Revenir aux résultats de recherche

Cour administrative d'appel de Nancy, 8 avril 2013, n°11NC01847 (Activité libérale - Praticien hospitalier - Suspension - Illégalité - Responsabilité)

En l'espèce, une Agence régionale de l'hospitalisation (ARH) avait prononcé en juin 2004 la suspension de l'activité libérale de M. X pour une durée de six mois, pour un dépassement du nombre de consultations autorisées sur l'exercice 2003.

La cour administrative d'appel de Nancy condamne l'Etat à verser 42 500 euros d'indemnités en réparation des préjudices financier et moral à ce praticien considérant que l'activité libérale de ce dernier a été suspendue de manière irrégulière sur la base d'un rapport contesté de l'inspection générale des affaires sociales (Igas).

En effet, les juges considèrent que "il résulte de l'instruction qu'aucune méthode de recensement exhaustif fiable de l'activité libérale des praticiens hospitaliers n'existait au sein du centre hospitalier Y en 2003, date des faits ayant fondée  la sanction ; qu'ainsi, pour confirmer la sanction prononcée par le directeur de  l'ARH, le ministre de la santé s'est exclusivement fondé sur le rapport établi par le Dr Z, membre de l'inspection générale des affaires sociales, établi en vue de la réunion de la commission nationale de l'activité libérale ; que ce rapport fait état, sur la base de chiffres transmis par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aube et "retraités" par l'inspection générale des affaires sociales, sans que les modalités de ce retraitement ne soient expliquées, "d'hypothèses" rendant plausible un dépassement de la durée d'activité libérale autorisée ; qu'il ne résulte toutefois pas de l'instruction que la matérialité de ce dépassement de durée puisse être regardée comme établie alors que M. X produit des éléments, issus notamment de l'analyse, par la commission d'activité libérale d'établissement, de son carnet de rendez-vous pour l'année 2003, de nature à remettre en cause la fiabilité des chiffres ainsi utilisés et que le rapport du Dr Z indique lui-même que les chiffres utilisés ne concernent" que les seuls assurés du régime général enregistrés par la CPAM de l'Aube, soit environ les deux tiers des consultants du Dr X" .

Cour Administrative d’Appel de Nancy

N° 11NC01847

Inédit au recueil Lebon

4ème chambre - formation à 3

 

M. LAPOUZADE, président

Mme Julie KOHLER, rapporteur

M. WIERNASZ, rapporteur public

SCP COLOMES - MATHIEU, avocat(s)

 

lecture du lundi 8 avril 2013

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la requête, enregistrée le 22 novembre 2011, présentée pour M. X., demeurant au..., par la SCP A...-Mathieu ;

 

M. X.demande à la Cour :

 

1°) d’annuler le jugement n° 0800951 du 22 septembre 2011 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa requête tendant à la condamnation de l’Etat a réparer les préjudices résultant de la sanction illégale de suspension de son activité libérale qui lui a été infligée en 2004 ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser les sommes de 53 278 euros au titre du préjudice matériel et de 35 000 euros au titre du préjudice moral assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de sa réclamation préalable ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

Il soutient que :

- le tribunal ne pouvait opposer d’office l’autorité de la chose jugée des motifs de l’arrêt de la Cour du 29 janvier 2007 ;

- les conditions pour opposer l’autorité de chose jugée ne sont pas réunies puisqu’il n’y a pas identité d’objet entre les conclusions tendant à l’annulation de la décision de sanction et les conclusions indemnitaires ;

- les motifs de l’arrêt de 2007 ne sont pas le soutien nécessaire de son dispositif et ne peuvent donc être revêtus de l’autorité de la chose jugée ;

- le vice de procédure ayant entaché la décision de sanction constitue une faute ;

- la sanction n’était pas justifiée dès lors que les chiffres figurant dans le rapport de l’IGAS, qui ont servi de fondement à la décision n’ont pas été élaborés avec une méthode permettant une évaluation du volume de l’activité publique ;

- il a respecté la limité de 20% de la durée hebdomadaire de service hospitalier ;  

- il a subi un manque à gagner sur les bénéfices réalisés sur son activité libérale de 53 278 euros ;

- il a également subi un préjudice moral, aggravé par la publicité faite à cette sanction dans la presse ;

 

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire enregistré le 12 avril 2012, présenté par le ministre du travail, de l’emploi et de la santé qui conclut au rejet de la requête ;

 

Il fait valoir que :

 - la sanction était justifiée dès lors que le Dr X. n’a pas respecté les termes de son contrat puisqu’il a excédé la durée maximale d’activité libérale ;

