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Conseil d'Etat, 20 avril 2011, n°332255 (Protection fonctionnelle - poursuites pénales)

En l'espèce, le Ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a refusé à deux reprises (les 30 octobre 2008 et 24 juillet 2009) à M. X le bénéfice de la protection fonctionnelle instituée par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. M. X demande une nouvelle fois au Conseil d'Etat l'annulation de la décision en date du 24 juillet 2009. Ce dernier annule cette décision en considérant que l'administration ne peut, en vertu de l'article 11 4° de la loi précitée refuser sa protection au fonctionnaire qui fait l'objet de poursuites pénales que dans le cas où les faits qui lui sont imputés ont le caractère de faute personnelle. En l'espèce, "considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les carnets de note en cause comportent essentiellement, outre quelques indications ayant trait à la vie privée de leur auteur, des informations recueillies par M. X à l'occasion de ses fonctions de directeur central des renseignements généraux et dont la vocation était d'être utilisée pour le service ; que si le fait d'avoir, après avoir quitté ses fonctions, conservé à son domicile des documents ayant une telle vocation constitue une faute, celle-ci, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. X ait conservé ces carnets en vue de s'en servir à des fins personnelles, n'a pas revêtu le caractère d'une faute personnelle, au sens des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ; que, par suite, en l'absence d'une telle faute, le ministre de l'intérieur était tenu d'accorder à M. X la protection statutaire qui résulte du troisième alinéa de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 (…)".

Conseil d'État
5ème et 4ème sous-sections réunies

N° 332255   


Publié au recueil Lebon



M. Arrighi de Casanova, président
M. Xavier de Lesquen, rapporteur
Mme Lieber Sophie-Justine, rapporteur public
SCP GATINEAU, FATTACCINI, avocats


Lecture du mercredi 20 avril 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 24 septembre et 28 octobre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Yves A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 juillet 2009 par laquelle le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales lui a refusé le bénéfice de la protection instituée par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

2°) d'enjoindre au ministre, à titre principal, de lui accorder le bénéfice de cette protection et, subsidiairement, de réexaminer sa demande dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision à venir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistré le 31 mars 2011, présentée pour M. A ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de M. Yves A,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de M. Yves A,

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales ;

Considérant qu'en vertu du troisième alinéa du même article : La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions et de réparer le cas échéant le préjudice qui en est résulté ; que ces dispositions établissent à la charge de la collectivité publique et au profit des fonctionnaires, lorsqu'ils ont été victimes d'attaques à l'occasion de leurs fonctions, sans qu'une faute personnelle puisse leur être imputée, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général ;

Considérant qu'en vertu du quatrième alinéa du même article : La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle ; que ces dispositions instituent en faveur des fonctionnaires ou des anciens fonctionnaires qui font l'objet de poursuites pénales une protection qui ne peut être refusée que si les faits en relation avec les poursuites ont le caractère d'une faute personnelle ; que doivent être regardés comme des éléments pouvant donner lieu à cette protection les frais exposés en relation directe avec une plainte déposée à l'encontre du fonctionnaire ou de l'ancien fonctionnaire, alors même que cette plainte aboutit ultérieurement à une décision de classement sans suite ;

Considérant que M. A, qui a été directeur central des renseignements généraux à la direction générale de la police nationale de 1992 à 2004, a demandé au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales le bénéfice de la protection statutaire prévue par les dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, à la suite de la divulgation, dans l'hebdomadaire Le Point des 9 et 16 octobre 2008, d'extraits de carnets de notes comportant des informations recueillies par le requérant à raison de sa qualité de directeur central des renseignements généraux, saisis à son domicile en janvier 2008 et placés sous main de justice dans le cadre de l'instruction d'une affaire pénale, d'une part, du fait des commentaires de presse qui accompagnaient ces révélations, qu'il estime injurieux, outrageants et diffamatoires à son égard, et, d'autre part, en raison des plaintes déposées contre lui par plusieurs personnes à la suite de la divulgation des informations contenues dans les carnets en cause ; qu'après une première décision de rejet de sa demande, en date du 30 octobre 2008, annulée par la décision n° 323745 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, du 19 juin 2009, le ministre a de nouveau rejeté la demande de M. Yves A par une décision du 24 juillet 2009 dont celui-ci demande l'annulation ;

