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Cour administrative d’appel de Marseille, 12 mars 2012, n° 09MA03160 (Urgences psychiatriques – Responsabilité hospitalière – Suicide – Absence de surveillance renforcée)

En l’espèce, un patient est admis aux urgences psychiatriques dépendant d’un établissement public de santé sur prescription de son médecin psychiatre en raison d’un épisode dépressif sévère accompagné de tendances suicidaires nécessitant une prise en charge avec des rondes fréquentes et un hébergement en chambre double. Il s’est suicidé deux jours plus tard dans sa chambre d’hôpital par pendaison en utilisant la sangle du sac contenant ses affaires. En première instance, le tribunal administratif a rejeté la demande des ayants droit tendant à la condamnation du centre hospitalier à des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi. Toutefois, la Cour administrative d’appel a fait droit à la requête en relevant que « faute de conclure, dans le deux jours qui ont suivi son admission, à une amélioration notable et durable de l’état du malade, celui-ci appelait des mesures particulières de surveillance destinées à empêcher toute nouvelle tentative de suicide ». Elle considère que «  dans ces circonstances et quel que soit le motif de déplacement de son voisin de chambre, le fait d’avoir laissé à la disposition de ce patient son sac de sport pourvu d’une sangle dans une chambre elle-même pourvue d’une bar de rideau et (…) laissé seul [le patient] (…) sans mise en place de mesures de vigilance et de surveillance spécifiques alors que son état psychique pouvait laisser présager (…) un passage à l’acte, révèlent une faute dans le fonctionnement du service public hospitalier ».

Cour Administrative d'Appel de Marseille
2ème chambre - formation à 3
N° 09MA03160
Inédit au recueil Lebon

M. BENOIT, président
Mme Christine MASSE-DEGOIS, rapporteur
Mme FEDI, rapporteur public
LE PRADO, avocat

Lecture du lundi 12 mars 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 14 août 2009, présentée pour M. Jean-Jacques B et Mme Annie ... épouse B demeurant ... (83136) et M. Alain C demeurant ... (83130), par Me Collard ; M. et Mme B et M. C demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0603679 en date du 5 juin 2009 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier Henri Guérin à leur verser à chacun la somme de 20 000 euros ;

2°) d'annuler la décision de refus d'indemnisation et de condamner le centre hospitalier d'Hyères à verser, en réparation du préjudice moral subi, à M. et Mme B une somme de 25 000 euros chacun et à M. C une somme de 10 000 euros ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Hyères la somme de 2 500 euros au titre des frais d'instance ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 13 janvier 2010, présenté par le centre hospitalier d'Hyères qui conclut à sa mise hors de cause et au rejet de la requête des consorts B ainsi qu'à la mise à leur charge de la somme de 2 200 euros au titre des frais d'instance ;

Vu le mémoire, enregistré le 2 septembre 2010, présenté par les consorts B et C qui dirigent leurs conclusions précédentes à l'encontre du centre hospitalier Henri Guérin aux lieu et place du centre hospitalier d'Hyères ;

Vu le mémoire, enregistré le 22 septembre 2011, présenté par le centre hospitalier Henri Guérin à Pierrefeu qui conclut à la confirmation du jugement attaqué, au rejet de la requête des consorts B et C ainsi qu'à la mise à leur charge de la somme de 3 000 euros au titre des frais d'instance ;

