Revenir aux résultats de recherche

Cour Administrative d'Appel - 23 octobre 2007 (Infection nosocomiale - infection - germe microbien - faute organisation et fonctionnement)

La Cour administrative d’appel de Bordeaux condamne un centre hospitalier pour introduction dans l’organisme du patient d’un germe microbien lors d’une intervention chirurgicale. En l’espèce, le patient avait subi une opération suite à un accident de la circulation le 31 janvier 1998. Après différentes complications dues notamment à la cicatrisation de sa blessure, la victime a subi une amputation au tiers supérieur de la jambe gauche. La Cour précise que même si l’opération initiale a été réalisée dans les règles de l’art, « le délai de survenance de cette infection conduit à retenir
son caractère nosocomial ». Ainsi, le centre hospitalier a commis une faute résultant de l’organisation et du fonctionnement de ses services.

" (...) Considérant que la circonstance invoquée par le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC que les prélèvements réalisés les 6 et 11 février 1998 sur la jambe gauche étaient négatifs ne saurait démontrer que l'infection mise en évidence à partir du 19 mars 1998 aurait eu une origine endogène ou aurait été contractée après la sortie de l'intéressé de l'hôpital le 2 mars 1998 ; qu'il résulte du rapport de l'expert désigné par le Tribunal administratif, que si l'intervention du 31 janvier 1998 a été réalisée dans les règles de l'art et si l'infection constituait une complication prévisible compte tenu de la gravité de la fracture, le délai de survenance de cette infection conduit à retenir son caractère nosocomial ; que alors même qu'aucune faute ne peut être reprochée aux praticiens qui ont exécuté l'opération , l'introduction dans l'organisme du patient d'un germe microbien lors d'une intervention chirurgicale révèle une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service hospitalier ; que le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC n'est en conséquence pas fondé à soutenir que c'est à tort que , par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Poitiers l'a déclaré responsable des conséquences dommageables de l' infection dont a été victime M. ; (...)"

Cour Administrative d'Appel de Bordeaux
statuant au contentieux

N° 04BX01643
Inédit au Recueil Lebon

2ème chambre (formation à 3)


Mme Mathilde FABIEN, Rapporteur
Mme VIARD, Commissaire du gouvernement

M. DUDEZERT, Président
SCP HAIE-PASQUET-VEYRIER


Lecture du 23 octobre 2007


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu I°)la requête, enregistrée le 17 septembre 2004 au greffe de la Cour sous le n°04BX01643, présentée pour la CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE (CMSA) DE LA CHARENTE, dont le siège est 46 boulevard du Dr Duroselle à Angoulême (16000), par la SCP Haie-Pasquet-Veyrier ;

La CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE demande à la Cour :

- d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Poitiers en date du 27 juillet 2004 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier (CH) de Cognac à lui rembourser les débours liés à l'hospitalisation de M. ;
- de condamner le centre hospitalier de Cognac à lui verser une indemnité de 9 634,01 euros, assortie des intérêts légaux et des intérêts des intérêts, ainsi qu'une somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles ;
------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu II °) la requête, enregistrée le 27 septembre 2004 sous le n° 04BX01685, présentée pour la SOCIETE GROUPAMA CENTRE ATLANTIQUE, dont le siège est 1 avenue de Limoges BP 8527 à Niort (79044) par la SCP Haie-Pasquet-Veyrier ;

La SOCIETE GROUPAMA CENTRE ATLANTIQUE demande à la Cour :