Considérant que, pour refuser de faire droit à la demande de protection, le ministre s'est fondé d'une part sur ce que M. A aurait commis une faute personnelle détachable du service en conservant à son domicile les carnets de notes personnelles en cause, justifiant le refus de protection au titre tant des attaques que des poursuites dont il a fait l'objet et, d'autre part, sur ce que, ces carnets comportant des annotations susceptibles de jeter le discrédit sur des personnalités publiques et attentatoires à leur vie privée, l'intérêt général justifiait qu'il soit dérogé à l'obligation de protection statutaire à raison des attaques dont l'intéressé avait été l'objet ;

Sur le refus de protection à raison des plaintes dont M. A a fait l'objet :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les carnets de note en cause comportent essentiellement, outre quelques indications ayant trait à la vie privée de leur auteur, des informations recueillies par M. A à l'occasion de ses fonctions de directeur central des renseignements généraux et dont la vocation était d'être utilisées pour le service ; que si le fait d'avoir, après avoir quitté ses fonctions, conservé à son domicile des documents ayant une telle vocation constitue une faute, celle-ci, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A ait conservé ces carnets en vue de s'en servir à des fins personnelles, n'a pas revêtu le caractère d'une faute personnelle, au sens des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ; que, par suite, en l'absence d'une telle faute, le ministre de l'intérieur était tenu d'accorder à M. A la protection statutaire qui résulte du troisième alinéa de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, à raison des plaintes déposées à son encontre ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les frais exposés en relation directe avec une plainte déposée à l'encontre du fonctionnaire peuvent donner lieu à cette protection, même si cette plainte aboutit ultérieurement à un classement sans suite ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient le ministre, la décision de classement sans suite intervenue en l'espèce ne prive pas d'objet la requête de M. A ; que, dès lors, celui-ci est fondé à demander l'annulation, dans cette mesure, de la décision attaquée du 24 juillet 2009 ;

Sur le refus de protection à raison des attaques dont M. A a été l'objet à l'occasion de ses fonctions :

Considérant que la décision du ministre de ne pas accorder la protection statutaire à ce titre à M. A est fondée, outre sur l'existence d'une faute personnelle, sur le motif tiré de ce que l'Etat ne saurait couvrir de son autorité les agissements d'un directeur central des renseignements généraux ayant recueilli sur des personnalités publiques, dont certaines investies de responsabilités nationales ou de mandats électifs, des informations sans lien avec les missions de service public dont il avait la responsabilité, et gravement attentatoires à l'intimité de la vie privée de ces personnes ; qu'il ressort des pièces du dossier que le ministre aurait pris la même décision s'il n'avait retenu que ce motif, lequel constitue un motif d'intérêt général de nature à fonder légalement le refus de protection statutaire opposé à la demande de M. A relative aux attaques dont il a été l'objet à l'occasion de ses fonctions ; que par suite le requérant n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée du 24 juillet 2009 qui est insuffisamment motivée, en tant qu'elle rejette cette demande ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'annulation de la décision attaquée, en tant qu'elle rejette la demande de protection statutaire de M. A à raison des plaintes dont il a fait l'objet, implique nécessairement que la protection prévue par le troisième alinéa de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 lui soit accordée ; qu'il y a lieu, par suite, d'ordonner au ministre de la lui accorder, dans cette mesure, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision ;

Considérant, en revanche, que les autres conclusions à fin d'injonction de M. A doivent être rejetées par voie de conséquence de ce qui été dit plus haut ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A de la somme de 1 500 euros ;

D E C I D E :


Article 1er : La décision du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales du 24 juillet 2009 est annulée, en tant qu'elle rejette la demande de protection statutaire de M. A à raison des plaintes dont il a fait l'objet.


Article 2 : Il est enjoint au ministre d'accorder à M. A la protection statutaire à raison des plaintes dont il a fait l'objet, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.


Article 3 : L'Etat versera à M. A une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.


Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Yves A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.