Revenir aux résultats de recherche

Conseil d’État, 30 décembre 2013, n° 348057 (Agent non titulaire – Rémunération – Evolution – Erreur manifeste d’appréciation – Contrôle juridictionnel)

Mme X engage la responsabilité de son employeur pour avoir maintenu son niveau de rémunération prévu par le contrat initial  signé en 1986 l'ayant engager comme agent des services hospitaliers, alors  même qu'elle s’était vue confiée depuis longtemps des fonctions d'aide médico-psychologique pour lesquelles elle avait d’ailleurs obtenu un diplôme le 18 juin 1991. Le tribunal administratif condamne l’établissement à verser une indemnité au titre d’une erreur manifeste d’appréciation dans la détermination de la rémunération. La Cour d’appel censure ce jugement et Mme X… forme un pourvoi en cassation.  Le Conseil d’Etat considère que « si l'autorité compétente dispose d'une large marge d'appréciation pour déterminer, en tenant compte notamment des fonctions confiées à l'agent et de la qualification requise pour les exercer, le montant de la rémunération ainsi que son évolution, il appartient au juge, saisi d'une contestation en ce sens, de vérifier qu'en fixant ce montant l'administration n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation (…). Qu'eu égard aux nouvelles fonctions confiées à Mme X..., qui avait acquis la qualification nécessaire pour les exercer, le fait, pour l'établissement d'avoir maintenu pendant la période litigieuse la rémunération prévue par le contrat initial pour des fonctions et une qualification sans rapport avec celles qui étaient devenues les siennes, révèle une erreur manifeste d'appréciation ; »

 Conseil d'État

N° 348057   

5ème et 4ème sous-sections réunies

M. Charles Touboul, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER ; SCP ODENT, POULET, avocats

lecture du lundi 30 décembre 2013

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er avril et 1er juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme X., demeurant... ; Mme X. demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 10BX01914 du 1er février 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, faisant droit à l'appel de l'établissement médico-éducatif et social départemental Y., a annulé le jugement n° 0900188 du 27 mai 2010 du tribunal administratif de Limoges en tant qu'il condamnait cet établissement à lui verser une indemnité en réparation du préjudice ayant résulté pour elle de la fixation à un montant insuffisant de la rémunération qu'elle percevait jusqu'au 1er janvier 2007 au titre de l'exercice de fonctions d'aide médico-psychologique ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 86-33 du 3 janvier 1986 ;

Vu le décret n° 91-155 du 6 février 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Charles Touboul, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de Mme X., et à la SCP Odent, Poulet, avocat de l'Etablissement médico-éducatif et social départemental Y.  ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 6 octobre 1986, l'institut médico-éducatif départemental W., devenu par la suite l'établissement médico-éducatif et social départemental Y. (Haute-Vienne), a engagé Mme X. par contrat en qualité d'agent auxiliaire des services hospitaliers ; que le contrat a été renouvelé le 29 décembre 1987 pour une durée de six mois puis transformé en contrat à durée indéterminée par un avenant du 26 juin 1988 ; que, par un nouvel avenant en date du 25 septembre 2007, prévoyant une rémunération plus élevée, Mme X. a été engagée en qualité d'aide-soignante, chargée des fonctions d'aide médico-psychologique, à compter du 1er janvier 2007 ; que l'intéressée a recherché la responsabilité de l'établissement en faisant notamment valoir que l'établissement n'avait pu légalement maintenir jusqu'en 2007 le niveau de rémunération prévu par son contrat initial, alors qu'elle s'était vu confier de longue date des fonctions d'aide médico-psychologique pour lesquelles elle avait obtenu un diplôme le 18 juin 1991 ; que, par un jugement du 27 mai 2010, le tribunal administratif de Limoges, retenant une erreur manifeste d'appréciation dans la détermination de la rémunération, a mis à la charge de l'établissement le versement d'une indemnité à ce titre ; que, par l'arrêt du 1er février 2011 contre lequel Mme X. se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Bordeaux a censuré la décision des premiers juges et rejeté la demande de l'intéressée ;

2. Considérant que si, en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires relatives à la fixation de la rémunération des agents non titulaires, l'autorité compétente dispose d'une large marge d'appréciation pour déterminer, en tenant compte notamment des fonctions confiées à l'agent et de la qualification requise pour les exercer, le montant de la rémunération ainsi que son évolution, il appartient au juge, saisi d'une contestation en ce sens, de vérifier qu'en fixant ce montant l'administration n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'ainsi, en refusant d'exercer tout contrôle sur la détermination du montant de la rémunération de Mme X. au regard des fonctions d'aide médico-psychologique qui lui avaient été confiées postérieurement à son recrutement, au motif qu'elle ne tirait d'aucune disposition, pas plus que des clauses de son contrat, un droit à revalorisation, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;

3. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme X. a été rémunérée à compter de son recrutement en octobre 1986 à l'indice 209 correspondant au premier échelon de l'emploi d'agent des services hospitaliers ; que sa rémunération n'a été revalorisée pour tenir compte de l'évolution de ses fonctions que par l'avenant du 25 septembre 2007 qui lui a confié, à partir du 1er janvier 2007, les tâches d'aide-soignante avec les fonctions d'aide médico-psychologique et lui a accordé une rémunération équivalente à celle du 6ème échelon d'aide-soignant, soit un indice brut de 314, majoré 303, puis un indice brut de 333, majoré 316 ; qu'il résulte cependant de l'instruction, et notamment des tableaux produits par l'établissement médico-éducatif et social départemental Y. , que depuis au moins le milieu des années 1990, celui-ci a confié à l'intéressée, qui avait obtenu, le 18 juin 1991, le certificat d'aptitude aux fonctions d'aide médico-psychologique, des tâches à temps complet d'aide médico-psychologique ; que l'avenant du 25 septembre 2007 n'a ainsi fait qu'entériner un état de fait existant depuis plus de dix ans ; qu'eu égard aux nouvelles fonctions confiées à Mme X., qui avait acquis la qualification nécessaire pour les exercer, le fait pour l'établissement d'avoir maintenu pendant la période litigieuse la rémunération prévue par le contrat initial pour des fonctions et une qualification sans rapport avec celles qui étaient devenues les siennes, révèle une erreur manifeste d'appréciation ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'établissement médico-éducatif et social départemental Y. , qui ne discute pas le montant de l'indemnité mise à sa charge, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a jugé que sa responsabilité était engagée au titre du maintien d'un niveau de rémunération manifestement inadapté aux fonctions confiées à Mme X. et à la qualification qu'elle avait acquise pour les exercer ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'appel présenté par l'établissement médico-éducatif et social départemental Y. doit être rejeté ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne sauraient, par suite, être accueillies ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cet établissement la somme de 1500 euros à verser à Mme X. au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens devant la cour administrative d'appel ;

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 1er février 2011 est annulé.

Article 2 : La requête présentée par l'établissement médico-éducatif et social départemental Y.  devant la cour administrative d'appel de Bordeaux est rejetée.

Article 3 : L'établissement médico-éducatif et social départemental Y. versera à Mme X. une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme X. et à l'établissement médico-éducatif et social départemental Y.