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Conseil d'État, 27 juillet 2005, Ministre des affaires sociales / Centre de convalescence et de rééducation de la Roseraie (Réglementation du droit de grève - Réglement intérieur)

 

" [...] Considérant, d'autre part, que les dispositions de cette adjonction au règlement intérieur de l'établissement ont pour seul objet de protéger la sécurité et la santé des patients qui y sont admis ; qu'il n'appartient pas à l'employeur de réglementer l'exercice du droit de grève par le truchement du règlement intérieur, en se fondant sur un objectif constitué de la seule sécurité des usagers de l'établissement, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'absence d'une partie du personnel de l'établissement y mettrait en cause la sécurité générale ; que le centre de convalescence et de rééducation de la Roseraie n'est par suite pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 1er septembre 1998 par laquelle l'inspecteur du travail lui a enjoint d'annuler la note du 14 mai 1998 ; [...] "

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le recours, enregistré le 27 février 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES, DU TRAVAIL ET DE LA SOLIDARITE ; le MINISTRE DES AFFAIRES SOCIALES, DU TRAVAIL ET DE LA SOLIDARITE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 20 décembre 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a annulé le jugement du 30 juin 1999 du tribunal administratif de Rouen qui avait rejeté la demande du centre de convalescence et de rééducation de la Roseraie tendant à l'annulation de la décision du 1er septembre 1998 de l'inspecteur du travail exigeant le retrait d'une décision du 14 mai 1998 instaurant un délai de préavis en cas de grève, a annulé cette décision de l'inspecteur du travail et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros demandée par le centre de convalescence et de rééducation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Claude Hassan, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du centre de convalescence et de rééducation de la Roseraie,
- les conclusions de M. Francis Donnat, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 122-34 du code du travail : Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement :/ - les mesures d'application de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement (...) ;/ - les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l'employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la sécurité et de la santé des salariés dès lors qu'elles apparaîtraient compromises ;/ - les règles générales et permanentes relatives à la discipline, et notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur (...) ; qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 122-33 du même code : Des dispositions spéciales peuvent être établies pour une catégorie de personnel ou une division de l'entreprise ou de l'établissement ; que l'article L. 122-35 de ce code dispose : Le règlement intérieur ne peut (...) apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées aux buts recherchés ; qu'aux termes de l'article L. 122-37 du code : L'inspecteur du travail peut à tout moment exiger le retrait ou la modification des dispositions contraires aux articles L. 122-34, L. 122-35 (...) ; qu'enfin, aux termes de l'article L. 122-39 : Les notes de service ou tout autre document qui portent prescriptions générales et permanentes dans les matières mentionnées à l'article L. 122-34 sont, lorsqu'il existe un règlement intérieur, considérées comme des adjonctions à ce règlement intérieur (...) ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'un mouvement de grève auquel avaient participé huit des quarante-huit salariés du centre de convalescence et de rééducation de la Roseraie, la direction du centre a adressé à chacun de ces huit salariés, à leur adresse personnelle, une lettre en date du 14 mai 1998, rédigée en termes identiques et comportant la mention suivante : Compte tenu des incidences de vos absences sur la santé et la sécurité des patients qui vous sont confiés, vous ne pouvez en aucun cas quitter votre poste sans avoir prévenu votre employeur avec un délai suffisant permettant de pallier votre carence. Nous serons intraitables à cet égard ; que, par une décision en date du 1er septembre 1998, l'inspecteur du travail, après avoir qualifié le contenu de la lettre comme valant note de service en matière de discipline générale et constituant par suite une adjonction au règlement intérieur, a enjoint à la directrice du centre d'annuler la note du 14 mai 1998 ;

Considérant que, pour juger que la mesure en cause était bien au rang de celles que le règlement intérieur est susceptible de contenir, la cour administrative d'appel a estimé que celle-ci a été prise dans le but exclusif d'assurer en toutes circonstances la sécurité et la santé des patients ; qu'il ne résulte d'aucune des dispositions précitées qu'il revient au règlement intérieur de fixer les dispositions propres à remplir exclusivement cet objectif ; que la cour a ainsi commis une erreur de droit ; que l'arrêt attaqué doit, pour ce motif, être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;

Considérant, d'une part, que le contenu identique des huit lettres du 14 mai 1998 comporte l'énoncé d'une règle de comportement générale et permanente s'imposant sous peine de sanction à tous les salariés de l'établissement auxquels ont été confiées l'administration des soins aux patients, ainsi que leur garde et leur surveillance ; qu'il constitue par suite une adjonction au règlement intérieur du centre, établie pour une catégorie de personnel ; que l'inspecteur du travail était par suite compétent, en vertu de l'article L. 122-37 du code du travail, pour en exiger le retrait ;

Considérant, d'autre part, que les dispositions de cette adjonction au règlement intérieur de l'établissement ont pour seul objet de protéger la sécurité et la santé des patients qui y sont admis ; qu'il n'appartient pas à l'employeur de réglementer l'exercice du droit de grève par le truchement du règlement intérieur, en se fondant sur un objectif constitué de la seule sécurité des usagers de l'établissement, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'absence d'une partie du personnel de l'établissement y mettrait en cause la sécurité générale ; que le centre de convalescence et de rééducation de la Roseraie n'est par suite pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 1er septembre 1998 par laquelle l'inspecteur du travail lui a enjoint d'annuler la note du 14 mai 1998 ;

DECIDE :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai en date du 20 décembre 2002 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par le centre de convalescence et de rééducation de la Roseraie devant la cour administrative d'appel de Douai est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement et au centre de convalescence et de rééducation de la Roseraie.