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Conseil d'Etat, 27 juin 1997, Mme X. (censure d'une cour d'appel qui exigeait une faute lourde)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 3 juin 1992 et 5 octobre 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme X., demeurant (...) ; Mme X. demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 9 juillet 1991 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a, sur la demande du centre hospitalier de Châtillon-sur-Seine : - annulé le jugement du 18 octobre 1988 par lequel le tribunal administratif de Dijon a condamné ledit centre à verser, d'une part, à Mme X., la somme de 60 000 francs en réparation des dommages subis par l'intéressée à la suite d'une intervention chirurgicale pratiquée audit centre hospitalier, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance-maladie de la Côte d'Or la somme de 47 956,24 francs avec intérêts de droit à compter du 14 août 1985 en remboursement de ses débours ; - rejeté les demandes présentées par Mme X. et par la caisse primaire d'assurance-maladie de la Côte d'Or devant le tribunal administratif de Dijon ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Châtillon-sur-Seine à lui verser la somme de 60 000 francs portant intérêts légaux à dater du 3 avril 1985 ;
3°) de dire que les intérêts des condamnations prononcées en sa faveur seront capitalisés et porteront eux-mêmes intérêt ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Keller, Auditeur,
- les observations de la SCP Gatineau, avocat de Mme X. et de la SCP Boré, Xavier, avocat du centre hospitalier de Châtillon-sur-Seine
- les conclusions de Mme Pécresse, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, pour annuler le jugement du 18 octobre 1988 par lequel le tribunal administratif de Dijon avait retenu la responsabilité du centre hospitalier de Châtillon-sur-Seine à l'égard de Mme X. à la suite de l'opération subie par cette dernière le 20 janvier 1984 dans les services dudit centre hospitalier, la cour administrative d'appel de Nancy a estimé que "la maladresse ou l'inattention imputable au chirurgien ne saurait être regardée comme présentant le caractère de gravité constitutif d'une faute lourde susceptible d'engager la responsabilité de l'établissement hospitalier" ; qu'en jugeant ainsi qu'une faute avait été commise, mais que seule une faute lourde aurait été de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier, la cour a méconnu les règles qui régissent en la matière l'engagement de la responsabilité des personnes publiques ; que, dès lors, l'arrêt attaqué doit être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et en application de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987 susvisée, de régler immédiatement l'affaire au fond ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport de l'expert commis par le tribunal administratif, que la fistule vésico-vaginale dont a souffert Mme X. a été provoquée par une déchirure de la paroi vésicale survenue au cours de l'hystérectomie pratiquée le 20 janvier 1984 pour une lésion intérieure bénigne ; qu'ainsi, quel qu'ait été l'état général de Mme X., une telle déchirure constitue une maladresse dans l'exécution d'une intervention couramment pratiquée ; qu'en outre, le fait que le chirurgien n'a pas constaté la déchirure de la paroi vésicale est constitutif d'une faute d'inattention de sa part ; que, dans ces conditions, le centre hospitalier a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'hôpital de Châtillon-sur-Seine n'est pas fondé à se plaindre que le tribunal administratif de Dijon, par son jugement du 18 octobre 1988, a décidé que sa responsabilité était engagée et l'a condamné à réparer les conséquences du préjudice subi par Mme X. et à rembourser à la caisse primaire d'assurance-maladie les prestations qu'elle a servies ;

Sur le préjudice subi par Mme X. :

Considérant que Mme X. a subi, du fait des conséquences de son opération, des troubles dans ses conditions d'existence ; qu'elle a dû notamment supporter une période d'incapacité temporaire totale de 320 jours ; qu'il convient également de prendre en considération les souffrances qu'elle a endurées et le léger préjudice esthétique subi ; que, dès lors, en fixant à 60 000 francs la somme due par le centre hospitalier de Châtillon-sur-Seine à Mme X., le tribunal administratif a fait une exacte appréciation de l'ensemble du préjudice qui est résulté pour elle de son opération ; qu'il y a lieu de confirmer le jugement attaqué sur ce point, en augmentant la somme due des intérêts légaux à dater du 3 avril 1985, date à laquelle Mme X. a demandé au centre hospitalier de l'indemniser ;

Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 16 octobre 1992 ; qu'à cette date il était dû plus d'un an d'intérêts ; qu'il y a lieu d'accorder la capitalisation demandée ;

Sur les conclusions du centre hospitalier de Châtillon-sur-Seine tendant à l'application de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :

Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi susmentionnée du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que Mme X., qui n'est pas la partie perdante en la présente espèce, soit condamnée à verser au centre hospitalier de Châtillon-sur-Seine la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE :
Article 1er : L'arrêt du 9 juillet 1991 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé et les conclusions du centre hospitalier de Châtillon-sur-Seine tendant à l'application de l'article 75 I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 2 : La requête d'appel présentée par le centre hospitalier de Châtillon-sur-Seine devant la cour administrative d'appel de Nancy est rejetée.
Article 3 : La somme de 60 000 francs que le centre hospitalier de Châtillon-sur-Seine a été condamné par le jugement du tribunal administratif de Dijon à verser à Mme X. portera intérêts légaux à dater du 3 avril 1985, lesdits intérêts portant eux-mêmes intérêt à dater du 16 octobre 1992.
Article 4 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme X., au centre hospitalier de Châtillon-sur-Seine, à la caisse primaire d'assurance-maladie de la Côte d'Or et au ministre de l'emploi et de la solidarité.