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Conseil d'État, 10 octobre 2005, Consorts G. (préjudice - erreur médicale - réparation intégrale)

Le préjudice qui résulte d’une erreur médicale doit être réparé intégralement. Seule la faute résultant d’un manquement à l’obligation d’information peut justifier la réparation partielle du préjudice subit par un patient

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire, le mémoire complémentaire et les observations complémentaires, enregistrés les 18 février, 17 juin et 7 juillet 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Philippe X, demeurant ..., agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leur fille mineure Marlène ; M. et Mme X demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 17 décembre 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, réformant le jugement du 4 juin 1999 du tribunal administratif de Versailles, a ramené à 18 000 euros et 4 000 euros le montant des indemnités que le centre hospitalier de Pontoise a été condamné à leur payer à titre provisionnel en raison des conséquences dommageables de l'hospitalisation de la jeune Marlène dans cet établissement ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Pontoise la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thomas Campeaux, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. et Mme X, de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier de Pontoise et de la SCP Gatineau, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Val d'Oise,
- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que par l'arrêt attaqué en date du 17 décembre 2002, la cour administrative d'appel de Paris a jugé que la responsabilité du centre hospitalier de Pontoise était engagée à raison de la faute commise lors des soins prodigués à la jeune Marlène dans cet établissement, ayant fait perdre à cette dernière une chance d'échapper à l'amputation partielle de sa jambe gauche ; qu'elle a ensuite jugé que la réparation du dommage résultant de cette perte de chance devait être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice subis et a condamné le centre hospitalier de Pontoise à verser diverses sommes à M. et Mme X, en leur nom propre et en leur qualité d'administrateurs légaux de leur fille Marlène, ainsi qu'à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise ; que les consorts X se pourvoient en cassation contre cet arrêt, à l'encontre duquel le centre hospitalier de Pontoise et la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise présentent également des conclusions à fin d'annulation ;

Sur le pourvoi principal des consorts X et sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Val d'Oise :

Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête ;

Considérant qu'en jugeant, après avoir estimé que la faute commise par le centre hospitalier de Pontoise avait fait perdre à Marlène une chance d'échapper à l'amputation de sa jambe ou de voir limitées les conséquences de l'accident ischémique dont elle avait été victime, que la réparation du dommage résultant de cette perte de chance devait être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice subis et que l'intéressée n'avait ainsi pas droit à la réparation intégrale de son préjudice, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit être annulé en tant qu'il statue sur l'étendue du préjudice indemnisable et fixe les droits des consorts X et de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise ;

Sur le pourvoi incident présenté par le centre hospitalier de Pontoise :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la constatation d'une ischémie aiguë du membre inférieur gauche de Marlène à 1 h 30 le 3 février 1994, laissant d'abord suspecter un spasme artériel, les médecins du centre hospitalier de Pontoise ont mis en oeuvre un traitement visant à la levée de ce spasme ; qu'après une légère amélioration dans la matinée, la coloration du membre s'est de nouveau altérée au cours de l'après-midi de ce même jour ; que dans la soirée, l'équipe médicale a une nouvelle fois pratiqué une injection visant à traiter un spasme artériel, avant d'entreprendre une thrombolyse par voie générale par l'administration d'un médicament fibrinolytique, relayée le 5 février 1994 par un traitement par héparine ; que la cour administrative d'appel de Paris a jugé, par une appréciation souveraine des faits qui n'est pas entachée de dénaturation, qu'après l'échec des manoeuvres initiales de levée du spasme artériel, le diagnostic devait s'orienter vers celui de thrombose et que dès lors, dans l'après-midi du 3 février 1994, Marlène était dans tous les cas exposée à un risque vital en conséquence de la nécrose de sa jambe ; qu'en jugeant que, dans ces conditions, l'absence de perfusion d'héparine plus précoce et le délai écoulé avant la mise en place d'un traitement thrombolytique, malgré les risques d'hémorragie intracrânienne que comportent ces traitements pour les nouveaux-nés, étaient constitutifs d'un retard fautif engageant la responsabilité du centre hospitalier de Pontoise, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Pontoise n'est pas fondé à demander, par la voie du pourvoi incident, l'annulation totale de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond dans les limites de l'annulation prononcée par la présente décision ;

Considérant que contrairement à ce que soutient en appel, à titre subsidiaire, le centre hospitalier de Pontoise, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Versailles l'a condamné à réparer l'intégralité du préjudice subi par Marlène du fait de la perte de chance d'échapper à l'amputation résultant de la faute commise ; que le centre hospitalier de Pontoise n'est ainsi pas fondé à demander que l'indemnité accordée au titre de cette perte de chance soit ramenée au cinquième des différents chefs de préjudice subis ;

Considérant, par ailleurs, que dans un mémoire enregistré à la cour administrative d'appel de Paris le 2 novembre 2001, les consorts X ont demandé la capitalisation des intérêts afférents aux sommes que leur a accordées le tribunal administratif de Versailles ; qu'à cette date, les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à la demande de capitalisation tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du centre hospitalier de Pontoise la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par les consorts X et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des mêmes dispositions et de mettre à la charge du centre hospitalier de Pontoise la somme que demande la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE :
Article 1er : Les articles 1 à 5 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 17 décembre 2002 sont annulés.
Article 2 : Le pourvoi incident du centre hospitalier de Pontoise est rejeté.
Article 3 : Les conclusions subsidiaires présentées par le centre hospitalier de Pontoise devant la cour administrative d'appel de Paris sont rejetées.
Article 4 : Les intérêts afférents aux sommes que le tribunal administratif de Versailles a condamné le centre hospitalier de Pontoise à verser aux consorts X dans son jugement du 4 juin 1999, échus à la date du 2 novembre 2001 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : Le centre hospitalier de Pontoise versera à M. et Mme X une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Philippe X, au centre hospitalier de Pontoise, à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise et au ministre de la santé et des solidarités.