- d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Poitiers en date du 27 juillet 2004 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier (CH) de Cognac à lui rembourser les débours liés à l'hospitalisation de M. ;
- de condamner le centre hospitalier de Cognac à lui verser une indemnité de 95 222,48 euros, assortie des intérêts légaux et des intérêts des intérêts, ainsi qu'une somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu III °) la requête, enregistrée le 22 octobre 2004 sous le n° 04BX01793, présentée pour le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC, dont le siège est Rue de Montesquieu B.P. 15 à Cognac (16108) par Me Le Prado ;
I
demande à la Cour d'annuler le jugement en date du 27 juillet 2004 par lequel le Tribunal administratif de Poitiers l'a condamné à verser une indemnité de 26 000 euros, assortie des intérêts, à M. en réparation des conséquences dommageables de l'infection nosocomiale dont il a été victime à la suite de son hospitalisation le 31 janvier 1998 ;
------------------------------------------------------------------------------------------------------
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 septembre 2007,
- le rapport de Mme Fabien, premier conseiller ;
- les observations de Me Brossier de la SCP Haie-Pasquier-Veyrier pour la CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LA CHARENTE, pour LA SOCIETE GROUPAMA CENTRE ATLANTIQUE et pour M. ;
- et les conclusions de Mme Viard, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par requêtes enregistrées respectivement sous les n° 04BX01643, 04BX01685 et 04BX01793, LA CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE (CMSA) DE LA CHARENTE, la SOCIETE GROUPAMA et le CENTRE HOSPITALIER (CH) DE COGNAC font appel du jugement du Tribunal administratif de Poitiers en date du 27 juillet 2004 ; que ces requêtes sont relatives aux conséquences d'un même accident et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que si le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC soutient que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé au regard des conclusions dont le Tribunal administratif a été saisi de sa part, ce moyen est dépourvu de toute précision permettant d'en contrôler le bien-fondé ;
Sur la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, à la suite d'un accident de la circulation, M. a subi le 31 janvier 1998 au CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC une intervention en vue notamment de la réduction de la fracture de sa jambe gauche avec ostéosynthèse par plaque vissée ; qu'à la suite du retard de cicatrisation et de la nécrose cutanée de sa jambe , une infection par streptocoque du groupe D et pseudomonas aeruginosa a été mise en évidence par prélèvement du 19 mars 1998 ; que compte tenu de la persistance de cet état infectieux, au cours duquel a été également mise en évidence la présence d'un staphylocoque aureus le 28 avril 1998 puis d'un germe pyocyanique le 1er mars 2000, il a subi de très nombreuses interventions dont une amputation au tiers supérieur de la jambe gauche le 20 mars 2001 ;

Considérant que la circonstance invoquée par le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC que les prélèvements réalisés les 6 et 11 février 1998 sur la jambe gauche étaient négatifs ne saurait démontrer que l'infection mise en évidence à partir du 19 mars 1998 aurait eu une origine endogène ou aurait été contractée après la sortie de l'intéressé de l'hôpital le 2 mars 1998 ; qu'il résulte du rapport de l'expert désigné par le Tribunal administratif, que si l'intervention du 31 janvier 1998 a été réalisée dans les règles de l'art et si l'infection constituait une complication prévisible compte tenu de la gravité de la fracture, le délai de survenance de cette infection conduit à retenir son caractère nosocomial ; que alors même qu'aucune faute ne peut être reprochée aux praticiens qui ont exécuté l'opération , l'introduction dans l'organisme du patient d'un germe microbien lors d'une intervention chirurgicale révèle une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service hospitalier ; que le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC n'est en conséquence pas fondé à soutenir que c'est à tort que , par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Poitiers l'a déclaré responsable des conséquences dommageables de l' infection dont a été victime M. ;

Sur les droits à réparation de M. :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que le taux de l'invalidité permanente partielle dont reste atteint M. et étant imputable aux complications infectieuses doit être évalué à 20 % ; que lesdites complications ont également induit une majoration et un prolongement très importants de ses souffrances physiques ainsi qu'un préjudice esthétique en raison de l'amputation partielle de sa jambe gauche ; qu'il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature, incluant le préjudice d'agrément, qu'il subit à raison de son invalidité permanente partielle ainsi que de ses souffrances et de son préjudice esthétique en les évaluant à 32 000 euros ;

