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Conseil d'Etat, 29 septembre 2010, n° 323148 (retard dans la prise en charge - perte de chance - responsabilité)

Une patiente est prise en charge aux urgences d'un hôpital où un diagnostic est posé (ischémie aiguë avec paralysie sensitivo-motrice). Toutefois, en raison de l'impossibilité de pratiquer sur place une embolectomie, la décision de transférer la patiente est prise. Ce transfert est effectué après que l'équipe de garde de l'hôpital concerné se soit heurtée à plusieurs refus d'hôpitaux quant au transfert de la patiente. Finalement, la revascularisation artérielle de cette patiente est intervenue neuf heures après le début de ses troubles. Elle a dû être amputée de la jambe gauche. La patiente forme un recours contre l'AP-HP qui est rejeté par un jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 15 décembre 2006. Son appel est rejeté par la Cour administrative d'appel de Paris le 15 octobre 2008 qui considérait alors que le retard apporté à l'administration d'un traitement anticoagulant n'avait pas fait perdre à la patiente une chance d'éviter l'amputation.
Le Conseil d'Etat annule l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en considérant que "la cour a relevé qu'en présence d'une ischémie sensitivo-motrice distale confirmée les traitements sont le plus souvent voués à l'échec et que l'administration immédiate d'anticoagulants n'aurait apporté aucune certitude de réussite quant à l'embolectomie qui s'est déroulée par la suite ; qu'en se fondant sur de tels motifs, qui impliquaient l'existence d'une possibilité, même limitée, d'efficacité du traitement, pour nier l'existence d'une quelconque perte de chance, la cour a commis une erreur de droit"

Conseil d'État
5ème sous-section jugeant seule

N° 323148   

Inédit au recueil Lebon


Mme Hubac, président
Mme Anissia Morel, rapporteur
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP DIDIER, PINET, avocats


Lecture du mercredi 29 septembre 2010

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 décembre 2008 et 10 mars 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Nicole A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 15 octobre 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 15 décembre 2006 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser une somme de 1 000 000 euros en réparation des préjudices résultant des fautes commises lors de son hospitalisation à l'Hôpital ... le 18 décembre 2000 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anissia Morel, auditeur,

- les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de Mme A,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, rapporteur public,

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de Mme A ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A, ayant ressenti le 18 décembre 2000 à 18 h 45 une violente douleur au mollet gauche, a contacté SOS médecins à 20 h 37 ; que le médecin qui s'est présenté à son domicile à 21 h 50, n'ayant pu établir un diagnostic précis, a décidé de la transférer à l'hôpital de secteur ; qu'admise aux urgences de l'hôpital ... à 22 h 45, la patiente a été examinée à 0 h par un médecin qui a posé le diagnostic d'ischémie aiguë avec paralysie sensitivo-motrice ; qu'elle a bénéficié à 1 h d'un traitement vasodilatateur et à 1 h 30 d'un traitement anticoagulant ; qu'en raison de l'impossibilité de pratiquer sur place une embolectomie, la décision a été prise de la transférer dans un centre spécialisé de chirurgie vasculaire ; qu'après s'être heurtée à plusieurs refus d'hôpitaux de la région parisienne, l'équipe de garde de l'hôpital ... a obtenu l'accord de l'hôpital ... où la patiente a été transférée à 2 h 47 et où elle a subi une embolectomie à 3 h 30 ; que la revascularisation artérielle est finalement intervenue à 4 h, soit neuf heures après le début des troubles ; que malgré cette opération qui a été suivie de deux autres, pratiquées les 19 et 27 décembre 2000, elle a dû être amputée de sa jambe gauche le 29 décembre 2000 ; que le recours indemnitaire de Mme A contre l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a été rejeté par un jugement du 15 décembre 2006 du tribunal administratif de Paris ; que son appel a été rejeté par un arrêt du 15 octobre 2008 de la cour administrative d'appel de Paris contre lequel elle se pourvoit en cassation ;

Considérant que, pour juger que le retard apporté à l'administration d'un traitement anticoagulant n'avait pas fait perdre à la patiente une chance d'éviter l'amputation, la cour a relevé qu'en présence d'une ischémie sensitivo-motrice distale confirmée les traitements sont le plus souvent voués à l'échec et que l'administration immédiate d'anticoagulants n'aurait apporté aucune certitude de réussite quant à l'embolectomie qui s'est déroulée par la suite ; qu'en se fondant sur de tels motifs, qui impliquaient l'existence d'une possibilité, même limitée, d'efficacité du traitement, pour nier l'existence d'une quelconque perte de chance, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, par suite, être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris le versement à Mme A de la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle devant le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A, qui n'est pas la partie perdante, la somme que demande l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris au titre de ces mêmes dispositions ;

D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 15 octobre 2008 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris versera à Mme A une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Nicole A, à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris.