ressort du dossier de première instance que Mme A avait expressément renoncé, dans un mémoire enregistré le 19 mars 2001 au greffe du tribunal administratif de Paris, à rechercher la condamnation de l'établissement hospitalier sur le fondement de l'erreur fautive de diagnostic, a relevé d'office un moyen qui n'est pas d'ordre public ; que, par suite, son jugement est irrégulier et doit être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A ;

Sur la responsabilité :

Considérant que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le cliché utile rétro-tibial a été suggéré dans le compte rendu radiographique rédigé alors que Mme A avait déjà quitté l'hôpital ; que cette information ne lui a pas été transmise à l'initiative de l'hôpital et qu'elle n'en a eu connaissance qu'à la suite de la demande de communication de son dossier médical qu'elle a obtenu le 27 avril 1999 ; que cette abstention a constitué une faute de nature à engager la responsabilité du service hospitalier ; que cette faute a fait perdre à Mme A une chance que sa fracture soit diagnostiquée plus précocement et traitée par immobilisation ; qu'il sera fait une juste appréciation des faits de l'espèce en fixant à 50 % la perte de chance d'une guérison sans séquelles imputable à la faute de l'hôpital ;

Sur l'évaluation du préjudice :

Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 relative au financement de la sécurité sociale, le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et de recours subrogatoires d'organismes de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices patrimoniaux et personnels déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de l'Etat et de la sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage des responsabilités avec la victime ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par ces prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ;

Considérant qu'en l'absence de dispositions réglementaires définissant les postes de préjudice, il y a lieu, pour mettre en oeuvre cette méthode, de distinguer, parmi les préjudices de nature patrimoniale, les dépenses de santé, les frais liés au handicap, les pertes de revenus, l'incidence professionnelle et scolaire et les autres dépenses liées à ce dommage ; que parmi les préjudices personnels, sur lesquels l'Etat et l'organisme de sécurité sociale ne peuvent exercer leurs recours que s'il établissent avoir effectivement et préalablement versé à la victime une prestation réparant de manière incontestable un tel préjudice, il y a lieu de distinguer, pour la victime directe, les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et les troubles dans les conditions d'existence envisagées indépendamment de leurs conséquences pécuniaires ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :

Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or a droit en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale au remboursement des débours qu'elle a exposés pour un montant non contesté de 1 296 euros ; que la part de ce préjudice indemnisable par le centre hospitalier se limite à 648 euros ; qu'il y a lieu de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser cette somme ;

Considérant qu'aux termes des 9e et 10e alinéas de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, les caisses de sécurité sociale ont droit au paiement d'une indemnité forfaitaire en contrepartie des frais engagés pour obtenir le remboursement des prestations versées à la victime lorsqu'elles demandent à la juridiction administrative compétente de condamner le tiers responsable ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or une indemnité de 216 euros en application des dispositions précitées du code de la sécurité sociale ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme A qui reste atteinte d'une incapacité permanente partielle de 5 % a subi des souffrances physiques évaluées à 2,5 sur une échelle de 7 et conserve un préjudice esthétique de 2 sur une échelle de 7 ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble de ces préjudices en les évaluant à 7 600 euros ; que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris doit par suite être condamnée à lui verser une somme de 3 800 euros ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant que les frais d'expertise liquidés et taxés à 701,27 euros par ordonnance du président du tribunal administratif de Paris du 24 mai 2000 doivent être mis à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que les sommes demandées par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris soient mises à la charge de Mme A ;

Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris une somme de 6 500 euros à verser à Mme A au titre des frais exposés, tant au titre des instances de première instance et d'appel que devant le Conseil d'Etat, et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 7 février 2006 et le jugement du 5 février 2002 du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris est condamnée à payer à Mme A une somme de 3 800 euros.

Article 3 : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris est condamnée à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or une somme de 864 euros.

Article 4 : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris versera au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative 6 500 euros à Mme A.

Article 5 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 701,27 euros sont mis à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

Article 6 : Les surplus des conclusions du pourvoi et des demandes présentées par Mme A et par la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or devant le juge administratif sont rejetés.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à Mme Eliane A, à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or.
Copie pour information en sera adressée à la ministre de la santé et des sports.