Revenir aux résultats de recherche

Cour de cassation, première chambre civile, 11 mars 2010, n° 09-11270 (Obligation d’information – Médecin – Manquement – Perte de chance – Indemnisation – ONIAM)

En l’espèce, à la suite d'une opération d'une hernie discale, un patient a présenté une paraplégie. Le chirurgien et son assureur ont été condamnés in solidum. La cour de cassation a considéré que la cour d’appel avait légalement justifié sa décision au motif qu'en privant le patient de la faculté de consentir d'une façon éclairée à l'intervention, le chirurgien avait manqué à son devoir d'information et qu'il l'avait ainsi privé d'une chance d'échapper à une infirmité. Toutefois, la Haute juridiction casse l'arrêt pour avoir mis hors de cause l'ONIAM alors que l'indemnité avait pour objet de réparer le préjudice né d'une perte de chance d'éviter l'accident médical dont la survenance n'était pas imputable à une faute du chirurgien, à l'encontre duquel avait été exclusivement retenu un manquement à son devoir d'information.

Cour de cassation
chambre civile 1


Audience publique du jeudi 11 mars 2010


N° de pourvoi: 09-11270


Publié au bulletin

Cassation partielle

M. Charruault (président), président

SCP Masse-Dessen et Thouvenin, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Roger et Sevaux, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Met hors de cause à leur demande M. X... et son assureur sur le pourvoi incident ;

Attendu que suite à une opération d'une hernie discale pratiquée le 23 mars 2004 par M. X..., chirurgien, au sein de la Clinique Clairval, M. Y... a présenté une paraplégie ; qu'il a sollicité, de même que ses ayants droit, la réparation des dommages à l'encontre de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), de M. X... et de son assureur ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal pris en ses deux branches :

Attendu que M. X... et son assureur, la société Medical Insurance company Ldt, reprochent à l'arrêt de les avoir condamnés in solidum à réparer le préjudice subi par M. Y... ainsi que par les consorts Y... à raison d'une perte de chance évaluée à 80%, alors selon le moyen :

1°/ que d'une part, la violation de l'obligation d'information incombant à tout professionnel de santé n'est sanctionnée qu'autant qu'il en est résulté pour le patient une perte de chance de refuser l'acte médical et d'échapper au risque qui s'est réalisé ; qu'en se bornant à énoncer que le patient n'avait pas bénéficié d'un temps de réflexion suffisant pour mûrir sa décision et pour réunir d'autres avis avant une opération grave à risques, tout en constatant qu'il était informé du risque de paralysie inhérent à l'exérèse d'une hernie discale et que l'indication opératoire était une réponse thérapeutique adaptée compte tenu du volume impressionnant de la hernie dont il souffrait, relevant ainsi que l'intervention était nécessaire et qu'il n'existait aucune relation causale entre le défaut d'information et le consentement du patient à l'opération envisagée, la cour d'appel a violé l'article L. 1111-2 du code de la santé publique ;

2°/ que, d'autre part, la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant, d'un côté, que la hernie discale dont souffrait le patient ne permettait pas de considérer le risque de paraplégie comme une fatalité à court, moyen ou long terme, considérant ainsi qu'une intervention ne présentait aucun caractère de nécessité et, de l'autre, que l'indication opératoire était une réponse thérapeutique adaptée compte tenu de la volumineuse hernie discale dont le patient était porteur, ce dont il résultait qu'aucune amélioration spontanée n'était à attendre et qu'un risque d'aggravation neurologique progressive était prévisible, la cour d'appel s'est contredite en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel a tout d'abord, pour écarter toute faute diagnostique ou opératoire de M. X..., retenu, adoptant les conclusions de l'expert, que l'intervention chirurgicale était une réponse thérapeutique adaptée, même si la nécessité immédiate n'en n'était pas justifiée au regard de l'absence d'éléments en faveur d'une rapide aggravation des troubles ; qu'elle a ensuite, sans contradiction, constaté qu'en raison du court laps de temps qui avait séparé la consultation initiale et l'opération, M. Y..., n'ayant reçu aucune information sur les différentes techniques envisagées, les risques de chacune et les raisons du choix de M. X... pour l'une d'entre elles, n'avait pu bénéficier d'un délai de réflexion, pour mûrir sa décision en fonction de la pathologie initiale dont il souffrait, des risques d'évolution ou d'aggravation de celle-ci et pour réunir d'autres avis et d'autres informations nécessaires avant une opération grave à risques, ce dont il résultait qu'en privant M. Y... de la faculté de consentir d'une façon éclairée à l'intervention, M. X... avait manqué à son devoir d'information ; qu'elle en a déduit qu'il avait ainsi privé le patient d'une chance d'échapper à une infirmité, justifiant ainsi légalement sa décision ;