Considérant par ailleurs que M. , exploitant agricole, a subi une invalidité totale temporaire imputable aux complications infectieuses d'environ 2 ans et 5 mois ; que s'il fait valoir qu'il a été privé au cours de cette période de sa rémunération au titre de sa participation aux travaux de l'exploitation de l'EARL de la Voute dont il est associé et qu'il n'a perçu aucune indemnité journalière, il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale de l'EARL relatif à l'exercice 1997 qu'il a été décidé de ne plus lui allouer une rémunération à ce titre à compter du 1er janvier 1998, soit antérieurement à son accident du 31 janvier 1998 ; que si l'intéressé soutient également avoir subi en 2000 et 2001 une perte de revenus en sa qualité d'associé de l'EARL de la Voute en raison de la modification de la répartition des résultats induite par l' augmentation du capital social et de la participation des autres associés, il n'établit pas que cette modification serait en relation avec son invalidité totale temporaire ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. est uniquement fondé à demander, par la voie de l'appel incident, que l'indemnité que le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC a été condamné à lui verser soit portée de 26 000 euros à 32 000 euros ;
Sur les droits de la CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LA CHARENTE :

Considérant que pour rejeter la demande de la CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LA CHARENTE tendant à la condamnation du CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC à lui verser une somme de 9 634,01 euros en remboursement de prestations versées pour le compte de son assuré, M. , le Tribunal administratif de Poitiers s'est fondé sur la circonstance qu'elle ne justifiait pas que ses débours soient liés aux conséquences de l'infection dont a été victime M. ; que la CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LA CHARENTE, en se bornant à produire en appel des documents ne mentionnant ni la date des prestations en cause, ni leur nature et à préciser que, les feuilles de soins n'étant conservées que pendant trois ans, elle est dans l'incapacité de justifier du détail desdites prestations, n'apporte aucun élément nouveau permettant de justifier de leur imputabilité, même partielle, à l'infection subie par M. qui est contestée par le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC ; qu'elle n'est en conséquence pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif a rejeté sa demande indemnitaire ;

Sur les droits de la SOCIETE GROUPAMA :

Considérant que la SOCIETE GROUPAMA justifie, par la production des feuilles de soins correspondantes, du remboursement entre le 19 mars 1998 et le 21 mars 2001, de frais médicaux , pharmaceutiques, d'hospitalisation, de transport et de prothèse d'un montant total de 85 108, 48 euros qui doivent, compte tenu de leur nature et de leur date d'engagement, être regardés comme imputables à l'infection dont a été victime son assuré, M. ; qu'en particulier, et contrairement à ce que soutient le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC, ce montant n'inclut pas les frais d'hospitalisation imputables exclusivement à l'accident initial du 31 janvier 1998 ; qu'il résulte de l'instruction que la prothèse, rendue nécessaire par l'amputation partielle de la jambe de M. , devra faire l'objet d'un renouvellement ; que le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC ne conteste pas la fixation à 10 114 euros du montant du capital représentatif de ces frais futurs ; que la SOCIETE GROUPAMA est en conséquence fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à ce que le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC soit condamné à lui verser une indemnité de 95 222,48 euros ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

Considérant que la SOCIETE GROUPAMA a droit aux intérêts au taux légal de la somme de la somme de 95 222,48 euros à compter du 28 février 2003, date de sa demande préalable d'indemnisation ; qu'il était dû au moins une année d'intérêts le 4 mars 2004, date d'enregistrement de sa demande tendant à la capitalisation des intérêts ; que dès lors et en application de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande tendant à ce que les intérêts échus le 4 mars 2004, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, soient capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-même intérêts ;

Sur l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC qui n'est pas la partie perdante dans l' instance l'opposant à la CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LA CHARENTE soit condamné à verser à cette dernière la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu de condamner à ce titre le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC à verser une somme de 500 euros à M. ainsi qu'une somme de 500 euros à la SOCIETE GROUPAMA ;

DECIDE

Article 1 : Le montant de l'indemnité que le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC est condamné à verser à M. est porté de 26 000 euros à 32 000 euros.

Article 2 : Le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC est condamné à verser une indemnité de 95 222,48 euros à la SOCIETE GROUPAMA. Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 28 février 2003. Les intérêts échus le 4 mars 2004, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Poitiers en date du 27 juillet 2004 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC versera une somme de 500 euros à M. et une somme de 500 euros à la SOCIETE GROUPAMA en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les requêtes du CENTRE HOSPITALIER DE COGNAC et de la CAISSE DE MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LA CHARENTE ainsi que le surplus des conclusions de l'appel incident de M. sont rejetés.