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Sortie à l'insu du service "fugues" - Jurisprudences

Cette fiche pratique élaborée par la Direction des affaires juridiques de l’AP-HP a pour objet de présenter les critères jurisprudentiels et principes de responsabilité retenus dans le cadre des contentieux liés à une sortie de patient à l’insu du service (fugue). Cette fiche revient également sur un certain nombre d’exemple de jurisprudence AP-HP et hors AP-HP

I - Critères jurisprudentiels et principes de responsabilité

Les critères jurisprudentiels sont au nombre de 3 :

- PREVISIBILITE DE L’ACTE (troubles du comportement signalés, fugue précédente, volonté de se suicider ou de partir – un acte qui conditionne l’étendue de l’obligation de surveillance)

- COMPORTEMENT DU PERSONNEL (notamment personnel soignant) qui peut conditionner l’analyse du temps de réactivité pour lancer les recherches, + formation du personnel face aux situations de fugues etc…

- ORGANISATION DU SERVICE (par rapport à la configuration des lieux, aux fermetures de l’établissement, à la surveillance dans l’unité etc…)

Rappel : le risque de fugue peut être qualifié de risque juridique et judiciaire à raison des conséquences dommageables pour les patients pris en charge, qui relèvent de l’assurance « responsabilité administrative » . Autrement dit l’AP-HP pourra assumer sa responsabilité administrative et mettra en œuvre les mécanismes d’indemnisation au titre de l’auto-assurance, dans l’hypothèse où le juge administratif retiendrait une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service.

D’un point de vue statistique, la Direction des affaires juridiques (DAJ) ne recense qu’un nombre de dossiers indemnitaires peu significatif par rapport aux évènements de fugues recensés au quotidien dans les hôpitaux.

D’un point de vue très général on constate à la lecture de ces quelques dossiers que les services les plus exposés dans les situations de fugues sont les SAU et les services d’hospitalisation en général.

Lorsqu’il y a un contentieux (la famille ayant décidé de rechercher la responsabilité administrative de l’hôpital et d’obtenir une réparation pécuniaire) le schéma d’analyse du juge suit une trame caractérisée par les 3 critères précédemment définis. Il s’agira en outre d’une analyse in concreto (c’est-à-dire au cas par cas). La traçabilité des informations dans le dossier du patient est essentielle.

Le coût de l’indemnisation, quand elle existe, n’est pas davantage significative mais bien plus symbolique.

En revanche, le risque médiatique est toujours patent et bien réel.

Les situations extraites des dossiers de la DAJ  se révèlent diverses et variées mais peuvent nourrir la réflexion.

Il convient de préciser que ne sont pas recensés dans la présente étude les dossiers de la DAJ qui concernent les fugues de patients suivies de suicides, patients dont la prise en charge relève d’établissements psychiatriques spécialisés.

11 dossiers DAJ ainsi recensés entre 2006 et 2012 dont :

  • 9 concernent des patients présentant des syndromes confusionnels+++ compte tenu de leur âge et de leurs pathologies
  • 1 concerne un patient ayant présenté une crise d’angoisse++, a fugué sans séquelle
  • 1 concerne un patient suicidaire++ avec passage à l’acte réussi

Sur ces 11 dossiers  : 2 dossiers avec procédure pénale (plaintes mais pas de suites judiciaires connues de la DAJ ), 6 dossiers gérés en amiable par la DAJ (dont 4 qui ont donné lieu à une indemnisation des demandeurs et 2 qui ont fait l’objet d’une décision de rejet de la demande d’indemnisation) et 3 au contentieux devant le tribunal administratif (contestation de décision de rejet ou non accord sur la somme indemnitaire allouée) .

Aucun contentieux en lien avec une absence de bracelet électronique « anti-fugue ».

II - Exemples de dossiers de l’AP-HP traités par la DAJ

1er dossier :  2007

Un patient s’est spontanément présenté au SAU de l’hôpital de l’AP-HP pour une crise d’angoisse

Compte tenu de l’urgence dans laquelle son hospitalisation a été décidée, de l’heure avancée et de l’absence de place dans le service de psychiatrie, le service des urgences s’est trouvé dans l’obligation d’assurer la surveillance de ce patient.

C’est précisément au cours du temps d’admission en service de psychiatrie et de l’organisation du transfert du patient que ce dernier a fugué

Il a été retrouvé sain et sauf.

Le patient et sa mère ont formulé une réclamation préalable indemnitaire au titre de leurs préjudices propres dans les suites de ces évènements (ils invoquaient notamment un préjudice moral du fait d’un défaut de surveillance)

L’AP-HP, estimant que sa responsabilité ne pouvait être retenue dans cette affaire dans la mesure où aucun défaut de surveillance n’était caractérisé en l’espèce, a rendu une décision de rejet en 2007 laquelle, n’ayant pas été contestée, est devenue définitive.

