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Cour Administrative d'Appel de Marseille, 25 juin 2009, n° 07MA02024 (Centre hospitalier - Echanges téléphoniques avec le médecin régulateur du SAMU- Destruction fautive des bandes d'enregistrement)

Les établissements de santé sont-ils tenus de conserver l’enregistrement des échanges téléphoniques des médecins régulateurs du SAMU ? C’est à cette question que la Cour administrative d’appel de Marseille a été amenée à répondre à travers une espèce où un centre hospitalier a détruit l’enregistrement des conversations téléphoniques relatives à l’intervention du SAMU lors du malaise d’une personne qui décédera d’un infarctus.
L’hôpital justifiait la destruction des enregistrements litigieux en invoquant l’absence de texte législatif ou réglementaire imposant la conservation des cassettes. La Cour a balayé cet argument en considérant la destruction fautive, car ces enregistrements constituent un document produit par l’hôpital dans l’exercice de son activité et qu’ils présentent ainsi le caractère d’archives publiques dont la conservation et l’éventuelle destruction sont régies par le code du patrimoine, lequel interdit toute élimination sans le visa de la direction des Archives de France. La Cour se prononce ainsi en prenant soin de préciser qu’il n’y a pas lieu, au regard de leur nature d’archives publiques, de rechercher si ces enregistrements faisaient ou non partie du dossier médical de l’intéressé, et qu’au demeurant, l’hôpital avait parfaitement connaissance de l’importance que revêtait ces cassettes.
Par ailleurs, compte tenu de l’absence de lien de causalité entre la destruction des enregistrements litigieux et le décès, les demandes de la famille tendant à mettre à la charge de l’hôpital la réparation du préjudice moral consécutif au décès sont rejetées.

Cour Administrative d'Appel de Marseille, 25 juin 2009,
3ème chambre

N° 07MA02024

Audience du 28 mai 2009
Lecture du 25 juin 2009

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 4 juin 2007, présentée pour Mme X., demeurant ..., M. X., demeurant ..., X., demeurant ..., par Me Ravaz ;

Mme X. et autres demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0403444 du 20 avril 2007 par lequel Tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à ce que le centre hospitalier intercommunal de Toulon-La Seyne-sur-Mer soit condamné à leur verser à chacun la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral et psychologique qu'ils ont subi à la suite du décès de leur époux et père, et de l'impossibilité dans laquelle ils se sont trouvés d'apporter la preuve d'une ou d'erreurs commises lors du décès de M. X. et d'obtenir réparation, et à verser la somme de 300 000 euros à Mme X. en réparation de son préjudice économique lié au décès de M. X. et à l'impossibilité où elle se trouve de prouver qu'une ou des fautes ont été commises lors du décès de son époux et d'obtenir réparation ;

2°) de condamner le centre hospitalier intercommunal de Toulon-La Seyne-sur-Mer à leur verser à chacun la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral et psychologique qu'ils ont subi à la suite du décès de M. X. et à la suite de la disparition d'une pièce à conviction, et à verser la somme de 300 000 euros à Mme X. en réparation dé son préjudice économique ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal de Toulon-La Seyne-sur-Mer la somme de 4 000 euros, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossiers ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives

Vu le décret n°79-1037 du 3 décembre 1979 relatif à la compétence des services d'archives publics et à la coopération entre les administrations pour la collecte, la conservation et la communication des archives publiques ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu l'arrête du vice-président du Conseil d'Etat en date du 27 janvier 2009 fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 mai 2009 :

- le rapport de Mme Menasseyre, premier conseiller,

- les conclusions de M. Dubois, rapporteur public,

- et les observations de Me Ravaz, pour les consorts X., et de Me Combemorel, substituant Me Le Prado, pour le centre hospitalier intercommunal de Toulon-La Seyne-sur-Mer ;

