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Conseil d'Etat, 20 février 2013, n° 356272 (Dispositif médical – Liste des produits et prestations remboursables – Nombre minimal annuel d’actes – Absence de condition)

Par cet arrêt, le Conseil d'Etat a annulé le seuil minimal d'activité imposé à un établissement pour pratiquer l'arthroplastie de la cheville.

Le Conseil d'Etat estime qu'il ressortait de l'intention du législateur d'exclure que l'inscription sur la liste des produits et prestations remboursables soit subordonnée, pour les décisions postérieures à l'entrée en vigueur de la loi du 23 juillet 2009, dit HPST, "à des conditions propres aux produits dont l'utilisation fait appel à des soins pratiqués par des établissements de santé, telles que celles relatives à l'évaluation de ces produits ou prestations, aux modalités de délivrance des soins ou à la qualification ou à la compétence des praticiens des établissements de santé utilisant ces produits ou pratiquant ces prestations".

Le ministre en charge de la Sécurité sociale ne peut donc "subordonner l'inscription d'un produit ou d'une prestation sur la liste, après l'entrée en vigueur de la loi à une condition tenant à un nombre minimal d'actes pratiqués annuellement par l'établissement de santé dans lequel sont pratiqués les soins auxquels l'utilisation du produit ou de la prestation fait appel".

 

Conseil d'État

N° 356272   

Inédit au recueil Lebon

1ère et 6ème sous-sections réunies

Mme Julia Beurton, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public

lecture du mercredi 20 février 2013

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 26 janvier 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'Union des chirurgiens de France, dont le siège est 9, rue Ernest Cresson à Paris (75014), représentée par son président, et le Syndicat national des chirurgiens orthopédistes et traumatologues, dont le siège est 56, rue Boissonade à Paris (75014), représenté par son président ; les requérants demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté des ministres chargés de la santé et du budget du 23 novembre 2011 relatif aux modifications des conditions d'inscription des prothèses totales de cheville et au changement de distributeur et renouvellement d'inscription de la prothèse de cheville STAR de la société Link SARL au chapitre 1er du titre III de la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, en ce qu'il réserve l'arthroplastie de la cheville aux centres pratiquant un nombre minimum d'implantations de prothèses totales de cheville de dix par an, depuis au moins trois ans ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 588 euros, à verser à chacun d'eux, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale, notamment son article L. 165-1 modifié par la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Julia Beurton, Auditeur,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre des affaires sociales et de la santé :

1. Considérant que l'Union des chirurgiens de France et le Syndicat national des chirurgiens orthopédistes et traumatologues ont intérêt à agir contre les dispositions litigieuses, qui sont susceptibles d'affecter les conditions d'exercice des chirurgiens libéraux dont ils ont notamment pour objet de défendre les intérêts matériels et moraux ;

Sur la légalité des dispositions attaquées :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires : " Le remboursement par l'assurance maladie des dispositifs médicaux à usage individuel (...) et des prestations de services et d'adaptation associées est subordonné à leur inscription sur une liste établie après avis d'une commission de la Haute Autorité de santé mentionnée à l'article L. 161-37. (...) L'inscription sur la liste peut elle-même être subordonnée au respect de spécifications techniques, d'indications thérapeutiques ou diagnostiques et de conditions particulières de prescription et d'utilisation. / Les conditions d'application du présent article, notamment les conditions d'inscription sur la liste, ainsi que la composition et le fonctionnement de la commission sont fixées par décret en Conseil d'Etat. / La procédure et les conditions d'inscription peuvent être adaptées en fonction des dispositifs selon leur finalité et leur mode d'utilisation. / Lorsque l'utilisation de produits ou prestations fait appel à des soins pratiqués par des établissements de santé, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale peuvent décider de subordonner l'inscription sur la liste à des conditions relatives à l'évaluation de ces produits ou prestations aux modalités de délivrance des soins ou à la qualification ou à la compétence des praticiens des établissements de santé utilisant ces produits ou pratiquant ces prestations. La liste précise, le cas échéant, les modalités selon lesquelles le directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation établit la liste des établissements de santé pour lesquels l'assurance maladie prend en charge ces produits ou prestations, au vu notamment des capacités hospitalières nécessaires pour répondre aux besoins de la population, ainsi que de l'implantation et de l'expérience pour les soins concernés des établissements de santé. " ;