Il n’y a pas eu de suite contentieuse dans cette affaire.

 

2ème exemple :  2011

Syndrome confusionnel post-opératoire

Chute d’une patiente du toit de la terrasse du bâtiment où elle était hospitalisée dans les suites d’une intervention chirurgicale.

Elle aurait donc présenté un syndrome confusionnel post-opératoire.

Problématique de la sécurité des portes d’accès à l’extérieur des bâtiments révélée par cette affaire.

Refus de la famille de la transférer dans un autre établissement.

Refus de la patiente et de la famille d’être reçues par l’équipe de direction.

Plainte déposée apparemment pour blessures involontaires ou omission de porter secours, enquête de police judiciaire avec auditions de personnels de l’hôpital mais pas de suites pénales connues à ce jour (classement sans suite probable par le procureur de la République ).

3ème exemple :  2010

Syndrome confusionnel probablement lié à la pathologie du patient (encéphalopathie hépatique)

Patient hospitalisé en hépathologie

6h00 : heure du dernier passage de l’IDE, le patient est dans sa chambre

7h30 : l’AS constate la disparition du patient- recherches immédiates mais infructueuses au départ .

Famille informée par l’hôpital,

L’un des fils du patient  a (avec un agent de l’hôpital) retrouvé le corps de son père allongé au bas de la rampe d’accès en sous-sol d’un bâtiment (parking désaffecté)

Patient décédé des suites d’une hypothermie

Enquête ARS

Problème dans ce dossier : rédaction du certificat de décès sans indication de l’obstacle médico légal et sans appel des services de police ; les services de police ont reproché sèchement à l’hôpital ce certificat de décès qui ne devait pas être établi.

Mars 2011 : la famille a fait une réclamation préalable mais il n’y a pas eu de suite contentieuse.

4ème exemple : 2006

Fugue d’une patiente du SAU puis suicide à domicile par intoxication médicamenteuse+alcool

Jeune femme de 31 ans transportée au SAU d’un site hospitalier de l’AP-HP à 5h38 (heure d’admission)

Accueillie par l’IAO occupée avec un autre patient (car intervention nécessaire en salle de déchoquage)

La jeune femme a ainsi été laissée seule quelques instants dans l’attente d’un box d’accueil et d’orientation. Elle a fugué au court de ce bref laps de temps.

Dès la disparition constatée les recherches ont immédiatement été entreprises dans le service, sans succès.

La patiente est retournée à son domicile et s’est défénestrée dans la cour de son immeuble et a été retrouvée décédée à 8H30.

2006 : année de la réclamation préalable de la mère.

Décision de rejet de l’AP-HP

Décision contestée devant le tribunal administratif de Paris,

Le tribunal a reconnu la responsabilité fautive de l’APHP sur le fondement d’un défaut de surveillance car : « le personnel du SAU aurait dû assurer une présence constante auprès de la patiente et faire procéder à un examen psychiatrique ; la décision de la laisser sans surveillance constitue une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service » ;

Montant de l’indemnisation : 8000€ versés à la mère de la patiente au titre de son préjudice moral + 1500€ au titre des dispositions de l’article L.761-1 du Code de justice administrative

5ème exemple : 2010

Etat pseudo-démentiel

Patiente de 89 ans hospitalisée dans une maison de retraite accompagnée au SAU d’un site hospitalier de l’AP-HP par un agent de la maison de retraite et « déposée » à 8h10 dans le service.

Les infirmières ont demandé à son accompagnatrice de rester mais celle-ci est partie

Les IDE ont alors « organisé » la surveillance de la patiente en attendant qu’elle soit examinée

12h10 : ramenée par les IDE auprès de son accompagnatrice

12h15 : la patiente fugue -  procédure de fugue immédiatement mise en place

16h26 : ramenée par les pompiers au SAU après avoir été renversée par une camionnette, diverses fractures au visage

Réclamation indemnitaire formulée par la patiente par l’intermédiaire de son avocat…

Décision de rejet de l’AP-HP

Contentieux devant le tribunal administratif de PARIS : où une expertise avant-dire droit a été prononcée.

L’APHP a été reconnue responsable dans cette affaire car :

  • l’accompagnatrice aurait quitté le service à la demande du personnel
  • selon l’expert il aurait fallu organiser une surveillance constante et en s’abstenant de le faire, l’APHP a commis une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service.