Considérant que M. X., époux et père des requérants, a été pris d'un malaise à son domicile, le 12 mars 2000 ; que sa famille a immédiatement sollicité l'intervention de son voisin, médecin, des pompiers et du SAMU ; que l'intervention de ce dernier, initialement mis en alerte, a toutefois été différée à la suite d'une conversation entre le médecin régulateur et le médecin présent sur place ; que M. X. est décédé peu après, dans le véhicule des pompiers, malgré l'intervention du SAMU, à nouveau sollicitée ; que les consorts X. demandent à la Cour d'annuler le jugement en date du 20 avril 2007 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à la réparation des préjudices résultant pour eux du décès de M. X., et de la disparition des bandes d'enregistrement des conversations téléphoniques échangées ce jour là entre le médecin régulateur et l'épouse de M. X., et entre le médecin régulateur et leur voisin médecin intervenu sur place ;

Sur la fin de non recevoir opposée par le centre hospitalier intercommunal de Toulon-La Seyne-sur-Mer :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative « La requête (...) contient l'exposé des faits et moyens (...) / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d 'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. » ;

Considérant que la requête présentée par les consorts X. expose les moyens de fait et de droit pour lesquels ils estiment, que le jugement attaqué encourt l'annulation ; que cette requête ne constitue pas la reproduction de leur mémoire de première instance et conteste de façon précise l'appréciation portée par les premiers juges sur le rejet de leur demande indemnitaire ; que la circonstance que ces moyens soient identiques à ceux par lesquels ils ont présenté leur demande devant le tribunal administratif n'est pas de nature à rendre irrecevable leur requête d'appel ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier intercommunal de Toulon-La Seyne-sur-Mer sur ce fondement doit être écartée ;

Sur l'existence d'une faute

Considérant qu'il résulte des procès-verbaux d'audition réalisés dans le cadre de l'instruction ouverte sur les faits de destruction de preuve auprès du Tribunal de grande instance de Toulon que les conversations téléphoniques relatives à l'intervention du SAMU lors du malaise dont a été victime M. X., ont été effectivement enregistrées, dés lors que des médecins du service ont pu procéder, par la suite, à, l'audition de cet enregistrement ; qu'il résulte également de l'instruction que le centre hospitalier de Toulon, qui avait, dans un premier temps, refusé de communiquer ces enregistrements à Mme X. lorsqu'elle en a fait la demande, en invoquant successivement différents motifs, a indiqué à l'intéressée, en mars 2003, qu'il n'était pas en mesure, malgré un avis en ce sens rendu par la commission d'accès aux documents administratifs, de lui faire parvenir ces documents, dès lors que ces enregistrements avaient été détruits ; que les requérants soutiennent que la destruction des bandes d'enregistrement litigieuses est fautive ; qu'en défense, le centre hospitalier intercommunal de Toulon-La Seyne-sur-Mer fait notamment valoir qu'aucune faute ne saurait lui être reprochée, dès lors qu'aucun texte législatif ou réglementaire n'imposait la conservation de ces cassettes ; qu'il appartient à la Cour, qui ne saurait être regardée comme relevant ce faisant d'office un moyen, de répondre au moyen de défense ainsi opposé par le centre hospitalier ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979, repris depuis aux articles L.211-1 et L.211-2 du code du patrimoine : « Les archives sont l'ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l'exercice de leur activité. La conservation des archives est organisée dans l'intérêt public tant pour les besoins de la gestion et de la justification des droits des personnes physiques ou morales, publiques ou privées, que pour la documentation historique de la recherche. » ; qu'aux termes de l'article 3 de la même loi, repris à l'article L.211-4 du même code « Les archives publiques sont : a) Les documents qui procèdent de l'activité de l'Etat des collectivités territoriales des établissements et des entreprises publiques (...) » ; qu'aux termes de l'article 4 de la dite loi, repris à l'article L.212-3 dudit code : « A l'expiration de leur période d'utilisation courante par les services, établissements et organismes qui les ont produits ou reçus, les documents mentionnés à l'article L.211-4 et autres que ceux mentionnés à l'article 3 font l'objet d'un tri pour séparer les documents à conserver et les documents dépourvus d'intérêt administratif et historique, destinés à l'élimination. La liste des documents destinés à l'élimination ainsi que les conditions de leur élimination sont fixées en accord entre l'autorité qui les a produits ou reçus et l'administration des archives » ; qu'aux termes de, l'article 16 du décret n°79-1037 du 3 décembre 1979 : « Lorsque les services, établissements et organismes désirent éliminer les documents qu'ils jugent inutiles, ils en soumettent la liste au visa de la direction des Archives de France. Toute élimination est interdite sans ce visa. » ;

