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Conseil d’État, 21 septembre 2015, n° 391586 (Référé-suspension – Urgence – Condition – Appréciation objective)

Saisi d’un référé-suspension dirigé contre un arrêté par lequel la directrice générale du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière avait placé un praticien hospitalier en disponibilité d'office pour inaptitude définitive pour une durée d'un an, le Conseil d’Etat rappelle la manière selon laquelle la condition d’urgence doit être appréciée. Il indique que « l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, au vu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce ».

Dès lors, « en se fondant, pour apprécier si la décision litigieuse préjudiciait de manière suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant, sur le fait qu'il ne fournissait aucune précision relative à sa situation financière, alors qu'un agent public ayant été placé d'office, en raison de son état de santé, dans une position statutaire qui le prive de son traitement n'est pas tenu de fournir de telles précisions à l'appui de sa demande de suspension de l'exécution de cette mesure », le Tribunal a commis une erreur de droit.

De surcroît, « en retenant, […] que M. X. avait attendu le dernier jour du délai de recours contentieux pour demander la suspension de l'arrêté [litigieux] pour en déduire qu'il était à l'origine de l'urgence invoquée, sans rechercher si, dans les circonstances de l'espèce, le délai mis par l'intéressé pour saisir le juge pouvait effectivement être retenu pour regarder la condition d'urgence comme n'étant pas remplie, le juge des référés a entaché son ordonnance d'une seconde erreur de droit ».

 

Conseil d'État

N° 391586   

5ème sous-section jugeant seule

M. Charles Touboul, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public

SCP RICHARD, avocat

lecture du lundi 21 septembre 2015

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. X. a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 7 avril 2015 par lequel la directrice générale du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière l'a placé en disponibilité d'office pour inaptitude définitive pour une durée d'un an et, d'autre part, d'enjoindre à cette autorité de régulariser sa situation administrative et financière à compter du 21 novembre 2014. Par une ordonnance n° 1501156 du 17 juin 2015, prise selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 7 juillet, 22 juillet et 7 septembre 2015, M. X.  demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Charles Touboul, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Richard, avocat de M. X. ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) " ;

2. Considérant que l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, au vu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce ;

3. Considérant que, par un arrêté du 7 avril 2015, la directrice du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière a placé M.X. , praticien hospitalier au centre hospitalier de Y., en disponibilité d'office pour inaptitude définitive pour une durée d'un an ; que, par l'ordonnance attaquée du 17 juin 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté pour défaut d'urgence la demande de suspension de l'exécution de cette décision présentée par M. X.  ; qu'en se fondant, pour apprécier si la décision litigieuse préjudiciait de manière suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant, sur le fait qu'il ne fournissait aucune précision relative à sa situation financière, alors qu'un agent public ayant été placé d'office, en raison de son état de santé, dans une position statutaire qui le prive de son traitement n'est pas tenu de fournir de telles précisions à l'appui de sa demande de suspension de l'exécution de cette mesure, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a commis une erreur de droit ; qu'en retenant, au surplus que M. X. avait attendu le dernier jour du délai de recours contentieux pour demander la suspension de l'arrêté du 17 avril 2015 le plaçant en disponibilité d'office pour en déduire qu'il était à l'origine de l'urgence invoquée, sans rechercher si, dans les circonstances de l'espèce, le délai mis par l'intéressé pour saisir le juge pouvait effectivement être retenu pour regarder la condition d'urgence comme n'étant pas remplie, le juge des référés a entaché son ordonnance d'une seconde erreur de droit ; que M. X. est, dès lors, fondé à demander l'annulation de cette ordonnance ;

4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. X. d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 17 juin 2015 est annulée.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.

Article 3 : L'Etat versera à M. X. la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. X., au Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Copie en sera adressée pour information au centre hospitalier de Châlons-en-Champagne.