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Tribunal administratif de Caen, 19 septembre 2014, n° 1401769 ( Admission des patients – Blocage des admissions – Référé)

La direction d’un établissement public de santé mental ayant prévu un plan de modernisation, des syndicats empêchent la tenue d’instances de l’hôpital qui devaient l’examiner en décembre 2013 ainsi qu’au mois d’avril 2014, En avril, saisi en référé par le directeur de cet établissement, le tribunal administratif avait ordonné la levée des blocages. Au mois de juillet 2014, des syndicats avaient empêché la tenue du comité technique d’établissement (CTE). Par cette ordonnance, le juge des référés enjoint ainsi les syndicats, « et, à toute autre personne de s’abstenir de faire obstacle de quelque manière que ce soit à l’admission des patients ». Le juge ordonne également « de mettre un terme à l’occupation irrégulière des locaux et/ou à l’exercice de tous agissements et manœuvres de toute nature tendant à empêcher les réunions appelées à aborder ou à se prononcer sur la question du plan de modernisation de l’établissement et/ou l’application de ses différentes mesures ».

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE CAEN

 

N° 1401769

 

ÉTABLISSEMENT PUBLIC DE SANTÉ MENTALE X.

 

M. Mendras

Président

Juge des référés

 

Ordonnance du 19 septembre 2014

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

Le juge des référés

 

Vu la requête enregistrée le 16 septembre 2014, présentée pour l'établissement public de santé mentale (EPSM) X., pris en la personne de son représentant légal, domicilié..., par Me Bouthors, avocat ;

L’EPSM demande au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative :

1°) d’enjoindre au syndicat A. et au syndicat B. ainsi qu’à toute autre personne de s’abstenir de faire obstacle de quelque manière que ce soit à l’admission des patients, de mettre un terme à l’occupation irrégulière des locaux et/ou à l’exercice de tous agissements et manœuvres de toute nature tendant à empêcher les réunions appelées à aborder ou à se prononcer sur la question du plan de modernisation de l’établissement et/ou l’application de ses différentes mesures ;

2°) d’enjoindre aux syndicats de lever les consignes de blocage des admissions des patients, d’occupation irrégulière des locaux de l’EPSM et/ou à l’exercice de tous agissements et manœuvres de toute nature tendant à empêcher les réunions appelées à aborder ou à se prononcer sur la question du plan de modernisation de l’établissement et/ou l’application de ses différentes mesures, plus généralement de s’abstenir de tous agissements et de lever toute consigne tendant à porter atteinte à la continuité du service public ;

3°) d’assortir les injonctions d’une astreinte de 5 000 euros par jour, du fait de tout acte, comportement ou document contrevenant aux injonctions ;

4°) de l’autoriser à procéder à l’expulsion de toute personne occupant irrégulièrement les locaux de l’établissement ou faisant obstacle à la continuité du service public, au besoin avec le concours de la force publique ;

5°) de mettre à la charge de chacun des syndicats A. et B. la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

6°) de condamner solidairement les syndicats A. et B. aux entiers dépens ;

Il soutient que, suite à une situation financière difficile, un plan de modernisation est envisagé ; que des mouvements sociaux sont nés dans ce contexte ; qu’au cours de la semaine du 14 au 20 avril 2014, des dégradations et blocages ont eu lieu dans les locaux de la direction ; que le CTE du 3 juillet 2014 a été bloqué ; que les admissions de patients relevant de l’EPSM ont été fortement perturbés par des agents de l’établissement ; que le blocage des admissions de patients portent atteinte à leur sécurité mais également au bon fonctionnement du service public au sein de l’établissement ; que ces patients sont orientés ou maintenus vers d’autres structures, qui ne possèdent pas les moyens adaptés pour assurer une telle mission ; que les locaux sont irrégulièrement occupés depuis le 16 septembre 2014 ; qu’il est impossible de tenir des réunions au sein de l’établissement, concernant le plan de modernisation ; qu’il y a une urgence financière et une nécessité immédiate au regard des impératifs de sécurité à mettre en œuvre le plan de modernisation ;

 

Vu le mémoire enregistré le 19 septembre 2014, présenté pour le syndicat A.  et le syndicat B.  de l’EPSM, par Me Debuys, avocat, qui concluent au rejet de la requête et à la condamnation du requérant à verser à chacun une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent :

- que la requête est mal fondée en tant qu’elle sollicite une injonction permanente et générale ; que la personne publique doit faire relever l’identité des personnes visées dans l’instance ; que les mesures demandées conduiraient à priver les syndicats de leurs droits, en interdisant toutes actions syndicales, pour l’avenir en tout temps et de manière générale ; que l’injonction doit présenter un caractère provisoire ou conservatoire ;

- que les mesures demandées ne présentent pas un caractère d’utilité ; que les admissions de patients n’ont fait l’objet d’aucun blocage ; que 43 admissions ont été enregistrées entre le 8 septembre 2014 et le 18 septembre 2014 ; qu’en tout état de cause, l’assemble générale du personnel qui s’est réunie le 18 septembre 2014, a arrêté le filtrage perlé mis en place ; que ce n’est que par suite de la seule décision des administrateurs de garde que des personnes provenant des urgences psychiatriques du CHU X. n’ont pas été prises en charge au sein de l’EPSM et ont été redirigées vers d’autres structures ; que les réunions se sont tenus normalement, notamment la réunion de la commission médicale d’établissement du 3 juillet 2014, le CHS du 26 juin et 3 juillet 2014, le conseil de surveillance du 4 juillet 2014, le CTE du 2 juillet 2014 et 16 septembre 2014 ; qu’ils ne sauraient être tenus responsables de l’absence de quorum lors de la séance du 9 septembre 2014 ; que l’occupation symbolique des locaux a été décidée le 16 septembre 2014 pour cette seule journée ;

- que la condition d’urgence n’est pas remplie dès lors que les griefs portés à leur encontre ne sont pas actuels et leur survenance dans un avenir proche n’est pas établie ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

 

Après avoir convoqué à une audience publique :

- Me Bouthors, représentant l’établissement public de santé mentale ;

- le syndicat A.  ;

- le syndicat B. de l’EPSM ;

 

Après l’audience publique du 19 septembre 2014 au cours de laquelle ont été entendus :

- le rapport de M. Mendras, juge des référés ;

- les observations de Me Bouthors pour l’établissement public de santé mentale qui fait notamment valoir que l’EPSM est le seul hôpital dédié aux soins psychiatriques dans le département Y.  ; que le droit de grève doit s’exercer dans le respect de la continuité du service public ; que le blocage des admissions de patients constitue un danger pour les patients et les autres structures du département; que l’injonction demandée répond aux conditions d’utilité et d’urgence ;

- et les observations de Me Debuys pour les syndicats A. et B. qui soutiennent notamment que les conditions d’urgence et d’utilité ne sont pas remplies dès lors que le filtrage des admissions, l’occupation des locaux et le blocage de réunions au sein de l’établissement n’existent  plus à la date à laquelle il est statué ; que l’injonction demandée est trop large et s’avère inutile ;

 

Après avoir prononcé, à l’issue de l’audience, la clôture de l’instruction ;

Connaissance prise de la note en délibéré présentée pour l’EPSM ;

 

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative :

1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-3 du code de justice administrative : « En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative » ; qu’il appartient au juge des référés, saisi sur le fondement de ces dispositions, de rechercher si, au jour où il statue, la demande formée par le requérant présente un caractère d'urgence et d’utilité ainsi que de faire, éventuellement, application du principe général selon lequel les juges ont la faculté de prononcer, si nécessaire et au besoin d’office, une astreinte en vue de l’exécution de leurs décisions  ;