Considérant que l'enregistrement des échanges téléphoniques entre le médecin régulateur du SAMU et ses interlocuteurs constitue un document produit par l'hôpital dans l'exercice de son activité ; que procédant de l'activité d'un établissement public, ce document présente le caractère d'une archive publique ; que sa conservation et son éventuelle destruction étaient dès lors régies, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier en défense, par les prescriptions susmentionnées ; qu'il est constant que si les bandes d'enregistrement en cause ont été détruites, cette destruction est intervenue en dehors desdites prescriptions ; qu'il suit de là que, sans qu'il soit besoin de rechercher si ces documents faisaient ou non partie du dossier médical dc M. X., et si leur destruction présentait ou non un caractère intentionnel, les consorts X. sont fondés à soutenir que cette destruction était fautive ; que cette destruction est d'ailleurs intervenue dans un contexte où le centre hospitalier avait parfaitement connaissance de l'importance que revêtait, aux yeux des requérants, la conservation de ces documents dont la communication lui avait été demandée à plusieurs reprises dès le mois de juin 2000 ;

Considérant toutefois que la destruction de ces bandes d'enregistrement, intervenue postérieurement au décès de M. X., ne saurait en aucune manière être à l'origine du décès de ce dernier ; qu'en l'absence d'un lien de causalité, entre la destruction fautive des bandes d'enregistrement et la mort de M. X., les conclusions présentées par les consorts X. tendant à là réparation de leur préjudice moral consécutif à ce décès, et les conclusions présentées par Mme X. et tendant à la réparation de son préjudice économique résultant de la perte de son époux ne peuvent qu'être rejetées ; qu'il en va de même des conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie du Var ;

Considérant qu'il n'est pas davantage établi que la destruction de ces cassettes ait fait perdre aux consorts X. une chance d'établir l'existence d'une ou de plusieurs erreurs médicales ; qu'ils ne sont, par suite, pas fondés à demander réparation de ce préjudice hypothétique ; qu'elle les a simplement privés d'un élément d'information déterminant pour la connaissance des conditions dans lesquelles s'est déroulée l'intervention des secours le jour du décès de M. X. ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice qui a résulté pour Mme X., M. X, et M. X. de la contrariété éprouvée et des troubles et désagréments divers ayant résulté pour eux de la carence de l'hôpital dans la conservation de ces bandes d'enregistrement en condamnant le centre hospitalier intercommunal de Toulon-La Seyne-sur-Mer à payer à chacun d'entre eux à ce titre la somme de 500 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X. et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nice a rejeté la totalité de leur demande ;

Sur les conclusions au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser aux consorts X. une somme de 300 euros chacun au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE. :

Article ler : Le jugement n° 0403444 du 20 avril 2007 du Tribunal administratif de Nice est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier intercommunal de Toulon-La Seyne-sur-Mer est condamné à verser à Mme X., à M. X. et à M. X. la somme de 500 euros chacun.

Article 3 : Le centre hospitalier intercommunal de Toulon-La Seyne-sur-Mer versera à Mme X., à M. X. et à M. X., une somme d.e 300 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la requête de Mme X. et autres et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Var sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Mme X., à M. X. et à M. X., au centre hospitalier intercommunal de Toulon-La Seyne-sur-Mer et à la caisse primaire d'assurance maladie du Var, et au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.

Copie en sera adressée à Me Ravaz, à Me Le Prado et au préfet du Var.