Que le moyen, non fondé en sa première branche, manque en fait en sa seconde ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident :

Vu les articles L. 1142-1 et L. 1142-18 du code de la santé publique ;

Attendu qu'il résulte du rapprochement de ces textes que ne peuvent être exclus du bénéfice de la réparation au titre de la solidarité nationale les préjudices, non indemnisés, ayant pour seule origine un accident non fautif ;

Attendu que pour rejeter la demande dirigée par M. Y... contre l'ONIAM et mettre celui-ci hors de cause, l'arrêt attaqué retient que, dès lors que, comme en l'espèce, une faute, quelle qu'elle soit, a été retenue à l'encontre du praticien, l'indemnisation est à la charge de ce dernier, l'obligation d'indemnisation au titre de la solidarité nationale n'étant que subsidiaire ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'indemnité allouée à M. Y... avait pour objet de réparer le préjudice né d'une perte de chance d'éviter l'accident médical litigieux, accident dont la survenance n'était pas imputable à une faute de M. X..., à l'encontre duquel avait été exclusivement retenu un manquement à son devoir d'information, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition mettant hors de cause l'ONIAM, l'arrêt rendu le 10 septembre 2008, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties concernées dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne la société Medical Insurance company Ltd, M. X... et l'ONIAM aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum, la société Medical Insurance company Ltd, M. X... et l'ONIAM à payer la somme de 3 500 euros aux consorts Y... ; rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille dix.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils pour la société Medical Insurance company Ltd et M. X....

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné un chirurgien (M. X..., exposant), in solidum avec son assureur (la société MIC, également exposante), à réparer le préjudice subi par un patient (M. Y...) ainsi que par ses proches (les consorts Y...) à raison d'une perte de chance évaluée à 80 % ;

AUX MOTIFS QUE l'expert ne remettait pas en cause l'état de la volumineuse hernie dont le patient était porteur ; que l'indication opératoire était une réponse thérapeutique adaptée, même si la nécessité immédiate de celle-ci n'était pas justifiée au regard de l'absence d'éléments en faveur d'une aggravation rapide des troubles ; que la complication neurologique consécutive à l'intervention n'apparaissait pas imputable à un geste précis qui aurait été fait ou qui n'aurait pas été fait par M. X..., mais à un aléa thérapeutique au sens médical, qui ne pouvait être maîtrisé, inhérent à la technique utilisée conforme aux données médicales de la science ; qu'il n'apparaissait pas douteux que le risque paraplégique était inscrit dans tout geste chirurgical intéressant la moelle épinière, la chirurgie des hernies discales dorsales devant être considérée comme une chirurgie à haut risque ; que le chirurgien avait choisi une voie opératoire d'abord postérieur par laminectomie dont les experts s'accordaient à souligner les dangers ; que d'autres types d'interventions pouvaient être pratiqués en théorie pour traiter une hernie discale thoracique ; que le chirurgien qui avait examiné M. Y... le 11 mars 2004 avait pris la décision d'opérer le 23 mars suivant ; qu'aucun élément médical ne permettait de retenir que l'état du patient justifiait la rapidité ou l'urgence de cette intervention qui supposait, de l'avis de l'expert, que le patient eût été clairement informé des différentes techniques opératoires, des risques de chacune d'elles et du risque d'aggravation de son état en cas de refus d'opération afin de permettre au patient toute latitude du choix ; que tel n'avait pas été le cas, même si la cour admettait que le patient ne pouvait ignorer le risque de paralysie d'une intervention pour traiter une hernie discale ; que l'absence de recul du patient sur l'opération envisagée qui résultait du court laps de temps qui avait séparé la consultation initiale et l'opération excluait que M. Y..., qui n'avait reçu aucune information sur les différentes techniques, les risques de chacune et les raisons du choix du chirurgien pour l'une d'entre elles, eût bénéficié d'un délai de réflexion pour mûrir sa décision en fonction de la pathologie initiale dont il souffrait, des risques d'évolution ou d'aggravation de celle-ci et pour réunir d'autres avis et d'autres informations nécessaires avant une opération grave à risques ; qu'ayant été privé d'une telle réflexion, M. Y... avait été privé d'un choix raisonné et conscient de refuser l'intervention et donc d'éviter le risque de voir réaliser le dommage irréversible dont il souffrait et que sa pathologie initiale ne permettait pas de considérer comme une fatalité à court, moyen ou même à long terme selon l'expert (p. 21 du rapport d'expertise) ; qu'en privant le patient de consentir de façon éclairée à l'intervention, M. X... avait manqué à son obligation d'information ; que la perte de chance d'échapper à une infirmité était évaluée à 80 % des conséquences dommageables de l'opération, étant précisé que la cour n'avait aucune certitude que, correctement informé, le patient aurait renoncé à l'opération (arrêt attaqué, p. 8, 4ème attendu ; p. 9 ; p. 10, 1er attendu) ;