2. Considérant qu’il résulte de l’instruction, d’une part, que les admissions de patients relevant de l’EPSM, qui est le seul hôpital dédié aux soins psychiatriques dans le département Y. , ont été fortement perturbées, depuis le 9 septembre 2014, par des agents de l’établissement mettant en danger la sécurité des patients mais également le bon fonctionnement du service public au sein de l’établissement, dès lors que ces patients sont orientés ou maintenus vers d’autres structures, qui ne possèdent pas les moyens adaptés pour les prendre en charge  ; que si, ainsi que le font valoir les syndicats mis en cause , des admissions ont bien eu lieu entre le 8 septembre 2014 et le 18 septembre 2014, il est néammoins constant que ce chiffre d’admission est très inférieur au nombre habituel  et que des patients provenant du CHU X. se sont vus refuser une prise en charge au sein de l’établissement ; que de tels actes portent atteinte à la sécurité des patients et à la continuité du service public au sein de l’établissement, et plus globalement à  l’ensemble des organismes de soins du département Y., ainsi qu’il est relevé dans divers documents produits à l’instance et notamment du courrier du directeur général du centre hospitalier universitaire du 15 septembre 2014 ; que d’autre part, les  locaux ont été irrégulièrement occupés le 16 septembre 2014, par des agents qui se sont déclarés investis d’une mission de direction de l’établissement et ont donné des directives aux administrateurs de garde pour assurer un « filtrage » des admissions ; que l’ensemble de ces agissements ont été, sinon initiés, du moins revendiqués et cautionnés par les syndicats B. et A. ,ainsi qu’il ressort des documents et tracts diffusés à leur en-tête par ces syndicats; que par ailleurs,  le maintien de certains des agents de l’établissement dans ses locaux alors qu’ils n’y exercent pas leur service crée des perturbations dans la prise en charge des patients ;  qu’il est constant que des réunions antérieures des instances consultatives de l’EPSM X. ont dû être reportées ou délocalisées en dehors de l’établissement à la suite de plusieurs actions de blocage de l’accès aux salles de réunion, par force ou intimidation ; que  la circonstance que l’établissement ne puisse être en mesure de répondre à sa mission d’accueil et de prise en charge des  malades, dont l’état de santé de certains présente un caractère de gravité, est de nature à faire naître une situation d’urgence au sens des dispositions précitées de l’article L. 521-3 du code de justice administrative ; que s’il est fait état par les syndicats mis en cause de ce que la fin du « filtrage » des admissions aurait été décidé en assemblée générale, le 18 septembre 2014, cette circonstance ne retire pas aux  mesures sollicitées par l’EPSM leur caractère d’utilité, dès lors que les agissements destinés à rétablir ce « filtrage » peuvent être repris à tout moment et à très brève échéance ; que ces mesures destinées à permettre à garantir la liberté d’accès à l’établissement et le maintien de son fonctionnement dans des conditions normales répondant aux besoins des usagers et aux nécessités du service public  satisfont aux  conditions d’utilité et d’urgence posées par les dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative ; que, par suite, il y a lieu d’enjoindre aux syndicats A.  et B., ainsi qu’à tout autre manifestant, de s’abstenir, sous peine d’astreinte, de faire obstacle à l’admission de patients, de laisser un libre accès à l’ensemble des locaux de l’établissement, et de ne pas par une occupation irrégulière des locaux perturber le fonctionnement du service ; qu’en cas d’inexécution, l’EPSM pourra requérir le concours de la force publique pour mettre fin aux troubles  en procédant aux expulsions nécessaires ;

 

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

3. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge des syndicats A. et B. la somme de 1 000 euros chacun au titre des frais visés par les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu’en revanche, ces mêmes dispositions s’opposent à ce que l’EPSM, qui n’est pas la partie perdante du présent procès, verse au même titre une somme à ces syndicats ;

 

O R D O N N E :

Article 1er : Il est enjoint au syndicat A.  et au syndicat B. de l’EPSM, et à toutes personnes de leur chef, de lever les consignes d’occupation irrégulière des locaux et  de blocage  des admissions de patients de l’EPSM X., et/ou de s’abstenir de prendre de telles consignes.

Article 2: Il est enjoint à toute personne de s’abstenir d’occuper irrégulièrement les locaux de l’EPSM ou encore de faire obstacle, de quelque manière que ce soit, à l’admission de patients et au libre accès à l’établissement ; à défaut, l’EPSM pourra faire procéder d’office avec le concours de la force publique à l’évacuation des locaux et au rétablissement de ses accès.

Article 3 : A défaut d’exécution de la présente ordonnance à compter de sa notification, tout acte ou document contraire aux injonctions édictées par les articles premier et deux ci-dessus donnera lieu à une astreinte de 1 000 euros par jour à la charge de toute personne contrevenant aux injonctions.

Article 4 : Le syndicat A.  et le syndicat B. de l’EPSM verseront chacun la somme de 1000 euros à l’EPSM X. au titre des frais visés à l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5: La présente ordonnance sera notifiée à l’établissement public de santé mentale X., au syndicat A et au syndicat B. de l’EPSM.