Vu le mémoire enregistré le 14 novembre 2011, présenté pour les consorts B et C par Me Collard ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 février 2012 :
- le rapport de Mme Massé-Degois, première conseillère ;
- les conclusions de Mme Fedi, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Lazaud pour la SELARL Collard et Associés pour M. et Mme B et M. C et de Me Zuelgaray pour le centre hospitalier Henri Guérin ;
Considérant que M. Pascal D, admis le 11 janvier 2000 aux urgences psychiatriques dépendant du centre hospitalier Henri Guérin, a été retrouvé pendu dans sa chambre le 13 janvier suivant à 11 heures 30 ; que M. et Mme B et M. C, qui soutiennent que le décès de leur fils et neveu est imputable à des fautes commises par l'établissement psychiatrique spécialisé, relèvent appel du jugement du 5 juin 2009 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier Henri Guérin à leur verser à chacun la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi ; qu'en appel, ils sollicitent la condamnation du centre hospitalier Henri Guérin à Pierrefeu à verser la somme de 25 000 euros à M. B, la même somme à Mme ...épouse B en leur qualité de parents de la victime décédée et la somme de 10 000 euros à M. ...en sa qualité d'oncle du défunt ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier Henri Guérin à Pierrefeu :
Considérant que le 13 janvier 2000, vers 11 heures 30, M. Pascal D s'est suicidé par pendaison dans la chambre du centre hospitalier Henri Guérin où il avait été admis deux jours plus tôt en utilisant la sangle du sac contenant ses affaires ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Pascal D a été admis le 11 janvier 2000 au sein de l'unité d'urgence psychiatrique d'Hyères sur prescription de son médecin psychiatre en raison d'un épisode dépressif sévère accompagné de tendances suicidaires nécessitant une prise en charge avec des rondes fréquentes et un hébergement en chambre double ; que le lendemain de son admission, M. D a tenté de mettre fin à ses jours ; qu'après cette tentative de suicide, le médecin psychiatre a modifié son traitement en vue de réduire l'impulsivité suicidaire et lui ont été retirés le coupe ongle ainsi que la ceinture de son pantalon ; que les examens pratiqués lors de son admission le 11 janvier et le lendemain de son admission, le 12 janvier soit la veille de son geste fatal, avaient confirmé, chez M. D, l'existence d'un état dépressif et d'idées de culpabilité ainsi que la nécessité d'une surveillance particulièrement attentive ; que tant la fiche du suivi infirmier du 11 janvier 2000 que la fiche observation clinique du dossier médical du 12 janvier 2000 de M. D font apparaître les mentions " A surveiller ++ " et " A surveiller +++ " ; que, faute de conclure, dans les deux jours qui ont suivi son admission, à une amélioration notable et durable de l'état du malade, celui-ci appelait des mesures particulières de surveillance destinées à empêcher toute nouvelle tentative de suicide ; que, dans ces circonstances, et quelque soit le motif du déplacement de son voisin de chambre, le fait d'avoir, d'une part, laissé à la disposition de M. D son sac de sport pourvu d'une sangle dans une chambre elle-même pourvue d'une barre de rideau et, d'autre part, laissé seul M. D à partir de 10 heures 30 sans mise en place de mesures de vigilance et de surveillance spécifiques alors que son état psychique pouvait laisser présager au vu des éléments sus-décrits un passage à l'acte, révèlent une faute dans le fonctionnement du service public hospitalier ; que, par suite, les appelants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont écarté la responsabilité du centre hospitalier Henri Guérin à Pierrefeu ;

Sur le préjudice :
Considérant, d'une part, qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en fixant à 15 000 euros la somme due à chacun des parents de la victime décédée en raison de la douleur morale qu'ils ont éprouvée et qu'ils éprouvent consécutivement au décès de leur fils âgé de 31 ans à la date des faits et dont il n'est pas contesté qu'il vivait à leur domicile ;
Considérant, d'autre part, qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en fixant à 5 000 euros la somme due à l'oncle de la victime décédée, psychologue de profession, en raison de la douleur morale qu'il a éprouvée et qu'il éprouve consécutivement au décès de son neveu qu'il épaulait " dans les moments difficiles " selon ses dires non contestés par le centre hospitalier Henri Guérin à Pierrefeu ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme B et M. C sont fondés à soutenir que c'est à tort que, dans cette mesure, par le jugement attaqué le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande d'indemnisation du préjudice moral qu'ils ont subi consécutivement au décès de leur fils et neveu au sein du centre hospitalier Henri Guérin à Pierrefeu ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, d'une part, que ces dispositions font obstacle à ce que les consorts B et C, qui ne sont pas la partie perdante à la présente instance, versent quelque somme que ce soit aux centres hospitaliers d'Hyères et Henri Guérin à Pierrefeu au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; que, d'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les consorts B et C au titre des dispositions de cet article et de mettre à la charge du centre hospitalier Henri Guérin à Pierrefeu le versement d'une somme de 2 000 euros ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement susvisé n° 0603679 du 5 juin 2009 du tribunal administratif de Nice est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier Henri Guérin à Pierrefeu versera la somme de 15 000 euros à M. B, la somme de 15 000 euros à Mme C épouse B et la somme de 5 000 euros à M. C.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par les consorts B-C et les conclusions présentées par le centre hospitalier d'Hyères et le centre hospitalier Henri Guérin à Pierrefeu sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : Le centre hospitalier Henri Guérin à Pierrefeu versera la somme de 2 000 euros aux consorts B-C sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean-Jacques B, à Mme Annie ...épouse B, à M. Alain C, au centre hospitalier d'Hyères, au centre hospitalier Henri Guérin à Pierrefeu et à la mutuelle sociale agricole du Var.