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Conseil d’État, 22 octobre 2014, n°363263 (Gestion des biens – Majeurs protégés – Mandataire judiciaire - Obligations)

En l’espèce, le décret attaqué du 4 mai 2012 précisait les modalités de gestion des biens des personnes protégées dont la protection est confiée à un mandataire judiciaire. Plus précisément, un recours gracieux a été formé contre la disposition figurant au dernier alinéa de l’article 3 de ce décret prévoyant, en cas d’empêchement du mandataire judiciaire préposé de l’établissement, l’exécution de ses obligations par le directeur de l’établissement public de santé ou de l’établissement social ou médico-social.

Le Conseil d’Etat relève que « l’article L. 472-6 du code de l’action sociale et des familles, dont les dispositions sont rendues également applicables par l’article L. 6111-4 du code de la santé publique aux établissements de santé qui dispensent avec hébergement des soins de longue durée ou de psychiatrie, dispose que les établissements sociaux et médico-sociaux ne peuvent désigner l’un de leurs agents en qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs que si un exercice indépendant des mesures de protection qui lui sont confiées par le juge peut être assurée de manière effective ». La condition d’exercice indépendant des mesures de protection confiées par le juge fait obstacle à ce que le responsable de l’établissement puisse être désigné en qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs.

Par conséquent, « le pouvoir réglementaire ne pouvait légalement prévoir, au dernier alinéa de l’article 3, en cas d’empêchement du mandataire judiciaire préposé d’un établissement, l’exécution de ses obligations par le directeur de l’établissement, lequel ne fait pas l’objet, en tout état de cause, d’une désignation par le juge des tutelles ; dès lors, les requérants sont fondées à demander l’annulation des mots « ou, à défaut, par le directeur de l’établissement » qui figurent au dernier alinéa de l’article 3 du décret attaqué ».

Conseil d'État

N° 363263   

1ère / 6ème SSR

M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public

lecture du mercredi 22 octobre 2014

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 8 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la Fédération hospitalière de France, dont le siège est 1 bis, rue Cabanis à Paris (75014), représentée par son président, et par l'Association nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, dont le siège est centre hospitalier universitaire de Montpellier, hôpital La Colombière, 39, rue Charles-Flahaut à Montpellier (34295 cedex 9) ; les requérantes demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2012-663 du 4 mai 2012 relatif aux modalités de gestion des biens des personnes protégées, dont la protection est confiée à un mandataire judiciaire, personne ou service préposé d'une personne morale de droit public ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

Sur la recevabilité de la requête :

1. Considérant que le décret attaqué du 4 mai 2012, publié au Journal officiel du 6 mai 2012, précise les modalités de gestion des biens des personnes protégées dont la protection est confiée à un mandataire judiciaire qui est une personne ou un service préposé d'un établissement public de santé ou d'un établissement social ou médico-social ; que la Fédération hospitalière de France et l'Association nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs ont formé le 8 juin 2012 un recours gracieux, d'une part, contre la disposition figurant au dernier alinéa de l'article 3 de ce décret prévoyant, en cas d'empêchement du mandataire judiciaire préposé de l'établissement, l'exécution de ses obligations par le directeur de l'établissement, d'autre part, contre les articles 8 et 12 du décret ; que ce recours gracieux, qui a conservé le délai du recours contentieux contre les seules dispositions critiquées, a été rejeté par un courrier du 9 août 2012 ; que, par suite, les conclusions de la requête de la Fédération hospitalière de France et de l'Association nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, enregistrée le 8 octobre 2012, sont tardives et, par suite, irrecevables en tant qu'elles tendent à l'annulation de dispositions du décret attaqué autres que les dispositions des articles 3, 8 et 12 mentionnées ci-dessus ;

Sur les mots " ou, à défaut, par le directeur de l'établissement " figurant au dernier alinéa de l'article 3 :

2. Considérant que l'article 451 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, prévoit la possibilité pour le juge des tutelles, dans l'hypothèse où l'intérêt de la personne soignée ou hébergée dans un établissement de santé ou dans un établissement social ou médico-social le justifie, de désigner, en qualité de curateur ou de tuteur, une personne ou un service préposé d'un tel établissement inscrit sur la liste des mandataires judiciaires à la protection des majeurs au titre, respectivement, du 1° ou du 3° de l'article L. 471-2 du code de l'action sociale et des familles ; qu'en vertu de cet article, les mandataires judiciaires à la protection des majeurs sont inscrits sur une liste dressée et tenue à jour par le représentant de l'Etat dans le département, qui comprend notamment, au titre du 1° de cet article, les services mettant en oeuvre les mesures de protection des majeurs ordonnées par l'autorité judiciaire, mentionnés au 14° du I de l'article L. 312-1 du même code, et, au titre de son 3°, les personnes désignées dans la déclaration prévue à l'article L. 472-6 ;

