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Conseil d’Etat, 20 mars 2011, n° 318184 (Praticien hospitalier – Chef de service – Suspension – Altération ou falsification de dossiers)

Un praticien hospitalier, chef de service d’un centre hospitalier, a été suspendu de ses fonctions par décision du directeur , lequel forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt par lequel la cour administrative d’appel a annulé cette décision. En l’espèce, l' infirmière et l' aide-soignante de ce service avaient été placées en détention provisoire pour des faits de maltraitance sur des personnes âgées , le chef de service avait quant à lui été placée en garde à vue au motif qu’il lui était reproché d’avoir modifié ou altéré les dossiers de patients. Dans la mesure où son maintien à ce poste, dans ces circonstances, aurait été susceptible de compromettre gravement la sécurité des soins apportés aux malades et la continuité du service, le Conseil d’Etat considère que cette situation justifiait qu’une mesure conservatoire de suspension des activités cliniques et thérapeutiques de ce praticien hospitalier fût prise en urgence par le directeur du centre hospitalier.

Conseil d'État

N° 318184
Inédit au recueil Lebon
8ème et 3ème sous-sections réunies
M. Arrighi de Casanova, président
M. Guillaume Prévost, rapporteur
Mme Escaut Nathalie, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats

Lecture du mercredi 30 mars 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 juillet et 8 octobre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER D'ARRAS, dont le siège est 57, avenue Winston Churchill à Arras (62022 Cedex), représenté par son directeur ; le centre hospitalier demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 06DA01220 du 30 avril 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a annulé le jugement n° 0406090 du 8 décembre 2005 du tribunal administratif de Lille rejetant la demande de Mlle Isabelle A tendant à l'annulation de la décision du 23 septembre 2004 par laquelle son directeur l'a suspendue de ses fonctions de praticien hospitalier, chef du service de cure médicale et a annulé cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de Mlle A ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le décret n° 84-131 du 24 février 1984 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Prévost, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat du CENTRE HOSPITALIER D'ARRAS et de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mlle Isabelle A,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du CENTRE HOSPITALIER D'ARRAS et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mlle A ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mlle A, praticien hospitalier, chef du service de cure médicale au CENTRE HOSPITALIER D'ARRAS, a été suspendue de ses fonctions par décision du 23 septembre 2004 du directeur du centre hospitalier ; que celui-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 30 avril 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Douai, faisant droit à l'appel formé par Mlle A contre le jugement du 8 décembre 2005 du tribunal administratif de Lille, a annulé cette décision ;

Considérant que le directeur d'un centre hospitalier qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut légalement, lorsque la situation exige qu'une mesure conservatoire soit prise en urgence pour assurer la sécurité des malades et la continuité du service, décider de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, sous le contrôle du juge et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article 69 du décret du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers, ultérieurement codifiées à l'article R. 6152-77 du code de la santé publique, qui ne prévoient la possibilité de suspendre les intéressés par une décision du ministre chargé de la santé que dans le seul cas où ils font l'objet d'une procédure disciplinaire ;

Considérant qu'en vertu de l'article L. 6115-3 du code de la santé publique, alors applicable, le directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation exerçait au nom de l'Etat et sous l'autorité du ministre chargé de la santé les compétences de cette agence, qui avait notamment pour mission de contrôler le fonctionnement des établissements de santé ; que, dès lors, la transmission de la décision de suspension au directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation, qui devait en référer immédiatement au ministre chargé de la santé publique, autorité compétente pour procéder à la nomination du praticien hospitalier, valait transmission de cette décision au ministre ; qu'il en allait de même de la transmission au directeur départemental de l'action sanitaire et sociale, eu égard aux dispositions des articles R. 1421-3 et R. 1421-6 du même code, alors applicables ; que, par suite, en jugeant que la transmission d'une copie de la décision de suspension litigieuse au directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation et au directeur départemental de l'action sanitaire et sociale n'était pas de nature à suppléer l'exigence d'information du ministre, la cour administrative d'appel de Douai a commis une erreur de droit ; que, dès lors, le CENTRE HOSPITALIER D'ARRAS est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que l'intervention de la décision de suspension prise par le ministre n'a pas privé d'objet le recours de Mlle A dirigé contre la décision de suspension prise par le directeur du centre hospitalier, qui avait produit ses effets antérieurement à celle du ministre ; que, par suite, les conclusions à fin de non-lieu présentées en défense par le CENTRE HOSPITALIER D'ARRAS doivent être rejetées ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré de ce que le directeur du centre hospitalier aurait méconnu l'obligation de référer au ministre de la mesure de suspension en cause doit être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier qu'alors que des faits de maltraitance sur des personnes âgées avaient conduit à la mise en examen et au placement en détention provisoire, le 22 septembre 2004, d'une infirmière et d'une aide soignante du centre de cure médicale, le chef de ce service, Mlle A, à qui il était reproché d'avoir, le même jour, modifié ou altéré les dossiers de patients, a été placée en garde à vue ; que son maintien à ce poste, dans ces circonstances, aurait été susceptible de compromettre gravement la sécurité des soins apportés aux malades et la continuité du service ; que, dès lors, cette situation justifiait qu'une mesure conservatoire de suspension des activités cliniques et thérapeutiques de ce praticien hospitalier fût prise en urgence par le directeur du centre hospitalier ; que la circonstance que des mesures relatives à la présence de Mlle A dans le service pouvaient également être prises par l'autorité judiciaire n'était pas de nature à priver le directeur du centre hospitalier de cette compétence ; qu'ainsi, celui-ci a pu prendre, le 23 septembre 2004, la mesure de suspension contestée sans méconnaître les dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique ;

Considérant, enfin, que la mesure de suspension prise à l'encontre de Mlle A constitue non une sanction mais une mesure conservatoire ; que, dès lors, il ne peut être utilement soutenu que cette mesure aurait été prise en méconnaissance du principe de la présomption d'innocence rappelé par l'article 6-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mlle A n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 8 décembre 2005 qu'elle attaque, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce soit mise à la charge du CENTRE HOSPITALIER D'ARRAS, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par Mlle A et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de Mlle A une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés en appel par le centre hospitalier et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 30 avril 2008 de la cour administrative d'appel de Douai est annulé.

Article 2 : La requête d'appel de Mlle A et les conclusions de son pourvoi tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Mlle A versera au CENTRE HOSPITALIER D'ARRAS une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER D'ARRAS et à Mlle Isabelle A.
Copie en sera adressée, pour information, au ministre du travail, de l'emploi et de la santé.