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Conseil d’Etat, 19 octobre 2011, n°339670 (Responsabilité hospitalière – Contamination par le virus de l’hépatite C – Lien de causalité)

Le Conseil d’Etat apporte un éclairage intéressant concernant le lien de causalité en cas de contamination par le virus de l’hépatite C. Il considère en effet que  la  « présomption prévue par les dispositions précitées est constituée dès lors qu'un faisceau d'éléments confère à l'hypothèse d'une origine transfusionnelle de la contamination, compte tenu de l'ensemble des éléments disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que tel est normalement le cas lorsqu'il résulte de l'instruction que le demandeur s'est vu administrer, à une date où il n'était pas procédé à une détection systématique du virus de l'hépatite C à l'occasion des dons du sang, des produits sanguins dont l'innocuité n'a pas pu être établie, à moins que la date d'apparition des premiers symptômes de l'hépatite C ou de révélation de la séropositivité démontre que la contamination n'a pas pu se produire à l'occasion de l'administration de ces produits ; qu'eu égard à la disposition selon laquelle le doute profite au demandeur, la circonstance que l'intéressé a été exposé par ailleurs à d'autres facteurs de contamination, résultant notamment d'actes médicaux invasifs ou d'un comportement personnel à risque, ne saurait faire obstacle à la présomption légale que dans le cas où il résulte de l'instruction que la probabilité d'une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d'une origine étrangère aux transfusions ».

Voir également Conseil d’Etat, 19 octobre 2011, n° 338686

Conseil d'État

N° 339670   
Publié au recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies
 

M. Jacques Arrighi de Casanova, président
Mme Domitille Duval-Arnould, rapporteur
Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public
FOUSSARD ; SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP ROGER, SEVAUX, avocats

lecture du mercredi 19 octobre 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 mai et 7 juin 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean-Philippe A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 06NC01303 du 3 décembre 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, statuant sur la requête de l'Etablissement français du sang (EFS), a annulé le jugement n° 0600030 du 20 juillet 2006 du tribunal administratif de Besançon le condamnant à lui verser la somme de 33 520,62 euros et la somme de 4 312,70 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne en réparation des préjudices subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de l'Etablissement français du sang ;

3°) de mettre à la charge de l'EFS la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

Vu la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;

Vu l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 ;

Vu les décrets n° 2010-251 et n° 2010-252 du 11 mars 2010 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Domitille Duval-Arnould, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de Me Foussard, avocat de M. A, de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Etablissement français du sang, et de la SCP Roger Sevaux, avocat l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Foussard, avocat de M. A, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Etablissement français du sang, et à la SCP Roger Sevaux, avocat l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'un grave accident de la circulation survenu le 3 novembre 1986, M. A, alors âgé de 15 ans, a subi plusieurs interventions chirurgicales aux centres hospitaliers d'Auxerre et de Dijon, à l'occasion desquelles des produits sanguins lui ont été administrés ; qu'il a gardé d'importantes séquelles et a appris en 1999 qu'il était contaminé par le virus de l'hépatite C ; que la juridiction judiciaire a mis à la charge du conducteur responsable de l'accident, compte tenu des fautes commises par M. A, la réparation du tiers des dommages, y compris ceux résultant de la contamination de la victime qu'elle a imputée aux transfusions pratiquées en 1986 ; qu'afin d'obtenir un complément d'indemnité au titre de sa contamination, M. A a recherché devant la juridiction administrative la responsabilité de l'Etablissement français du sang (EFS) auquel avaient été transférées les obligations des fournisseurs des produits transfusés ; que, par jugement du 20 juillet 2006, le tribunal administratif de Besançon, regardant comme établie l'origine transfusionnelle de la contamination, a condamné l'EFS à verser à l'intéressé une indemnité de 33 520,62 euros et à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne une somme de 4 312,70 euros au titre des dépenses exposées par elle du fait de la contamination ; que M. A se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 3 décembre 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, estimant qu'un lien de causalité entre la contamination et les transfusions n'était pas établi, a annulé le jugement et rejeté sa demande ainsi que celle de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne ;

Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. / Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ;

Considérant que la présomption prévue par les dispositions précitées est constituée dès lors qu'un faisceau d'éléments confère à l'hypothèse d'une origine transfusionnelle de la contamination, compte tenu de l'ensemble des éléments disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que tel est normalement le cas lorsqu'il résulte de l'instruction que le demandeur s'est vu administrer, à une date où il n'était pas procédé à une détection systématique du virus de l'hépatite C à l'occasion des dons du sang, des produits sanguins dont l'innocuité n'a pas pu être établie, à moins que la date d'apparition des premiers symptômes de l'hépatite C ou de révélation de la séropositivité démontre que la contamination n'a pas pu se produire à l'occasion de l'administration de ces produits ; qu'eu égard à la disposition selon laquelle le doute profite au demandeur, la circonstance que l'intéressé a été exposé par ailleurs à d'autres facteurs de contamination, résultant notamment d'actes médicaux invasifs ou d'un comportement personnel à risque, ne saurait faire obstacle à la présomption légale que dans le cas où il résulte de l'instruction que la probabilité d'une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d'une origine étrangère aux transfusions ;

Considérant que l'arrêt attaqué relève, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que M. A a présenté au printemps 1987 un taux de transaminases cinq fois supérieur à la normale, révélant une infection par le virus de l'hépatite C, et, d'autre part, que l'un des donneurs des produits sanguins transfusés au centre hospitalier universitaire de Dijon, où l'intéressé avait séjourné au mois de novembre 1986, n'a pas pu être contrôlé ; que, pour juger que ces éléments ne conféraient pas à l'hypothèse d'une origine transfusionnelle de la contamination un degré suffisamment élevé de vraisemblance, de nature à constituer la présomption prévue par les dispositions législatives précitées, la cour administrative d'appel s'est fondée sur la circonstance que l'intéressé avait par ailleurs, à la suite de l'accident dont il avait été victime, subi plusieurs interventions chirurgicales et séjourné en unité de soins intensifs ; qu'en statuant ainsi, sans avoir recherché si l'hypothèse d'une origine nosocomiale était manifestement plus vraisemblable que l'hypothèse d'une origine transfusionnelle, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. A est fondé à demander l'annulation de l'arrêt du 3 décembre 2009 ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Office national de l'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, substitué à l'EFS en application du IV de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008, le versement à M. A de la somme de 5 000 euros, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des sommes exposées par lui devant la cour administrative d'appel et le Conseil d'Etat et non comprises dans les dépens ;

D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 3 décembre 2009 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Nancy.

Article 3 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à M. A la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Philippe A, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à l'Etablissement français du sang et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne.