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Conseil d'Etat, 29 janvier 2003, Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (communication du dossier médical aux ayants droits)

“ (…)Considérant qu’il résulte de ces dispositions que les informations médicales contenues dans le dossier médical d’une personne qui a reçu des soins dans un établissement de santé sont communicables de plein droit aux ayants droit de cette personne, en cas de décès, sans que puisse y faire obstacle la circonstance qu’un litige opposant les ayants droit a été porté devant une juridiction et que les informations dont la communication a été demandée sont susceptibles d’être utilisées dans le cadre de ce litige ; que les dispositions de la loi du 17 juillet 1978, qui ont pour objet de faciliter, de manière générale, l’accès des personnes qui le demandent aux documents administratifs, n’affectent pas les droits que les intéressés tirent des règles particulières ainsi prévues par le code de la santé, qui régissent l’accès au dossier médical des personnes hospitalisées ; que, par suite, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en se fondant sur les dispositions précitées du code de la santé publique pour estimer, par un arrêt qui est suffisamment motivé, que le refus opposé à Mme H. par l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris était illégal. (…)

Mesure phare et quasi emblématique de ce qu’il convient d’appeler désormais la Démocratie Sanitaire (Titre II : Démocratie sanitaire, loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, J.O 5 mars 2002, p 4118.), l’accès au dossier médical qu’il se fasse par l’intermédiaire d’un médecin ou directement, a vu se cristalliser les appréhensions du corps médical comme les revendications toujours croissantes de la part des patients et de leurs ayants droit.

Tout en assurant au dossier médical du patient une protection sur le plan pénal *, comme au titre des droits de la personne, la loi du 4 mars 2002 (Article L 1110-4 CSP ; art. L 1111-7 CSP ; décret n° 2002-637 du 29 avril 2002 relatif à l’accès aux informations personnelles détenues par les professionnels et les établissements de santé, J.O 30 avril 2002) a réglementé l’accès au dossier médical par les ayants droit du patient. Institué dans l’intérêt du patient, le secret médical s’impose à tous les professionnels de santé sans exclusive aucune (R.G.D.M (8) ; Ch. Jurisprudence générale, obs sous C.A.A Nancy 30 mais 2002, Centre hospitalier général Maillot et nos obs. p 219 et s.). Pour ce faire, l’article L 1110-4 CSP énonce : “ Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme (…) a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant (…) ”.

 

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Article 226-13 ncp : La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 100 000 F d’amende.
Article 226-14 ncp : l’article 226-13 n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre il n’est pas applicable :
1° à celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes sexuelles dont il a eu connaissance et qui ont été infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique ;
2° au médecin qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices qu’il a constatés dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences sexuelles de toute nature ont été commises.

Le dernier alinéa de l’article L 1110-4 CSP (Article L 1110-4 CSP : “ (…) Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit) organise l’accès des ayants droit aux informations médicales du défunt sous la réserve d’une opposition de ce dernier de son vivant. Ainsi et sauf volonté contraire du défunt, l’accès des ayants droit au dossier médical de la personne décédée n’est possible que lorsque ces informations sont nécessaires afin de connaître les causes de la mort ; défendre la mémoire du défunt ; faire valoir leurs droits.

Les faits de l’espèce sont révélateurs à l’excès des conflits familiaux parfois seul fondement d’une demande d’accès au dossier médical du défunt. Mme X. a demandé à l’AP-HP la communication du dossier médical de son père décédé le 25 décembre 1995 aux fins de contestation du testament du défunt en raison d’une altération supposée de ses facultés de discernement. Comme la loi du 17 juillet 1978 l’y autorise, les hôpitaux de Paris refusèrent la communication au motif “ (…) qu’elle porterait atteinte au déroulement des procédures devant les juridictions (…) ”. La Cour administrative d’appel de Paris admet dans un arrêt infirmatif du 7 octobre 1999, la communication du dossier médical en application des articles L 710-2 et R 710-2-2 CSP, sans exclusive aucune. Le Conseil d’Etat fait droit à cette demande et confirme le bien fondé de la communication du dossier médical du défunt aux descendants en applications desdites dispositions. Et d’affirmer que les informations relatives à un patient décédé étaient communicables aux ayants droit de ce dernier, sans que l’existence d’un litige porté devant une juridiction et opposant les ayants droit ne puisse y faire obstacle, alors même que les informations dont la communication est demandée sont susceptibles d’être utilisées dans le cadre de ce litige. L’accès au dossier médical peut-il perdurer sur le fondement de la loi de 1978 ? La question bien que provocatrice, mérite d’être posée à la lecture de l’arrêt comme à la lecture des nouvelles dispositions issues de la loi du 4 mars 2002. Le Conseil d’Etat ne donne en effet aucune indication sur les dispositions concurrentes du Code de la santé publique régissant la communication du dossier médical. Il conviendrait dès lors de privilégier les nouvelles règles dans le respect de l’affirmation et de l’extension des droits des patients que fixe la loi du 4 mars 2002.