ALORS QUE, d'une part, la violation de l'obligation d'information incombant à tout professionnel de santé n'est sanctionnée qu'autant qu'il en est résulté pour le patient une perte de chance de refuser l'acte médical et d'échapper au risque qui s'est réalisé ; qu'en se bornant à énoncer que le patient n'avait pas bénéficié d'un temps de réflexion suffisant pour mûrir sa décision et pour réunir d'autres avis avant une opération grave à risques, tout en constatant qu'il était informé du risque de paralysie inhérent à l'exérèse d'une hernie discale et que l'indication opératoire était une réponse thérapeutique adaptée compte tenu du volume impressionnant de la hernie dont il souffrait, relevant ainsi que l'intervention était nécessaire et qu'il n'existait aucune relation causale entre le défaut d'information et le consentement du patient à l'opération envisagée, la cour d'appel a violé l'article L.1111-2 du code de la santé publique ;

ALORS QUE, d'autre part, la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant, d'un côté, que la hernie discale dont souffrait le patient ne permettait pas de considérer le risque de paraplégie comme une fatalité à court, moyen ou long terme, considérant ainsi qu'une intervention ne présentait aucun caractère de nécessité et, de l'autre, que l'indication opératoire était une réponse thérapeutique adaptée compte tenu de la volumineuse hernie discale dont le patient était porteur, ce dont il résultait qu'aucune amélioration spontanée n'était à attendre et qu'un risque d'aggravation neurologique progressive était prévisible, la cour d'appel s'est contredite en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils pour les consorts Y....

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de partage de l'indemnisation intégrale de M. Y... entre l'ONIAM et le Dr X... et d'AVOIR mis hors de cause l'ONIAM ;

AUX MOTIFS QUE dans l'hypothèse d'une faute du praticien et quelle que soit la faute, l'indemnisation est à la charge du praticien ; que l'obligation d'indemnisation au titre de la solidarité nationale n'étant que subsidiaire, il convient en l'espèce de mettre hors de cause l'ONIAM et de débouter par conséquent les consorts Y... de toutes leurs demandes à son encontre et notamment de leur demande de partage d'une indemnisation intégrale entre l'ONIAM et M. X..., sollicitée par M. Y... ;

ALORS QUE lorsqu'un accident médical n'est que pour partie la conséquence d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins engageant la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé, le juge doit déterminer la part de préjudice imputable à la responsabilité et celle relevant d'une indemnisation au titre de l'ONIAM ; qu'en considérant que la condamnation du Dr X... à indemniser 80% du préjudice subi par M. Y... lui interdisait de mettre les 20% restants à la charge de l'ONIAM, laissant ainsi sans réparation une part de préjudice découlant de la paraplégie constatée à la suite de l'intervention chirurgicale, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-18 du code de la santé publique.