Montant de l’indemnisation :  2150€ (quantum doloris + préjudice esthétique de la patiente) + 1200€ d’expertise +1500€ de frais irrépétibles

6ème exemple :

Troubles cognitifs très importants et accident de la circulation après fugue,

Patiente hospitalisée qui avait fugué du service avant de déambuler jusqu’au RER, de prendre le train et de descendre à Drancy pour marcher jusqu’à une route nationale où elle a  provoqué un important accident de la circulation

Affaire relayée dans la presse

Défaut de surveillance (non)

Procédure contentieuse devant le tribunal administratif : pas de condamnation de l’AP dans cette affaire car la patiente avait été vue 15-20 minutes avant sa disparition (point noté au dossier)

Pas de suites judicaires mais mesures correctrices à l’hôpital = fermeture de l’issue de l’hôpital qui se trouvait face à la gare RER

 
 

7ème exemple : 2010

Etat psychotique aigu

SAU d’un service hospitalier de l’AP-HP, le patient s’y présente de lui-même. L’IAO note « motif de la consultation : occlusion »

Le médecin relève lors de l’examen clinique les antécédents psychiatriques du patient ainsi que l’agitation et la peur de mourir qu’il exprime

Il sera vu par un psychiatre qui prescrit dans les suites de son examen clinique une contention et une surveillance.

Une HDT est demandée avec un transfert sur l’hôpital de Maison Blanche (hors AP), hôpital correspondant au secteur psychiatrique dont dépend le patient.

Il est installé dans un box du service des urgences.

Il fugue du SAU en sautant d’une fenêtre du 1er étage

Il est rapidement retrouvé puis transféré dans le service de psychiatrie de Maison Blanche.

Réadressé à Tenon pour une fracture du calcanéum

Le patient a formulé une réclamation indemnitaire auprès de l’AP-HP s’estimant victime d’un défaut de surveillance et d’une fracture 

Le médecin-conseil de l’AP a conclu à la responsabilité de l’hôpital dans la mesure où le patient a réussi à se libérer de ses contentions et à fuguer en sautant de la fenêtre du box des urgences qui n’était pas fermée.

Mais il n’y a eu aucune suite dans ce dossier le patient ne s’étant plus manifesté auprès de la DAJ dans le prolongement de sa réclamation et malgré notre relance.

 

8ème exemple : 2009

Syndrome confusionnel

Patient de 95 ans hospitalisé en USLD

En raison d’une réorganisation des locaux de son unité d’hospitalisation il est placé en chambre double

Le fils du patient a souhaité que son père reste en chambre individuelle et qu’il soit transféré en USSR

Novembre 2009 : il se déplace en fauteuil roulant dans les locaux de l’USSR et réussit malgré son handicap à franchir les portes battantes = chute dans les escaliers

Transfert immédiat au sein d’un site hospitalier de l’AP-HP et pris en charge. Pas de séquelles

Mesures correctives : installation de poignées spécifiques aux portes d’accès aux escaliers et sensibilisation accrue des équipes soignantes

Réclamation du fils (également tuteur) par l’intermédiaire de son avocat, indemnisation accordée sur la base d’un QD de 2/7 + frais d’hospi HEGP

Règlement amiable de ce dossier par transaction avec Montant total de l’indemnisation: 2000 € + frais d’hospitalisation

9ème exemple : 2009

Fugue, décès dans l’enceinte de l’hôpital, presse (oui)

Circonstances semblables au dossier de Mme X de janvier 2013

20h : la patiente est vue dans le service

20h30 : alerte disparition constatée par le personnel

22h : retrouvée par le maître-chien, décès constaté à 22h30, fils prévenu

Réunion organisée par la Direction de l’hôpital avec le fils

Affaire relayée par la presse

Réunion interne

Aucune suite juridique, la famille ayant été satisfaite des explications données par l’hôpital et des mesures prises

10ème exemple : 2012

Patient fugueur, très désorienté, syndrome frontal

Juin 2011 : le patient arrive au SAU, admis en neurologie à J+2 pour altération de l’état général

Syndrome frontal associé à une amnésie qui développe en lui une volonté incessante de partir

Il sort régulièrement du service à l’insu du personnel, il est régulièrement reconduit dans le service de neurologie par les équipes de sécurité de l’hôpital et le personnel du service le cherche dès que son absence est signalée

4 fugues au cours de son hospitalisation signalées comme importantes à la police dont une qui a duré plus de 24h

Surveillance particulière organisée dans le service

La dernière fugue date de 2012, il sera retrouvé décédé dans une cour intérieure d’immeuble proche de la gare RER de Noisy. La police pense qu’il serait tombé du toit de l’immeuble, du 3ème étage car chaussure retrouvée dans la gouttière.

