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Conseil d'État, 24 novembre 2004, Consorts M. (indemnisation d'un patient en état végétatif - indemnisation du préjudice physique - indemnisation du préjudice d'agrément)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 mai et 17 septembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. et Mme Francis X, demeurant ... ; M. et Mme X demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt en date du 21 mars 2002 en tant que, par ledit arrêt, la cour administrative d'appel de Nancy, réformant le jugement du 27 mai 1997 du tribunal administratif de Strasbourg, a ramené de 2 500 000 F (381 122,54 euros) à 636 968 F (91 105,15 euros) l'indemnité que les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg ont été condamnés à verser à M. X en réparation des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale qu'il a subie le 13 avril 1998 ;
2°) de condamner les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg à leur verser l'intégralité des sommes réclamées, assorties des intérêts capitalisés ;
3°) de mettre à la charge des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg la somme de 2 300 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Carine Moreau-Soulay, Auditeur,
- les observations de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de M. et Mme X et de Me Le Prado, avocat des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg,
- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, qu'à la suite d'un arrêt cardiaque survenu durant une intervention chirurgicale qu'il a subi le 13 avril 1988 aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, M. X, alors âgé de 34 ans, est tombé dans un état végétatif chronique ; que le tribunal administratif de Strasbourg a jugé que la responsabilité sans faute du service hospitalier était engagée et a condamné les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg à verser à M. X la somme de 381 122,54 euros, à son épouse la somme de 30 489,80 euros, à ses deux enfants la somme de 36 587,76 euros, à ses parents la somme de 30 489,80 euros, à la caisse des Français de l'étranger une indemnité de 559 251,28 euros, et, au fur et à mesure de leurs échéances postérieures au 30 septembre 1996, les arrérages de la pension d'invalidité et les frais d'hospitalisation en long séjour dont le capital représentatif a été fixé à 273 396,59 euros ; que la cour administrative d'appel de Nancy a notamment ramené à 91 195,15 euros l'indemnité due par les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg à M. X, a condamné les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg à verser une somme de 7 622,45 euros à M. X en réparation du préjudice relatif aux frais de déplacement de son épouse et de ses enfants, et a porté à 779 183,54 euros l'indemnité due à la caisse des Français de l'étranger au titre des arrérages de pension d'invalidité et des frais médicaux jusqu'au 24 octobre 1996 ; que M. et Mme X demandent l'annulation de cet arrêt en tant qu'il a fixé le montant de leurs indemnisations ;

Considérant qu'en jugeant, en application de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale, que les créances de la caisse des Français de l'étranger devaient s'imputer sur le montant des frais d'hospitalisation, sur l'indemnité correspondant à la part physiologique des troubles dans les conditions d'existence et sur le montant de l'indemnité réparant la perte de revenus, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;

Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour a dénaturé les faits de l'espèce en procédant à l'évaluation des préjudices éprouvés par l'épouse de M. X et par ses enfants ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d'appel a pris en considération, pour évaluer le montant de l'indemnisation allouée à la victime, l'intégralité des frais exposés par la caisse des Français de l'étranger pour l'hospitalisation en long séjour de M. X dont cette même caisse a justifié les débours ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que la cour aurait dénaturé les faits en ne prenant que partiellement en considération les frais d'hospitalisation en long séjour de M. X afin d'évaluer son préjudice, doit être écarté ;

Considérant toutefois qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et notamment des rapports d'expertise, que M. X a enduré et continue à endurer de très importantes souffrances physiques ; qu'en jugeant que M. X ne pouvait prétendre à être indemnisé ni au titre de ses souffrances physiques, ni au titre de son préjudice d'agrément, sans préciser quels éléments du dossier qui lui étaient soumis, justifiaient que la victime soit privée de tout droit à indemnisation au titre de ces deux chefs de préjudice, la cour a insuffisamment motivé son arrêt et a dénaturé les faits de la cause ; qu'ainsi, M. et Mme X sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a rejeté leurs conclusions tendant à l'indemnisation des souffrances physiques et du préjudice d'agrément de M. X ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans la limite de l'annulation prononcée ;

Considérant que la circonstance qu'un patient se trouve placé dans un état végétatif chronique, ne conduit, par elle-même, à exclure aucun chef d'indemnisation ni ne fait obstacle à ce que le préjudice subi par la victime soit réparé en tous ses éléments ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise, que M. X a subi et subit encore de très importantes souffrances physiques ; qu'eu égard à son état chronique irréversible en l'état actuel des connaissances scientifiques, entraînant une incapacité permanente de 100 %, et survenu alors qu'il était âgé de 34 ans, M. X doit être regardé comme ayant également subi un important préjudice d'agrément ; qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices subis par M. X tant au titre de ses souffrances physiques que du préjudice d'agrément en l'évaluant à une somme globale de 90 000 euros, venant s'ajouter à la somme de 91 105,15 euros allouée à M. X au titre de l'atteinte à l'intégrité physique, après exercice du droit de recours ouvert à la caisse des Français de l'étranger ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

Considérant que M. X a droit aux intérêts au taux légal afférents à la somme de 181 105,15 euros, à compter du 6 décembre 1988, date d'introduction de la demande de première instance ; que la capitalisation des intérêts a été demandée par un mémoire enregistré le 12 mars 1998 ; qu'à cette date les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu dès lors de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg la somme de 2 300 euros au titre des frais exposés par M. et Mme X et non compris dans les dépens ;

Décide :
Article 1er : L'article 1er de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 21 mars 2002 est annulé.
Article 2 : Le montant de la condamnation fixée par l'article 1er du jugement du 27 mai 1997 au profit de M. X est porté de 91 105,15 euros à 181 105,15 euros. Cette somme portera intérêt à compter du 6 décembre 1988. Les intérêts échus à la date du 12 mars 1998, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en date du 27 mai 1997 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Les Hopitaux Universitaires de Strasbourg verseront, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme globale de 2 300 euros à M. et Mme X.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Francis X, aux Hopitaux Universitaires de Strasbourg, à la caisse des Français de l'étranger et au ministre de la santé et de la protection sociale.