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Conseil d’Etat, 24 septembre 2012, n° 339285 (Obligation d’information – Patient – Etablissement public de santé – Risque exceptionnel)

Par cette décision, la Haute juridiction administrative estime qu’en cas de manquement à l’obligation d’un patient, la responsabilité d’un établissement public de santé ne peut être écartée que si l’intervention était impérieusement requise.
En l’espèce, une patiente a subi en 2002 une intervention chirurgicale au sein d’un hôpital et a eu des complications neurologiques, sensitives et motrices l’obligeant à abandonner sa profession. Cette patiente a exercé un recours indemnitaire contre cet établissement public de santé, au titre d’un manquement à l’obligation d’information sur les risques de l’intervention et contre l’ONIAM au titre de la réparation des aléas thérapeutiques.
Le Conseil d’Etat précise que lorsque « l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n’est pas requise en cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation. » Il indique également que le « manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée. » Le Conseil d’Etat considère ainsi que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit « en écartant […] la responsabilité [de l’établissement public de santé], alors qu’il lui appartenait, non de déterminer quelle aurait été la décision de l’intéressé si elle avait été informée des risques de l’opération mais de dire si elle disposait d’une possibilité raisonnable de refus et, dans l’affirmative, d’évaluer cette possibilité et de fixer en conséquence l’étendue de la perte de chance » et annule par conséquent l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel.
 

Conseil d'État

N° 339285
ECLI:FR:CESSR:2012:339285.20120924
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies
M. Jacques Arrighi de Casanova, président
M. Jean-Dominique Langlais, rapporteur
Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public
SCP BLANC, ROUSSEAU ; LE PRADO ; SCP ROGER, SEVAUX, avocats

Lecture du lundi 24 septembre 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mai et 24 juin 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mlle Laurie B, demeurant ... ; Mlle B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 06LY01192 du 3 novembre 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0205031 du 11 avril 2006 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la condamnation des Hospices civils de Lyon ou de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une somme de 340 408,99 euros en réparation des conséquences dommageables d'une intervention chirurgicale réalisée à l'hôpital Edouard-Herriot de Lyon ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à son avocat au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Blanc, Rousseau avocat de Mlle B, de la SCP Roger, Sevaux avocat de l'Office national de l'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et de Me Le Prado avocat des Hospices civils de Lyon ;

- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Blanc, Rousseau avocat de Mlle A, à la SCP Roger, Sevaux avocat de l'Office national de l'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à Me Le Prado avocat des Hospices civils de Lyon ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mlle B a subi le 13 mars 2002 à l'hôpital Edouard-Herriot de Lyon une opération de résection costale destinée à soulager le syndrome de la traversée thoraco-brachiale dont elle était atteinte ; que cette opération a été suivie de complications neurologiques, sensitives et motrices ; que l'intéressée, qui a notamment été contrainte d'abandonner son métier de coiffeuse, a exercé un recours indemnitaire contre les Hospices civils de Lyon, au titre d'un manquement à l'obligation d'information sur les risques des interventions chirurgicales, et contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), au titre de la réparation des aléas thérapeutiques ; que son recours a été rejeté par un jugement du 11 avril 2006 du tribunal administratif de Lyon, confirmé par un arrêt du 3 novembre 2009 de la cour administrative d'appel de Lyon contre lequel elle se pourvoit en cassation ;

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur la responsabilité pour faute des Hospices civils de Lyon :

2. Considérant que, lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation ;

3. Considérant qu'un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée ; que c'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l'existence d'une perte de chance ;

4. Considérant qu'après avoir constaté que les médecins de l'hôpital Edouard-Herriot n'avaient pas informé la patiente des complications susceptibles de survenir à la suite de l'intervention qui lui était proposée, la cour administrative d'appel de Lyon a estimé qu'eu égard à la gêne fonctionnelle croissante qu'entraînait pour elle le syndrome du défilé thoraco-brachial et à l'absence d'alternative thérapeutique moins risquée, " il ne résultait pas de l'instruction que Mlle B aurait renoncé à l'intervention si elle avait été pleinement informée " ; qu'en écartant pour ce motif la responsabilité des Hospices civils de Lyon, alors qu'il lui appartenait, non de déterminer quelle aurait été la décision de l'intéressée si elle avait été informée des risques de l'opération, mais de dire si elle disposait d'une possibilité raisonnable de refus et, dans l'affirmative, d'évaluer cette possibilité et de fixer en conséquence l'étendue de la perte de chance, la cour a commis une erreur de droit ;

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il statue sur l'application des dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique :

5. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable aux circonstances de l'espèce : " Lorsque la responsabilité (...) d'un établissement (...) n'est pas engagée, un accident médical (...) ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'incapacité permanente supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret " ; que, selon l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / (...) A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : / 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; / 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence " ;

6. Considérant qu'il ressort des constatations mêmes de l'arrêt attaqué que les complications neurologiques de l'intervention ont pris chez Mlle B une forme " anormalement aiguë et persistante " ; que l'intéressée a subi une incapacité temporaire totale de près de six mois ; que si l'invalidité permanente partielle dont elle demeure atteinte a été évaluée à 20 % seulement, elle l'a néanmoins rendue définitivement inapte à exercer la profession de coiffeuse qui était la sienne ; qu'eu égard à l'anormalité et à la gravité de ces conséquences, et alors même que l'intéressée a pu reprendre une activité en qualité d'agent administratif, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que les conditions auxquelles les dispositions précitées subordonnent la prise en charge des aléas thérapeutiques au titre de la solidarité nationale n'étaient pas remplies ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que Mlle B est fondée à demander l'annulation de l'arrêt du 3 novembre 2009 de la cour administrative d'appel de Lyon ; que, la requérante ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administratives et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, sous réserve que la SCP Blanc, Rousseau, avocat de Mlle B, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge des Hospices civils de Lyon et de l'ONIAM la somme de 1 500 euros chacun, à verser à cette société ;

D E C I D E :
 

Article 1er : L'arrêt du 3 novembre 2009 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 3 : Les Hospices civils de Lyon et l'ONIAM verseront chacun à la SCP Blanc, Rousseau, avocat de Mlle B, une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mlle Laurie B, aux Hospices civils de Lyon et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon et à la ministre des affaires sociales et de la santé.