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Cour Administrative d'Appel de Marseille, 7 avril 2005, Francette X / CHU de Nice (obligation d'information - information post-opératoire - responsabilité)


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête enregistrée le 16 août 2001 sous le n° 01MA01843, présentée par Mme Francette X élisant domicile ... ; Mme X demande à la Cour :
- d'annuler le jugement n° 9801163 en date du 29 juin 2001 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Nice à réparer les conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie le 16 octobre 1995 et à la désignation d'un expert ;

Mme X soutient que c'est à tort que le tribunal administratif n'a pas retenu les défauts d'information ; qu'il a également entaché son jugement de contradiction de motifs en considérant dans le même temps que les défauts d'information n'avaient strictement généré aucun préjudice alors qu'il existe une loi qui oblige le chirurgien à informer le patient ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire enregistré le 19 octobre 2001, présentée pour Mme X par Me Ciccolini tendant aux mêmes fins que la requête susvisée par les mêmes moyens ; Mme X demande en outre à la Cour :
- d'ordonner une contre expertise à l'effet de dire si la colectomie telle qu'elle a été exécutée lors de l'intervention chirurgicale pratiquée le 16 octobre 1995 était nécessaire ou non ;
- de condamner les médecins à réparer son préjudice moral en lui versant une somme de 150 000 francs ;
- avant dire droit, d'ordonner une expertise médicale à l'effet de rechercher le lien de causalité pouvant exister entre le choc qu'elle a subi après l'intervention et les conditions de cette annonce du résultat de l'intervention pratiquée ;
- de lui allouer la somme de 4 000 francs au titre de ses frais d'instance non compris dans les dépens ;

Mme X soutient en outre que le médecin a commis une faute en pratiquant une intervention qui n'était pas nécessaire ; que les médecins ont failli à leur devoir d'information en ne lui indiquant pas les dangers inhérents à ce type d'intervention chirurgicale, alors que ces dangers étaient connus ; qu'hospitalisée pour une ablation de 10 à 15 cm de colon, elle se retrouve affectée d'une colectomie totale ; qu'en outre, elle n'a été informée de cette colectomie que plusieurs jours après et dans des conditions peu humaines par un professeur entouré d'une dizaine d'étudiants ; que la réponse du tribunal tirée de l'absence de préjudice ne peut valoir pour le préjudice moral qui résulte bien du défaut d'information ;

Vu le mémoire enregistré le 13 décembre 2001 présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes, dont le siège est 10 boulevard Georges Pompidou à Gap (05012), représentée par son directeur, par Me Depieds ; la caisse primaire d'assurance maladie demande à la Cour la condamnation du centre hospitalier universitaire de Nice à lui verser la somme de 295 546,24 francs au titre de ses débours, la somme de 5 000 francs au titre de l'indemnité forfaitaire en application de l'ordonnance du 24 janvier 1996 et la somme de 3 000 francs en remboursement de ses frais d'instance non compris dans les dépens ;

Vu le mémoire en défense enregistré le 20 mai 2003, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Nice, représentée par son directeur général à ce dûment autorisé par délibération du conseil d'administration du 17 décembre 2001, par Me Le Prado ; le centre hospitalier universitaire conclut au rejet de la requête ; le centre hospitalier universitaire fait valoir qu'ainsi qu'il ressort du rapport d'expertise qu'aucune faute médicale n'a été commise lors de l'intervention chirurgicale du 16 octobre 1995 ; que l'ablation de la totalité du colon est l'indication opératoire de principe dans le cas de polypes disséminés ; qu'aucune faute n'a été commise dans la réalisation de l'anesthésie et dans le suivi post-opératoire ; que la requérante ne pouvait être informée qu'elle allait subir une colectomie totale alors que la nécessité n'en est apparue que lors de l'intervention ; que le devoir d'information ne peut s'exercer qu'au vu des éléments dont dispose le chirurgien avant d'effectuer l'opération ; que la colectomie totale présentait un caractère vital pour la patiente porteuse d'une pré-néoplastique multifocale du colon qui s'est développée en l'espace de dix mois ; que compte tenu de la nature et de la rapidité avec laquelle les lésions cancéreuses sont apparues et se sont propagées, il n'existait aucune autre alternative ; qu'une nouvelle expertise sur un lien entre la connaissance du résultat de l'intervention et l'hémiplégie et les troubles cardiaques dont elle se trouve atteinte serait frustratoire ; que l'expert souligne que les séquelles présentées par Mme X ne sont pas imputables à une faute médicale mais relèvent d'un état antérieur à l'intervention aggravé par un terrain psychosomatique et névrotique ;

Vu irrégulièrement présenté par Mme X le mémoire enregistré le 7 octobre 2003 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 mars 2005,
- le rapport de M. Bourrachot, président assesseur ;
- les observations de Mme X, et Me Baran, substituant Me Despieds, pour la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes ;
- et les conclusions de M. Trottier, commissaire du gouvernement ;
- Vu la note en délibéré enregistrée le 4 avril 2005 présentée pour Mme X par Me Ciccolini ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'après plusieurs examens pratiqués au cours des années 1994 et 1995 qui ont mis en évidence la présence de deux polypes au colon droit et au colon transverse évoluant vers une dégénérescence cancéreuse, Mme X s'est rendue au centre hospitalier universitaire de Nice pour y subir une ablation partielle du colon ; que toutefois l'intervention pratiquée le 16 septembre 1995 a eu pour conséquence l'ablation du colon dont seule une partie du colon terminal a été conservée ; qu'en dépit du traitement anti-coagulant préventif la patiente a été victime après l'opération d'un accident vasculaire cérébral qui a entraîné une hémiparésie gauche avec paralysie faciale ;