Enquête judiciaire de recherches des causes de la mort

En attente de réclamation indemnitaire de la part de sa famille (ex-femme et fille)

Le chef de service a signalé la même année l’hospitalisation d’une patiente du même profil que le patient dans son service.

= inquiétude des chefs de service de ne pouvoir assurer la surveillance de ces patients compatible avec leur état, car le service n’est pas organisé ni configuré pour …

11ème exemple : 2012

Un patient ressortissant étranger a été pris en charge en mai 2009 dans le service de neurochirurgie d'un hôpital de son pays pour des troubles de la mémoire et un syndrome confusionnel. Une IRM a mis en évidence un kyste colloïde du troisième ventricule. C'est dans ces conditions que le patient a été pris en charge dans un service de neurochirurgie de l'APHP où une hospitalisation de 5 jours a été programmée. Le patient a été hospitalisé le 5 octobre, la veille de son opération, et a subi en soirée une IRM.

A l'issue de l'examen, le patient est laissé seul en salle d'attente d'où il a fugué vers 18h10.

Les recherches engagées tant par sa famille que par les autorités publiques sont restées vaines.

Neuf jours plus tard, le 14 octobre, le patient est retrouvé en bord de Seine, en état d'hypothermie et de désorientation et est transporté au service des urgences de l'hôpital de Longjumeau où, dépourvu de documents d'identité, il est amis sous une identité erronée.

Le lendemain, face à ses troubles neurologiques, le patient est transféré vers un nouveau service de neurochirurgie de l'APHP (autre que celui dans lequel l'hospitalisation était initialement programmée) où il y est admis sous la même identité, erronée, que celle communiquée à Longjumeau. Le diagnostic de kyste colloïde a également été posé, pour lequel il sera opéré.

Ce n'est que le 25 novembre 2009, aux termes d'un délai de 51 jours, que l'APHP a pu faire le lien entre la disparition de ce patient dans son premier hôpital et son hospitalisation dans le second établissement.

Il est à noter que le second hôpital aurait du enregistrer le patient par le biais de la lettre « X » sur le logiciel GILDA permettant ainsi au service central des recherches de patients hospitalisés de repérer cette situation et de faire rapidement le lien avec la disparition initiale du patient qui lui avait été signalée.

Enfin, le patient a de nouveau fugué le 29 novembre et a été retrouvé dès le lendemain.

Par décision en date du 23 avril 2013, le Tribunal administratif de Paris a jugé que « le manque de surveillance de  M. X. et le délai anormalement long au terme duquel il a pu être identifié, constituent des fautes dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier » et a condamné l'APHP à verser 5 000 euros à ce patient.

Il est à noter que la famille avait parallèlement engagé des frais de recherche (notamment appel à un détective privé, publications dans la presse écrite) et que ceux-ci, présentant un lien direct certain avec la faute commise, pourront être remboursés sur présentation des factures correspondantes.

 

III - Exemples extraits de la jurisprudence administrative (établissements hors AP-HP)

 CAA Bordeaux, 23 novembre 1993 : patiente de 80 ans hospitalisée à 11heures et ayant quitté clandestinement l’établissement le même jour en fin d’après midi.

Recherches (des services de police) vaines

Retrouvée morte 3 jours plus tard  dans un immeuble en construction

Décès imputé aux conséquences de sa tumeur cérébrale.

  • pas de responsabilité pour défaut de surveillance car elle présentait quelques troubles du comportement. Mais ces troubles, compte tenu de son âge n’étaient pas de nature à la considérer comme devant faire l’objet de mesures de surveillance particulières
  • faute du centre hospitalier qui a omis de prévenir la famille de sa disparition mais pas de lien de causalité entre cette faute et le décès (centre hospitalier déclaré non responsable)

CAA Lyon 10 janvier 2008 : patient de 54 ans adressé par son médecin psychiatre dans un centre de long séjour en raison d’une démence sénile d’intensité moyenne

Un mois après son admission, après déjeuner, il s’enfuit de l’établissement.

Son corps est retrouvé 20 jours plus tard sur une commune voisine au fond d’un ravin où il a fait une chute.

  • pas de défaut de surveillance et pas de responsabilité de l’établissement car ce centre de long séjour était conçu pour des patients ne relevant pas d’un enfermement psychiatrique et était adapté à son état.
  • Pas de non respect des obligations de l’établissement car au moment de la disparition, le patient se trouvait dans le jardin donnant sur la salle à manger qui était entouré de murs de 2 mètres de haut et que la porte de la salle à manger était équipée d’un digicode dont le numéro était connu du seul personnel du centre. Le fait qu’il ait pu s’échapper, et même s’il présentait une « tendance à fuguer » nécessitant des « moyens appropriés » ne suffit pas à démontrer un défaut de surveillance.