 - son préjudice n’est pas démontré ;

 

Vu le mémoire enregistré le 1er août 2012, présenté pour M. X. qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;

  

Il soutient en outre que :

- l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 prévoit que les décisions individuelles ne peuvent intervenir qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter ses observation et qu’en conséquence, il aurait dû pouvoir présenter ses observations avant la substitution de motifs opérée par le ministre lorsqu’il s’est prononcé sur son recours hiérarchique ;

 - le rapport de l’IGAS a été établi sans que son carnet de rendez-vous, qui retrace les jours et heures de ses consultations, n’ait été consulté ;

 

 Vu le mémoire enregistré le 10 octobre 2012, présenté par le ministre des affaires sociales et de la santé qui persiste dans ses précédentes écritures ;

  

Il fait valoir en outre que :

- le rapport de l’IGAS a été établi sur la base d’informations recueillies auprès de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube, relatives à la facturation des consultations privées et dont il ressort que le Dr X. a exercé une activité libérale en dehors des demi-journées autorisées ;

- le carnet de rendez-vous peut ne pas prendre en compte de façon systématique et certaine toutes les consultations effectuées en activité libérale ;

 

Vu le mémoire enregistré le 17 octobre 2012, présenté pour M. X. qui conclut aux mêmes fins que précédemment ;

Il ajoute que la sanction dont il a fait l’objet est un règlement de compte ;

 

Vu le mémoire enregistré le 12 novembre 2012, présenté pour M. X. qui persiste dans ses précédentes conclusions et demande subsidiairement à la cour d’enjoindre au ministre des affaires sociales et de la santé de produire la requête de l’IGAS à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube ainsi que la réponse de cet organisme ;

 

Vu les pièces enregistrées le 29 novembre 2012, produites pour M.X. ;

 

Vu le mémoire enregistré le 19 décembre 2012, présenté pour M. X.qui persiste dans ses précédentes écritures ;

 

Vu l’ordonnance du 23 novembre 2012 fixant la clôture d’instruction au 20 décembre 2012 ;

 

Vu le mémoire enregistré le 5 février 2013 présenté par le ministre des affaires sociales et de la santé ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu le code de la santé publique ;

 

Vu le code de justice administrative ;

  

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

 

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 18 mars 2013 :

- le rapport de Mme Kohler, rapporteur,

- les conclusions de M. Wiernasz, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., conseil de M. X. ;

 

Sur la responsabilité de l’Etat:

 1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 6154-1 du code de la santé publique dans sa rédaction alors en vigueur : “ Dès lors que l’intérêt du service public hospitalier n’y fait pas obstacle, les praticiens statutaires exerçant à temps plein dans les établissements publics de santé et les syndicats interhospitaliers autorisés à exercer les missions d’un établissement de santé sont autorisés à exercer une activité libérale dans les conditions définies au présent chapitre. “ ; qu’aux termes de l’article L. 6154-2 du même code : “ L’activité libérale peut comprendre des consultations, des actes et des soins en hospitalisation ; elle s’exerce exclusivement au sein des établissements dans lesquels les praticiens ont été nommés ou, dans le cas d’une activité partagée, dans l’établissement où ils exercent la majorité de leur activité publique, à la triple condition : 1° Que les praticiens exercent personnellement et à titre principal une activité de même nature dans le secteur hospitalier public ; 2° Que la durée de l’activité libérale n’excède pas 20 % de la durée de service hospitalier hebdomadaire à laquelle sont astreints les praticiens ; 3° Que le nombre de consultations et d’actes effectués au titre de l’activité libérale soit inférieur au nombre de consultations et d’actes effectués au titre de l’activité publique. / (...) “ ; qu’aux termes de l’article L. 6154-6 du même code : “ L’autorisation mentionnée à l’article L. 6154-4 peut être suspendue ou retirée par le directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation lorsque le praticien méconnaît les obligations qui lui incombent en vertu des lois et règlements et les dispositions du contrat ; cette décision est prise après avis ou sur proposition de la commission mentionnée au premier alinéa de l’article L. 6154-5 dans des conditions définies par décret. / Le ministre chargé de la santé, saisi dans le cadre d’un recours hiérarchique des contestations relatives aux décisions prises en application de l’alinéa précédent, doit statuer après avis de la commission nationale mentionnée à l’article L. 6154-5. “ ;

