Revenir aux résultats de recherche

Conseil d'Etat, 4 octobre 2010, n°327449 (responsabilité du fait des produits de santé - saisine de la Cour de justice de l'Union européenne)

Par cet arrêt, le Conseil d'Etat saisit le Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de 2 questions relatives à la responsabilité du fait des produits de santé et s'interroge plus exactement sur la compatibilité de sa jurisprudence avec les dispositions de la directive européenne 85/374/CEE du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, dispositions transposées depuis en droit français par la loi n°98-389 du 19 mai 1998 (articles 1386-1 et suivants du Code civil).
Les deux interrogations du Conseil d'Etat sont les suivantes :
"Compte tenu des dispositions de son article 13, la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 permet-elle la mise en œuvre d'un régime de responsabilité fondé sur la situation particulière des patients des établissements publics de santé, en tant qu'il leur reconnaît notamment le droit d'obtenir de ces établissements, en l'absence même de faute de ceux-ci, la réparation des dommages causés par la défaillance des produits et appareils qu'ils utilisent, sans préjudice de la possibilité pour l'établissement d'exercer un recours en garantie contre le producteur ?
La directive limite-t-elle la possibilité pour les Etats membres de définir la responsabilité des personnes qui utilisent des appareils ou produits défectueux dans le cadre d'une prestation de services et causent, ce faisant, des dommages au bénéficiaire de la prestation ?".
Le Conseil d'Etat décide de surseoir à statuer jusqu'à ce que la CJUE se soit prononcée sur ces questions. Il avait été saisi pour les faits suivants : un enfant a été victime au cour d'une intervention chirurgicale de brûlures causées par un matelas chauffant sur lequel il avait été installé. Le Centre hospitalier concerné avait été condamné tant en 1ère instance qu'en appel, en réparation des conséquences dommageables de cette intervention chirurgicale. La décision de la CJUE est attendue.
Conseil d'État
5ème et 4ème sous-sections réunies

N° 327449   


Mentionné dans les tables du recueil Lebon


M. Vigouroux, président
M. Xavier de Lesquen, rapporteur
LE PRADO, avocat


Lecture du lundi 4 octobre 2010

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 27 avril et 27 juillet 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON, dont le siège est 2, place Saint-Jacques à Besançon Cedex (25030) ; le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 26 février 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 27 mars 2007 par lequel le tribunal administratif de Besançon l'a condamné, en réparation des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale pratiquée le 3 octobre 2000 sur Thomas A, à verser à M. Pascal A la somme de 9 000 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie du Jura la somme de 5 974,99 euros ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel devant la cour administrative d'appel de Nancy ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 85/374/CEE du Conseil des communautés européennes du 25 juillet 1985 ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Thomas A, alors âgé de 13 ans, a été victime, au cours d'une intervention chirurgicale pratiquée le 3 octobre 2000 au CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANÇON, de brûlures causées par un matelas chauffant sur lequel il avait été installé ; que, par un jugement du 27 mars 2007, le tribunal administratif de Besançon a condamné le centre hospitalier universitaire à réparer le dommage en versant à la victime une somme de 9 000 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie du Jura une somme de 5 974,99 euros ; que le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 26 février 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement ;

Considérant que, pour confirmer la condamnation du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANÇON à réparer le dommage subi par Thomas A, la cour administrative d'appel a jugé que le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise ; que la cour a ajouté qu'eu égard aux dispositions de son article 13, la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux ne faisait pas obstacle à l'application de ce principe ; que, selon le pourvoi, elle a commis sur ce point une erreur de droit ;

Considérant que la directive du 25 juillet 1985, dont les dispositions sont transposées aux articles 1386-1 et suivants du code civil, prévoit que la responsabilité des dommages corporels et, dans certains cas, des dommages matériels causés par un produit défectueux incombe au producteur, selon les modalités qu'elle définit ; que son article 13 dispose cependant que : La présente directive ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité existant au moment de la notification de la présente directive ;

Considérant que la responsabilité des établissements publics de santé à l'égard de leurs patients est régie par des principes dégagés par le juge administratif et par des dispositions législatives ; que ce régime particulier de responsabilité extra-contractuelle a pour fondement les relations spécifiques qui s'établissent entre le service public hospitalier et les personnes qu'il prend en charge ; qu'il comporte notamment le principe, dont la cour administrative d'appel de Nancy a fait application, selon lequel un établissement doit réparer, en l'absence même de faute de sa part, le dommage subi par un patient du fait de la défaillance d'un appareil ou d'un produit utilisé dans le cadre des soins ; que si ce principe a été dégagé par le Conseil d'Etat dans une décision du 9 juillet 2003, postérieurement à la notification de la directive, dans le cadre d'un litige né antérieurement à sa date limite de transposition, il peut être soutenu qu'il demeure applicable aux dommages survenus postérieurement à cette date au bénéfice des dispositions précitées de l'article 13 qui réservent les droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre de la responsabilité (...) extra-contractuelle , dès lors qu'il relève d'un régime de responsabilité ayant un fondement spécifique, distinct de celui du régime de responsabilité du fait des produits défectueux organisé par la directive ; que la question ainsi posée, qui est déterminante pour l'issue du litige, présente une difficulté sérieuse, justifiant que la Cour de justice de l'Union européenne en soit saisie ;

Considérant qu'en cas de réponse négative à la question énoncée ci-dessus, l'issue du litige dépendrait du point de savoir si le régime de responsabilité défini par la directive concerne, outre les dommages subis par les utilisateurs du produit défectueux, ceux qu'un utilisateur a pu causer à un tiers, notamment dans le cadre d'une prestation de service au bénéfice de ce dernier ; que cette question présente également une difficulté sérieuse justifiant qu'elle soit soumise à la Cour de justice de l'Union européenne ;

Considérant qu'il y a lieu de surseoir à statuer sur le pourvoi du centre hospitalier universitaire de Besançon jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée ;

D E C I D E :

Article 1er : Il est sursis à statuer sur le pourvoi n° 327449 jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :
a. Compte tenu des dispositions de son article 13, la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 permet-elle la mise en oeuvre d'un régime de responsabilité fondé sur la situation particulière des patients des établissements publics de santé, en tant qu'il leur reconnaît notamment le droit d'obtenir de ces établissements, en l'absence même de faute de ceux-ci, la réparation des dommages causés par la défaillance des produits et appareils qu'ils utilisent, sans préjudice de la possibilité pour l'établissement d'exercer un recours en garantie contre le producteur '
b. La directive limite-t-elle la possibilité pour les Etats membres de définir la responsabilité des personnes qui utilisent des appareils ou produits défectueux dans le cadre d'une prestation de services et causent, ce faisant, des dommages au bénéficiaire de la prestation '

Article 2 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE BESANCON, à M. Pascal A, à la caisse primaire d'assurance maladie du Jura et au président de la Cour de justice de l'Union européenne.
Copie pour information en sera adressée à la ministre de la santé et des sports.