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Cour de Cassation, 17 septembre 2002 (faute détachable du service)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-sept septembre deux mille deux, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire AGOSTINI, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE et BRIARD, et de la société civile professionnelle RICHARD et MANDELKERN et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Mme X., épouse Y., partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de CHAMBERY, chambre correctionnelle, en date du 9 janvier 2002, qui, après condamnation de M. Z... pour homicide involontaire, s'est déclarée incompétente pour connaître de la demande en réparation présentée par la partie civile ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de la loi des 16 et 24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, des articles 221-6, 221-8 et 221-10 du Code pénal, 2, 3, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la juridiction pénale incompétente pour statuer sur la demande de dommages-intérêts de Mme Y..., dirigée à l'encontre de M. Z..., déclaré coupable d'homicide involontaire sur la personne de M. Y... ;

"aux motifs propres qu'il est de principe bien établi que les conséquences dommageables des fautes imputées aux médecins hospitaliers se rattachent à l'exécution du service public de la santé et relèvent de la seule responsabilité de l'Etat devant les juridictions de l'ordre administratif, hormis lorsqu'on est en présence d'une faute détachable de la fonction du médecin ; qu'il est tout aussi constant que la faute détachable du service est celle d'une inexcusable gravité ou qui se caractérise par son caractère intentionnel ; que, d'autre part, et contrairement à ce que soutient la partie civile, l'infraction pénale, même définitivement sanctionnée, ne constitue pas pour autant ipso facto une faute détachable du service ; que l'appelante ne démontre pas, en l'état de la rédaction de ses écritures et des pièces de la procédure, qu'une faute d'une inexcusable gravité puisse être retenue à l'encontre du prévenu ; qu'en effet, si le fait pour un médecin anesthésiste de garde de ne pas recourir à un chirurgien face à des éléments médicaux graves et non expliqués, constitue bien une infraction pénalement punissable dès lors que cette abstention a privé la victime d'une chance de survie, un tel comportement ne caractérise cependant pas la faute d'une gravité telle qu'elle puisse être détachable de la fonction remplie par le docteur Z... à l'hôpital de Moutiers ; qu'enfin, les dysfonctionnements de la justice ou l'absence d'égalité devant la loi dont se plaint Mme Y... ne sauraient, à les supposer établis, être imputables au prévenu (arrêt, page 3) ;

"et aux motifs, adoptés des premiers juges, qu'il résulte du dossier que M. Y... a été pris en charge par le docteur Z... à son arrivée à l'hôpital de Moutiers ; qu'il a fait pratiquer les examens suivants : radiographies du thorax, radiographies du membre supérieur droit, radiographies de l'abdomen et échographies de l'abdomen ; que ces examens ont révélé les lésions suivantes : traumatisme crânien avec perte de connaissance, traumatisme thoracique, traumatisme abdomino-lombaire et traumatisme des membres ; que le diagnostic porté a été celui d'un hémopneumothorax droit, d'un volet thoracique droit de la quatrième à la onzième côte avec respiration paradoxale, ce qui signifie qu'il y a deux fractures par côte, s'étendant de la quatrième à la onzième côte, d'un hématome périrénal droit avec contusion du pôle inférieur du rein droit ; qu'un bilan biologique n'a en outre pas montré d'anomalie spécifique ; qu'une voie veineuse a été mise en place, ainsi qu'un drain thoracique pour l'évacuation de l'hémopneumothorax ; une plaie frontale suturée et une surveillance hémodynamique commencée ; que les gestes médicalement nécessaires ont donc été réalisés, ainsi que l'indiquent tous les experts, après l'arrivée du blessé ; qu'il a peut-être même été examiné dans l'après-midi suivant son hospitalisation à Moutiers par un chirurgien, ainsi que l'indique M. Z..., ce chirurgien ne pouvant être le docteur A..., qui a été interrogé par le dernier collège d'experts et a affirmé qu'il n'avait jamais vu M. Y..., mais peut le cas échéant être le docteur B..., qui n'a pas été entendu au cours de l'information et ne s'est pas présenté à l'audience, bien qu'il ait été cité comme témoin par M. Z... ; qu'en tout état de cause, ce n'est pas à ce stade de la prise en charge du patient qu'une faute peut être retenue à l'encontre du docteur Z... ; qu'en revanche, l'état du blessé s'est aggravé de façon importante durant la deuxième partie de la nuit du 15 au 16 mars 1993 ; qu'il s'est plaint de douleurs abdominales croissantes et que son état hémodynamique était très instable malgré des apports lipidiens élevés ; que, selon quatre des six experts qui ont eu à apprécier le comportement médical de M. Z..., l'existence de douleurs abdominales non calmées correctement par les antalgiques, jointe à une instabilité hémodynamique imposaient à ce stade la demande d'une consultation chirurgicale qui aurait pu déboucher sur une laparotomie ; qu'il n'est pas contesté par le prévenu qu'au cours de la nuit, aucun chirurgien n'a été appelé ; que l'argument selon lequel le chirurgien présent n'aurait pas été à même d'opérer M. Y... en raison de sa spécialisation est inopérant dès lors qu'il n'appartenait pas au docteur Z... d'apprécier la compétence du chirurgien de service et qu'un regard de chirurgien, même non spécialisé en matière abdominale, aurait pu permettre de déceler les lésions abdominales qui ont été fatales à M.  Y..., notamment par la pratique d'une laparotomie ; que quatre des six experts considèrent en outre que l'instabilité hémodynamique et les douleurs abdominales ne pouvaient s'expliquer par les seules lésions du thorax ; qu'ainsi, l'absence de recours à un chirurgien, face à des éléments médicaux graves et non expliqués, constitue une faute qui doit être retenue à l'encontre de M. Z... dès lors qu'elle a privé incontestablement M. Y... d'une chance de survie ; qu'il a aura lieu en conséquence de déclarer M. Z... coupable de l'infraction qui lui est reprochée ; que sur l'action civile, il y a lieu de déclarer la demande de Mme Y... recevable en ce qu'elle tend à établir la culpabilité de M. Z... et à corroborer l'action publique ; que le tribunal est incompétent pour statuer sur toute demande de dommages et intérêts qui relève de la compétence des juridictions de l'ordre administratif, M. Z... étant médecin hospitalier et n'ayant pas commis de faute détachable de sa fonction (jugement, pages 3 à 5) ;

