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Conseil d'Etat, 19 mars 2010, n°313457 (Responsabilité sans faute – service public hospitalier – risque médical commun à une large catégorie d’actes médicaux)

Cet arrêt vient préciser la jurisprudence Bianchi (arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 9 avril 1993) qui dispose que lorsqu’un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l’exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d’extrême gravité.
En l’espèce, un homme atteint d’un cancer des amygdales est victime d’un accident cérébral à l’occasion d’une intervention chirurgicale dans le cadre de son traitement à l’AP-HP, accident qui a occasionné une hémiplégie droite massive. La cour administrative d’appel de Paris avait écarté la responsabilité sans faute pour risque médical de l’AP-HP, en estimant que la réalisation d’un risque commun à large catégorie d’actes médicaux excluait l’engagement de la responsabilité sans faute du service public hospitalier. Le Conseil d’Etat annule cet arrêt et estime que la Cour d’appel a commis une erreur de droit en faisant une telle application des dispositions de l’arrêt Bianchi. Ainsi, l’on peut tirer de ces conclusions que la responsabilité de l’hôpital peut être engagée à raison de la réalisation d’un risque commun à une large catégorie d’actes médicaux.

Conseil d’État

N° 313457

Mentionné dans les tables du recueil Lebon

5ème et 4ème sous-sections réunies

M. Arrighi de Casanova, président

M. Xavier de Lesquen, rapporteur

M. Thiellay Jean-Philippe, commissaire du gouvernement

SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ ; FOUSSARD, avocat(s)

lecture du vendredi 19 mars 2010

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 février et 19 mai 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour les CONSORTS , demeurant ... ; les CONSORTS demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 26 novembre 2007 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté leurs requêtes dirigées, d’une part, contre le jugement du 16 novembre 2005 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de M. Thierry tendant à la réparation des préjudices qu’il a subis du fait de l’accident cérébral dont il a été victime à la suite d’une intervention chirurgicale pratiquée le 9 septembre 1998 et, d’autre part, contre le jugement du 6 juillet 2006 par lequel le même tribunal a rejeté la demande de Mme , épouse de M. Thierry , agissant tant en son nom propre qu’en celui de ses enfants, tendant à la réparation des préjudices subis du fait du même accident ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à leurs demandes indemnitaires ;

3°) de mettre à la charge de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 6 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la CONSORTS et de Me Foussard, avocat de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la CONSORTS et à Me Foussard, avocat de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Thierry , atteint d’un cancer des amygdales diagnostiqué en 1997, a fait l’objet d’une radiothérapie qui a entraîné une ostéo-radionécrose, nécessitant une reconstruction de la mandibule ; qu’une première opération, comportant la greffe sur la mâchoire d’un lambeau pédiculé, a été réalisée le 31 août 1998 à l’hôpital Henri Mondor de Créteil ; qu’il a dû être procédé le 9 septembre 1998 à une reprise du geste chirurgical ; qu’au cours de cette seconde intervention, pendant la phase postopératoire, M. a développé une hémiplégie droite massive, attribuée à un accident vasculaire cérébral consécutif à une occlusion de la carotide interne gauche ; que, par l’arrêt attaqué du 26 novembre 2007, la cour administrative d’appel de Paris a confirmé le rejet, par le tribunal administratif de Melun, de son recours indemnitaire dirigé contre l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris dont dépend l’hôpital Henri Mondor de Créteil, ainsi que de celui que son épouse avait présenté, tant en son nom propre qu’en celui de leurs enfants ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi ;

Considérant que, lorsqu’un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l’exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d’extrême gravité ;

Considérant que, pour écarter l’application de ce régime de responsabilité, la cour administrative d’appel de Paris a relevé que l’accident dont a été victime M. n’est pas lié au choix des thérapies mises en oeuvre et que par ailleurs il peut se produire à l’occasion de toute intervention ; qu’en excluant ainsi que la responsabilité de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris puisse être engagée à raison de la réalisation d’un risque commun à une large catégorie d’actes médicaux, alors qu’une telle circonstance n’est pas une condition de l’engagement de la responsabilité sans faute du service public hospitalier, la cour a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, dès lors, être annulé ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement aux CONSORTS de la somme de 3 000 euros ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de ces derniers, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d’une somme au titre des frais exposés par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 26 novembre 2007 est annulé.

Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Paris.

Article 3 : L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris versera aux CONSORTS une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée aux CONSORTS et à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

Copie en sera adressée à la ministre de la santé et des sports.