Ainsi, l’ayant droit du patient décédé devra préciser (Cf Jean-Pierre. CARBUCCIA-BERLAND, note sous C.A Paris, 8.01.2002, Gaz.pal 29 janv. 2002, J p 28) lors de sa demande le motif pour lequel il a besoin d’avoir connaissance de ces informations. Il devra en outre justifier de sa qualité d’ayant droit *, en joignant copie d’une pièce d’identité ainsi que tout document attestant de sa qualité d’ayant droit du patient décédé. Il pourra par exemple produire un acte de notoriété, établi par un notaire ou un magistrat, prouvant par écrit l’existence d’une situation juridique ou faisant état de déclarations de plusieurs personnes attestant de faits notoirement connus. Le refus opposé à cet ayant droit doit être motivé. Toutefois, ce refus ne devra jamais faire obstacle à la délivrance d’un certificat médical, dès lors que ce certificat ne comporte pas d’informations couvertes par le secret médical.
 

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La notion d’ayant droit désigne de principe une personne physique titulaire d’un droit. Cette notion trouve ses origines dans le droit de la sécurité sociale et désigne les personnes qui bénéficient des prestations versées par un régime de sécurité sociale, non à titre personnel mais du fait de ses liens avec l’assuré (conjoint, enfant à charge, ascendant sous certaines conditions, concubin). Cf Recommandations pour la communication du dossier médical, Coll. Les guides de l’AP-HP, 2ème éd, juillet 2002.
Voir aussi :
Droit Administratif n° 3 du 1er mars 2003, page 15-16

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête enregistrée le 3 novembre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS, dont le siège est 3, avenue Victoria à Paris (75004) ; l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 7 octobre 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, en premier lieu, a annulé le jugement du 11 décembre 1997 du tribunal administratif de Paris rejetant la demande de Mme X... dirigée contre la décision du 16 septembre 1996 de l'établissement requérant refusant de lui communiquer le dossier médical de son père, ainsi que ladite décision, en deuxième lieu, lui a enjoint de communiquer à Mme X..., par l'intermédiaire du médecin désigné par elle, le dossier médical demandé dans le délai d'un mois à compter de la notification de son arrêt ;
2°) statuant au fond, de rejeter l'ensemble des demandes de Mme X... ;
3°) de condamner Mme X... à lui payer la somme de 20 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bouchez, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Foussard, avocat de l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS et de la SCP Piwnica, Molinie, avocat de Mme X...,
- les conclusions de M. Piveteau, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme X... a demandé à l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS de lui communiquer, par l'intermédiaire d'un médecin qu'elle avait désigné, le dossier médical de son père, décédé à l'hôpital Sainte-Périne le 25 décembre 1995 ; que l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS a opposé un refus à cette demande au motif qu'elle avait eu connaissance d'un litige entre les ayants droit du défunt ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 710-2 du code de la santé publique, alors en vigueur : "Les établissements de santé, publics ou privés, sont tenus de communiquer aux personnes recevant ou ayant reçu des soins, sur leur demande et par l'intermédiaire du praticien qu'elles désignent, les informations médicales contenues dans leur dossier médical" ; qu'aux termes de l'article R. 710-2-2 du même code pris pour l'application des dispositions précitées : "La communication du dossier médical intervient, sur la demande de la personne qui est ou a été hospitalisée ou de son représentant légal, ou de ses ayants droit en cas de décès, par l'intermédiaire d'un praticien qu'ils désignent à cet effet" ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les informations médicales contenues dans le dossier médical d'une personne qui a reçu des soins dans un établissement de santé sont communicables de plein droit aux ayants droit de cette personne, en cas de décès, sans que puisse y faire obstacle la circonstance qu'un litige opposant les ayants droit a été porté devant une juridiction et que les informations dont la communication a été demandée sont susceptibles d'être utilisées dans le cadre de ce litige ; que les dispositions de la loi du 17 juillet 1978, qui ont pour objet de faciliter, de manière générale, l'accès des personnes qui le demandent aux documents administratifs, n'affectent pas les droits que les intéressés tirent des règles particulières ainsi prévues par le code de la santé publique, qui régissent l'accès au dossier médical des personnes hospitalisées ; que, par suite, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en se fondant sur les dispositions précitées du code de la santé publique pour estimer, par un arrêt qui est suffisamment motivé, que le refus opposé à Mme X... par l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS était illégal ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt du 7 octobre 1999 de la cour administrative d'appel de Paris ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant ces dispositions font obstacle à ce que Mme X..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à payer à l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à payer à Mme X... une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE :
Article 1er : La requête de l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS est rejetée.
Article 2 : L'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS versera à Mme X... une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS, à Madame  X..., à M. Y... et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.