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute médicale :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise établi à la demande du Tribunal administratif de Nice et déposé le 19 octobre 2001 que l'étendue de l'exérèse était justifiée par la présence d'une pathologie disséminée sur l'ensemble du cadre colique qui n'est apparue dans toute son étendue que lors de l'intervention ; qu'aucune négligence fautive n'a été commise lors de l'anesthésie, de l'intervention, du réveil post-anesthésique et des suites opératoires ; que l'accident vasculaire dont a été victime la patiente trouve son origine dans une lésion congénitale ignorée jusqu'à l'accident et qui ne pouvait être dépistée dans le bilan pré-opératoire ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin de décider une nouvelle expertise, le moyen tiré de ce que la responsabilité du service hospitalier serait engagée à raison d'une faute médicale doit être écarté ;

En ce qui concerne la responsabilité du fait d'un défaut d'information avant l'intervention pratiquée :

Considérant que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la technique opératoire consistant en une hémicolectomie droite élargie au colon transverse présente un risque connu d'élargissement de l'exérèse vers le bas et sur le colon terminal en cas de difficultés pour localiser la lésion la plus distale, les conséquences invalidantes n'étant pas les mêmes qu'avec une ablation plus limitée ; que le chirurgien ayant pratiqué l'opération n'a jamais rencontré la patiente avant l'intervention, les deux services d'hospitalisation qui l'ont suivie et soignée se trouvant dans deux établissements différents ; que si le centre hospitalier universitaire fait valoir qu'une information sur une ablation totale du colon n'aurait pu être donnée dès lors que la nécessité n'en est apparue qu'en cours d'intervention, il n'apporte pas la preuve qui lui incombe que la requérante a été informée de cette éventualité et des risques d'invalidité qui lui sont inhérents ; qu'une telle information était requise en l'absence d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient allégués par le centre hospitalier universitaire ; que ce défaut d'information a constitué une faute susceptible d'engager la responsabilité du centre hospitalier à l'égard de Mme X ;

En ce qui concerne la responsabilité pour faute dans l'information donnée après l'intervention pratiquée :

Considérant que toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé ; que cette information porte également sur les caractéristiques et l'étendue de l'acte médical pratiqué, notamment dans l'hypothèse où l'étendue de l'acte pratiqué n'est pas celle qui avait été initialement communiquée au patient ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que Mme X n'a été informée que tardivement et brutalement de l'ablation presque totale de son colon par un professeur de médecine entouré d'étudiants ; qu'il résulte également de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que Mme X n'a reçu d'autre information sur son état de santé que par la voie de la communication de son dossier médical et sans explications sur les conséquences de cette ablation et les moyens d'en limiter les effets ; que de telles conditions d'information ont constitué une faute de nature à engager la responsabilité du service hospitalier ; que cette faute est à l'origine d'un préjudice moral distinct de caractère personnel dont il sera fait une juste appréciation en le fixant à la somme de 2 000 euros ;

Sur le préjudice :

Considérant toutefois qu'il résulte de l'instruction que Mme X était porteuse d'une pré-néoplastique multifocale du colon qui s'est développée en l'espace de dix mois ; que l'état de santé de l'intéressé nécessitait de manière vitale une intervention consistant en une colectomie totale ; que, d'autre part, il n'y avait pas d'alternative thérapeutique moins risquée que l'opération réalisée ; que, par suite, la faute commise par le centre hospitalier n'a pas entraîné, dans les circonstances de l'espèce, de perte de chance pour le patient, de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; que, par suite, c'est à bon droit, et sans contradiction de motifs, que le tribunal administratif a jugé qu'aucune indemnisation n'est due à ce titre ;

Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie :

Considérant, d'une part, qu'aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale : Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droits les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. Si la responsabilité du tiers est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément ... ;

Considérant que la seule indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Nice par le présent arrêt répare un préjudice moral distinct de caractère personnel et ne peut ainsi être soumise au recours de la caisse primaire d'assurance maladie ; que, dès lors, les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les frais non compris dans les dépens :

Considérant qu'aux termes de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991, repris de l'article L.761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que l'article 43 de la même loi autorise le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle à demander au juge de condamner, dans les conditions prévues par l'article 75 précité, la partie perdante au paiement d'une somme au titre des frais qu'il a exposés ; qu'en l'espèce, Mme X n'établissant pas avoir exposé d'autres frais que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été accordée, sa demande tendant à ce que le centre hospitalier universitaire de Nice soit condamné de lui verser la somme de 3 000 francs au titre des frais exposés et non compris dans les dépens doit être rejetée ;

Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le centre hospitalier universitaire de Nice, qui n'est pas, dans la présente instance et à l'égard de la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes, la partie perdante, soit condamné à lui verser la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement tribunal administratif de Nice du 29 juin 2001 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de Nice est condamné à verser à Mme X la somme de 2 000 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme X, au centre hospitalier universitaire de Nice, à la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes et au ministre des solidarités, de la santé et de la famille.