3. Considérant que l'article L. 472-6 du code de l'action sociale et des familles, dont les dispositions sont rendues également applicables par l'article L. 6111-4 du code de la santé publique aux établissements de santé qui dispensent avec hébergement des soins de longue durée ou de psychiatrie, dispose que les établissements sociaux et médico-sociaux ne peuvent désigner l'un de leurs agents " en qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs que si un exercice indépendant des mesures de protection qui lui sont confiées par le juge peut être assurée de manière effective " ; que cet agent, dont la désignation est soumise à une déclaration préalable de l'établissement au représentant de l'Etat dans le département et dont celui-ci informe sans délai le procureur de la République, doit satisfaire, en application de l'article L. 471-4 du code de l'action sociale et des familles, à des conditions de moralité, d'âge, de formation certifiée par l'Etat et d'expérience professionnelle ; qu'il en est de même, lorsque le mandat judiciaire à la protection des majeurs a été confié à un service mentionné au 14° du I de l'article L. 312-1 du même code, des personnes physiques qui ont reçu délégation de celui-ci pour assurer la mise en oeuvre de ce mandat ; qu'en vertu des articles L. 472-8 et L. 472-10 du même code, le représentant de l'Etat dans le département peut faire obstacle, sur avis conforme du procureur de la République ou à la demande de celui-ci, à la désignation d'un préposé d'établissement en qualité de mandataire judiciaire, ainsi qu'à la poursuite de l'exercice de ses fonctions, s'il apparaît que l'intéressé ne dispose pas, pour les assurer, d'une indépendance effective ; qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions, d'une part, que l'exercice des fonctions de mandataire judiciaire à la protection de majeurs soignés ou hébergés dans un établissement de santé ou dans un établissement social ou médico-social est réservé aux personnes ou services répondant aux critères fixés par le législateur, inscrits sur une liste dressée et tenue à jour par le représentant de l'Etat dans le département et désignés à cette fin par le juge des tutelles et, d'autre part, que la condition d'exercice indépendant des mesures de protection confiées par le juge fait obstacle à ce que le responsable de l'établissement puisse être désigné en qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs ;

4. Considérant, par suite, que le pouvoir réglementaire ne pouvait légalement prévoir, au dernier alinéa de l'article 3, en cas d'empêchement du mandataire judiciaire préposé d'un établissement, l'exécution de ses obligations par le directeur de l'établissement, lequel ne fait pas l'objet, en tout état de cause, d'une désignation par le juge des tutelles ; que, dès lors, les requérantes sont fondées à demander l'annulation des mots " ou, à défaut, par le directeur de l'établissement " qui figurent au dernier alinéa de l'article 3 du décret attaqué et qui sont divisibles des autres dispositions ;

Sur les articles 8 et 12 :

5. Considérant, en premier lieu, que, les articles 8 et 12 du décret attaqué prévoient la possibilité de nommer le mandataire judiciaire, préposé d'un établissement public, en qualité de régisseur dans les conditions prévues aux articles R. 1617-1 à R. 1617-5 du code général des collectivités territoriales ; qu'aux termes de l'article R. 1617-3 de ce code : " Le régisseur, qui est une personne physique, est nommé par une décision de l'ordonnateur de l'organisme auprès duquel la régie est instituée, sur avis conforme du comptable public assignataire. / Les fonctions de régisseur ne peuvent pas être assurées par un agent ayant la qualité d'ordonnateur ou disposant d'une délégation à cet effet " ; que le mandataire judiciaire, préposé d'un établissement public, chargé d'émettre des ordres de recettes ou de dépenses portant, dans le cadre de la gestion des biens d'une personne majeure protégée, sur des fonds et valeurs privés confiés à cet établissement public, ne se voit pas conférer de ce seul fait la qualité d'ordonnateur, au sens des dispositions relatives à la gestion budgétaire et comptable publique ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 1617-3 précité et de la règle de séparation des ordonnateurs et des comptables ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;

6. Considérant, en second lieu, qu'en prévoyant, en son article 12, que, dans l'hypothèse où le préposé d'un établissement public reste chargé de la protection judiciaire d'une personne qui n'est plus soignée ou hébergée au sein de l'établissement, l'exécution des opérations de recettes et de dépenses relatives à la gestion de ses biens est nécessairement assurée par une régie de recettes et de dépenses, alors que l'institution d'une régie ne revêt, en application de son article 8, qu'un caractère facultatif pour l'exécution des opérations financières d'une personne protégée, soignée ou hébergée en établissement, le décret attaqué a défini une modalité de gestion des biens des personnes protégées qui est en rapport direct avec l'objet de la disposition en cause et qui n'instaure pas une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation existant entre majeurs protégés, selon qu'ils sont encore ou non soignés ou hébergés par l'établissement ; que les dispositions des articles 8 et 12 ne prévoient pas des modalités différentes de contrôle de la gestion des biens des personnes protégées selon qu'elles sont ou non soignées ou hébergées par l'établissement ; que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit, par suite, être écarté ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation des articles 8 et 12 du décret du 4 mai 2012 ;

Sur les dépens :

8. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre la contribution pour l'aide juridique à la charge de l'Etat ;

D E C I D E :

Article 1er : Les mots ou, à défaut, par le directeur de l'établissement " au dernier alinéa de l'article 3 du décret du 4 mai 2012 sont annulés.

Article 2 : La contribution pour l'aide juridique est mise à la charge de l'Etat.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Fédération hospitalière de France, à l'Association nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits de la femme.