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Conseil d’Etat, QPC, 16 mars 2012, n° 355087 (Accouchement sous X – QPC)

Le 16 mars 2012, le Conseil d’Etat a renvoyé une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’accouchement sous X au Conseil constitutionnel. Ce dernier va ainsi devoir se prononcer sur la conformité à la Constitution des articles L. 22-6 et L. 147-6 du Code de l’action sociale et des familles, issus de la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’Etat. En l’espèce, le Conseil d’Etat avait été saisi par le Tribunal administratif de Paris qui doit statué sur un litige entre le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles et un homme auquel elle a opposé une fin de non-recevoir à sa demande d’accès à ses origines personnelles. Le Conseil d’Etat considère que la question de l’atteinte prétendue aux principes garantis par la Constitution présente un caractère sérieux. Il est d’ailleurs à noter que le Conseil constitutionnel n’avait pas été saisi après l’adoption de la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’Etat et que cette QPC apparaît peu de temps après le dépôt fin décembre 2011 d’une proposition de loi de la députée Brigitte BAREGES tendant à la levée de l’anonymat et à l’organisation de l’accouchement dans le secret.

Conseil d'État

N° 355087   
Inédit au recueil Lebon
2ème sous-section jugeant seule
M. Edmond Honorat, président
Mme Airelle Niepce, rapporteur
M. Damien Botteghi, rapporteur public

lecture du vendredi 16 mars 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu l'ordonnance n° 1102695 du 19 décembre 2011, enregistrée le 20 décembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle la présidente de la 2ème chambre de la 7ème sous-section du tribunal administratif de Paris, avant de statuer sur la demande de M. Matthieu A tendant à l'annulation de la décision du 22 décembre 2010 par laquelle le président du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles a rejeté sa demande d'accès à ses origines personnelles, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 147-6 et L. 222-6 du code de l'action sociale et des familles ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu le code de l'action sociale et des familles, notamment ses articles L. 147-6 et L. 222-6 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, chargée des fonctions de Maître des requêtes,

- les conclusions de M. Damien Botteghi, rapporteur public ;

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité de la Constitution d'une disposition législative, le Conseil Constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait jamais été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 222-6 du code de l'action sociale et des familles : " Toute femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité par un établissement de santé est informée des conséquences juridiques de cette demande et de l'importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire. Elle est donc invitée à laisser, si elle l'accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l'enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité. Elle est informée de la possibilité qu'elle a de lever à tout moment le secret de son identité et, qu'à défaut, son identité ne pourra être communiquée que dans les conditions prévues à l'article L. 147-6 (...) " ; que, par ailleurs, aux termes de l'article L. 147-6 du même code, le conseil national pour l'accès aux origines personnelles " communique aux personnes mentionnées au 1° de l'article L. 147-2, (...) , l'identité de la mère de naissance :/ - s'il dispose déjà d'une déclaration expresse de levée du secret de son identité ;/ - s'il n'y a pas eu de manifestation expresse de sa volonté de préserver le secret de son identité, après avoir vérifié sa volonté ;/ - si l'un de ses membres ou une personne mandatée par lui a pu recueillir son consentement exprès dans le respect de sa vie privée ;/ - si la mère est décédée, sous réserve qu'elle n'ait pas exprimé de volonté contraire à l'occasion d'une demande d'accès à la connaissance des origines de l'enfant. (...) " ;

Considérant que M. A soutient que les dispositions des articles L. 147-6 et L. 222-6 du code l'action sociale et des familles, en ce qu'elles organisent une possibilité pour toute femme d'accoucher sans révéler son identité et qu'elles conditionnent toute levée ultérieure du secret de son identité à son accord, privant les enfants nés au terme d'un tel accouchement de la possibilité de connaître leurs origines, portent atteinte au droit au respect de la vie privée, au principe d'égalité et au droit de mener une vie familiale normale tels que garantis respectivement par les articles 2 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;

Considérant que les articles L. 147-6 et L. 222-6 du code de l'action sociale et des familles sont applicables au litige dont est saisi le tribunal administratif de Paris, au sens et pour l'application de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ; que ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale, soulève une question qui, sans être nouvelle, présente un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;

D E C I D E :
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Article 1er : La question de conformité à la Constitution des articles L. 147-6 et L. 222-6 du code l'action sociale et des familles est renvoyée au Conseil Constitutionnel.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Matthieu A, à la ministre des solidarités et de la cohésion sociale et au Premier ministre. Copie en sera adressée au tribunal administratif de Paris.