2. Considérant que par décision du 16 juin 2004, le directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation de Champagne-Ardenne a prononcé la suspension de l’activité libérale de M. X., chef du service de dermatologie du centre hospitalier de Y., pour une durée de six mois pour avoir dépassé, durant l’année 2003, le nombre de consultations autorisé en activité libérale ; que, saisi sur recours hiérarchique, le ministre de la santé a confirmé cette sanction le 25 octobre 2004, en substituant au motif retenu par le directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation, le motif tiré du dépassement, par M.X., des limites autorisées du temps consacré à son activité libérale ; que cette sanction a cependant été annulée par un jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 12 avril 2005 ; que la Cour administrative de Nancy a, par un arrêt du 29 janvier 2007, devenu définitif, confirmé l’annulation de la sanction en retenant un vice de procédure caractérisé par l’absence de transmission à M.X., avant la réunion de la commission nationale de l’activité libérale, du rapport du Dr Z.., sur lequel la commission nationale s’est fondée pour rendre son avis ;

3. Considérant que si l’intervention d’une décision illégale constitue une faute susceptible d’engager la responsabilité de son auteur, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cadre d’une procédure régulière, la même décision aurait pu légalement être prise ;

 4. Considérant qu’en l’espèce, il résulte de l’instruction qu’aucune méthode de recensement exhaustif fiable de l’activité libérale des praticiens hospitaliers n’existait au sein du centre hospitalier de Y. en 2003, date des faits ayant fondé la sanction ; qu’ainsi, pour confirmer la sanction prononcée par le directeur de l’Agence régionale de l’hospitalisation, le ministre de la santé s’est exclusivement fondé sur le rapport établi par le Dr Z., membre de l’inspection générale des affaires sociales, établi en vue de la réunion de la commission nationale de l’activité libérale ; que ce rapport fait état, sur la base de chiffres transmis par la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube et “retraités” par l’inspection générale des affaires sociales, sans que les modalités de ce retraitement ne soient expliquées, “d’hypothèses” rendant plausible un dépassement de la durée d’activité libérale autorisée ; qu’il ne résulte toutefois pas de l’instruction que la matérialité de ce dépassement de durée puisse être regardée comme établie alors que M. X. produit des éléments, issus notamment de l’analyse, par la commission d’activité libérale d’établissement, de son carnet de rendez-vous pour l’année 2003, de nature à remettre en cause la fiabilité des chiffres ainsi utilisés et que le rapport du Dr Z. indique lui-même que les chiffres utilisés ne concernent “ que les seuls assurés du régime général enregistrés par la CPAM de l’Aube, soit environ les deux tiers des consultants du Dr X. “ ; que, dans ces conditions, M. X. est fondé à soutenir que la sanction confirmée par le ministre de la santé le 25 octobre 2004 repose sur des faits dont la matérialité n’est pas établie et que la même décision n’aurait, par conséquent, pas pu être légalement prise ; qu’il est ainsi fondé à soutenir que c’est à tort que le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande d’indemnisation ;

  

Sur le préjudice:

5. Considérant que M. X. soutient que l’exécution de la suspension de l’autorisation d’exercer une activité libérale pendant 5 mois au cours de l’année 2004 a été à l’origine d’une perte de revenus qu’il estime à 53 278 euros ; qu’il produit, pour en justifier, ses avis d’impôt sur le revenu pour les années 2001, 2002, 2003 et 2004 ; que, compte tenu de la moyenne de ses revenus déclarés les années précédentes il sera fait une juste appréciation de son manque à gagner en le fixant à 40 000 euros ;

6. Considérant que, compte tenu de l’atteinte à sa réputation et à son image, du fait de la nécessaire annulation des rendez-vous qui avaient été prévus au cours de la période de suspension et de la publicité faite à la sanction dans la presse, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. X. en le fixant à 2 500 euros ;

 

Sur les intérêts :

7. Considérant que M. X.est fondé à demander les intérêts sur la somme de 42 500 euros, à compter du 2 janvier 2008, date de réception par l’administration de sa réclamation préalable ;

 

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative:

8. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. X.et non compris dans les dépens ;

 

D E C I D E:

Article 1er: Le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 22 septembre 2011 est annulé.

Article 2: L’Etat versera à M. X. la somme de 42 500 (quarante deux mille cinq cents) euros en réparation des préjudices financier et moral résultant de l’illégalité de la décision de suspension de l’autorisation d’exercice d’une activité libérale prononcée à son encontre par le ministre de la santé le 25 octobre 2004.

Article 3: La somme de 42 500 euros mentionnée à l’article 2 portera intérêts au taux légal à compter du 2 janvier 2008.

Article 4: L’Etat versera à M. X. la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5: Le présent arrêt sera notifié à M. X. et au ministre des affaires sociales et de la santé.