3. Considérant que le X de l'article 5 de la loi du 21 juillet 2009 a abrogé le dernier alinéa de l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale et précisé que " les mesures prises au titre de cet article, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, demeurent applicables. " ; que le IX du même article a en outre modifié l'article L. 1151-1 du code de la santé publique afin de prévoir que l'utilisation de certains dispositifs médicaux nécessitant un encadrement spécifique pour des raisons de santé publique ou susceptibles d'entraîner des dépenses injustifiées pourrait être limitée pendant une période donnée à certains établissements de santé, en confiant aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale le soin d'arrêter la liste de ces établissements ou de préciser les critères au vu desquels les agences régionales de santé fixeraient cette liste ; qu'il résulte ainsi de la loi du 21 juillet 2009, éclairée par ses travaux préparatoires, que le législateur a entendu exclure que l'inscription sur la liste mentionnée à l'article L. 165-1 soit subordonnée, pour les décisions prises à compter de l'entrée en vigueur de l'abrogation prévue au X de l'article 5 de cette loi, soit le 23 juillet 2009, à des conditions propres aux produits dont l'utilisation fait appel à des soins pratiqués par des établissements de santé, telles que celles relatives à l'évaluation de ces produits ou prestations, aux modalités de délivrance des soins ou à la qualification ou à la compétence des praticiens des établissements de santé utilisant ces produits ou pratiquant ces prestations ;

4. Considérant, il est vrai, qu'aux termes de l'article R. 165-1 du code de la sécurité sociale, l'inscription sur la liste mentionnée à l'article L. 165-1 du même code " précise, le cas échéant, les spécifications techniques, les seules indications thérapeutiques ou diagnostiques et les conditions particulières de prescription ou d'utilisation du produit ou de la prestation ouvrant droit à la prise en charge. Lorsque l'utilisation de produits ou de prestations fait appel à des soins pratiqués par des établissements de santé, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale peuvent décider de subordonner l'inscription sur la liste à des conditions relatives à l'évaluation de ces produits ou prestations, aux modalités de délivrance des soins, à la qualification ou à la compétence des praticiens des établissements de santé utilisant ces produits ou pratiquant ces prestations. " ;

5. Considérant, toutefois, qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ne pouvaient légalement se fonder sur ces dispositions pour subordonner l'inscription d'un produit ou d'une prestation sur la liste, après l'entrée en vigueur de la loi du 21 juillet 2009, à une condition tenant à un nombre minimal d'actes pratiqués annuellement par l'établissement de santé dans lequel sont pratiqués les soins auxquels l'utilisation du produit ou de la prestation fait appel ;

6. Considérant que l'article 1er de l'arrêté attaqué subordonne l'inscription des prothèses totales de cheville sur la liste mentionnée à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale à la condition que leur pose soit réalisée dans un centre pratiquant un nombre minimum d'implantations de prothèses totales de cheville de dix par an, depuis au moins trois ans ; qu'ainsi que le soutiennent les requérants, une telle condition d'activité minimale de l'établissement ne pouvait être légalement prévue sur le fondement des articles L. 165-1 et R. 165-1 du code de la sécurité sociale par des mesures prises postérieurement au 22 juillet 2009 ; que les requérants sont, par suite, fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 23 novembre 2011 dans cette mesure ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat des sommes de 1 500 euros à verser, d'une part, à l'Union des chirurgiens de France et, d'autre part, au Syndicat national des chirurgiens orthopédistes et traumatologues au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :
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Article 1er : A l'article 1er de l'arrêté du 23 novembre 2011 relatif aux modifications des conditions d'inscription des prothèses totales de cheville et au changement de distributeur et renouvellement d'inscription de la prothèse de cheville STAR de la société Link SARL inscrites au chapitre 1er du titre III de la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale, les mots : " L'arthroplastie de la cheville est réservée aux centres pratiquant un nombre minimum d'implantations de prothèses totales de cheville de 10 par an, depuis au moins trois ans. " sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à l'Union des chirurgiens de France et au Syndicat national des chirurgiens orthopédistes et traumatologues les sommes de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Union des chirurgiens de France, au Syndicat national des chirurgiens orthopédistes et traumatologues et à la ministre des affaires sociales et de la santé.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie et des finances.