"alors que la faute commise par le fonctionnaire dans l'exercice même de ses fonctions, serait-elle une faute involontaire, peut constituer une faute personnelle de nature à engager la responsabilité civile de l'intéressé, lorsque sa particulière gravité révèle le comportement personnalisé d'un homme ;

"qu'ainsi, commet une faute personnelle le médecin hospitalier qui, étant témoin, au cours de sa nuit de garde, de l'aggravation de l'état d'un patient, et pleinement conscient des risques de décès liés à l'instabilité hémodynamique de celui-ci, sans pouvoir expliquer les raisons de cette aggravation, se refuse - pendant toute la durée de sa garde de nuit - à faire immédiatement appel à un confrère chirugien, seul à même d'apprécier l'état du malade, et attend le lendemain matin pour solliciter l'intervention d'un praticien compétent, une telle faute traduisant un comportement inexcusable au regard de la déontologie médicale ;

"qu'en l'espèce, il résulte des propres motifs du jugement et de l'arrêt attaqué que pendant toute la durée de sa garde de nuit, le docteur Z..., médecin anesthésiste de garde, qui était témoin de la gravité et de l'aggravation de l'état de M. Y..., a renoncé à faire appel à un confrère chirurgien, dont l'intervention aurait permis de déceler les lésions qui ont été fatales au patient ;

"qu'en estimant toutefois que si le fait pour un médecin anesthésiste de garde de ne pas recourir à un chirurgien face à des éléments médicaux graves et non expliqués, constitue bien une infraction pénalement punissable dès lors que cette abstention a privé la victime d'une chance de survie, un tel comportement ne caractérise cependant pas la faute d'une gravité telle qu'elle puisse être détachable de la fonction remplie par le docteur Z... à l'hôpital de Moutiers, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et violé les textes susvisés" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. Z..., médecin anesthésiste de l'hôpital de Moutiers, a été déclaré coupable d'homicide involontaire ;

Attendu que, pour se déclarer incompétente pour connaître de la demande en réparation présentée par la veuve de la victime, l'arrêt attaqué prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il ressort que la faute dont le prévenu, agent du service public hospitalier, a été déclaré responsable, n'est pas détachable de ses fonctions, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais sur le second moyen, pris de la violation des articles 221-6, 221-8 et 221-10 du Code pénal, 2, 3, 427, 475-1, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Mme Y... à payer à M. Z... une somme de 305 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

"aux motifs propres qu'il convient de confirmer le jugement déféré et de condamner l'appelante à payer à l'intimé une somme de 305 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour tenir compte des frais exposés en appel par ce dernier (arrêt, page 3, in fine) ;

"alors que la condamnation prévue par l'article 475-1 du Code de procédure pénale ne peut être prononcée que contre l'auteur de l'infraction ni bénéficier à une personne autre que la partie civile ;

"qu'ainsi, en condamnant la demanderesse, partie civile, à payer à M. Z, prévenu, définitivement condamné pénalement, une somme de 305 euros sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la cour d'appel a violé le texte susvisé" ;

Vu l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Attendu que la condamnation prévue par ce texte ne peut être prononcée que contre l'auteur de l'infraction et au profit de la seule partie civile ;

Mais attendu qu'en condamnant Mme X..., partie civile, à payer une somme à M. Z..., prévenu, au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de CHAMBERY, en date du 9 janvier 2002, mais en ses seules dispositions ayant condamné Mme X... à payer une somme à M. Z... au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Chambéry, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Agostini conseiller rapporteur, M. Roman conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;