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Conseil d’Etat, 30 mai 2011, n° 339496 (Médecin – Sanction – Traitements illusoires)

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi en cassation d’un médecin sanctionné par la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins pour son comportement professionnel, et plus particulièrement pour traitements illusoires. La chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins avait annulé la décision de la chambre disciplinaire de première instance de l’Ordre des médecins rejetant la plainte d’une patiente à son encontre et avait également prononcé sa radiation du tableau. La Haute juridiction administrative a estimé que ni le fait que ce médecin n’ait pas été le médecin traitant de cette patiente qui le consultait pour des soins d’accompagnement en ayant connaissance de la gravité de sa maladie et refusait tout traitement oncologique ou chirurgical, ni la circonstance que les soins prodigués (en l’espèce l’acupuncture et l’homéopathie) aient été légaux, ne le dispensait du respect des obligations déontologiques devant conduire « à assurer au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents ». En considérant que le médecin avait, « par son comportement répété, conforté sa patiente dans le déni du cancer dont elle était atteinte, en se limitant à lui prodiguer des traitements illusoires, tout en omettant de l’informer sur la gravité de son état et de l’inciter à sa tourner vers des soins spécialisés, la chambre disciplinaire nationale a porté sur de tels faits une appréciation souveraine qui, étant exempte de dénaturation, ne peut être discutée devant le juge de cassation ». Le Conseil d’Etat affirme par conséquent que la chambre disciplinaire nationale a pu en déduire que ce médecin avait commis des manquements à ses obligations professionnelles tels qu’issus des articles R. 4127-32 et R. 4127-39 du Code de la santé publique, de nature à justifier une sanction disciplinaire. Il relève également qu’en estimant que les manquements ainsi retenus à l’encontre du médecin justifiaient sa radiation du tableau, la juridiction disciplinaire n’a pas entaché de dénaturation son appréciation.

Conseil d'État

N° 339496   
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
4ème et 5ème sous-sections réunies
M. Jacques Arrighi de Casanova, président
M. Bruno Bachini, rapporteur
Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public
LE PRADO ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD ; SCP CAPRON, CAPRON, avocats

lecture du lundi 30 mai 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 14 mai, 25 juin et 30 août 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Hélène B, demeurant ... ; Mme B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 22 avril 2010 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, d'une part, annulé la décision du 14 avril 2009 de la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins d'Aquitaine rejetant la plainte formée par Mme Inès A à son encontre et a, d'autre part, prononcé sa radiation du tableau à compter du 1er juillet 2010 ;

2°) de mettre à la charge de Mme A une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 mai 2011, présentée pour le Conseil national de l'ordre des médecins ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 mai 2011, présentée pour Mme B ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Bachini, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Le Prado et de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocats de Mme B, de la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins et de la SCP Capron, Capron, avocat de Mme A,

- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocats de Mme B, à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins et à la SCP Capron, Capron, avocat de Mme A,

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la plainte introduite par Mme A contre Mme B incluait notamment des griefs tirés de ce que ce médecin s'était abstenu de lui prodiguer tout traitement efficace et l'aurait induite en erreur quant à la gravité de sa maladie et de l'avoir, de ce fait, détournée de soins appropriés ; que Mme B a été mise en mesure de s'expliquer utilement, dans le cadre de la procédure écrite, sur ces griefs ; qu'ainsi, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins n'a pas méconnu les principes du respect des droits de la défense et du caractère contradictoire de la procédure en se fondant sur de tels griefs pour prononcer une sanction ;

Considérant qu'il ne résulte d'aucune disposition ni d'aucun principe que les chambres disciplinaires de l'ordre des médecins doivent informer préalablement les praticiens mis en cause devant elles de ce qu'ils sont susceptibles d'être radiés du tableau ; qu'ainsi, en s'abstenant de délivrer une telle information à Mme B, la chambre disciplinaire nationale n'a méconnu ni le principe de respect des droits de la défense ni le droit au procès équitable garanti par l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'en estimant, pour annuler la décision de la chambre disciplinaire de première instance d'Aquitaine du 14 avril 2009, que celle-ci avait omis de répondre aux griefs tirés des conditions dans lesquelles Mme B avait suivi Mme A depuis 2002, la chambre disciplinaire nationale n'a pas, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, fait référence à des griefs non invoqués devant le juge de première instance et n'a pas entaché sa décision d'erreur de qualification juridique ;

Considérant que la circonstance que la décision attaquée ait relevé que les déclarations de Mme B à l'audience au sujet des méthodes de soins mises en oeuvre avaient été lapidaires et hésitantes n'établit pas que la chambre disciplinaire nationale s'est fondée sur la seule prestation orale de l'intéressée pour apprécier le bien fondé des griefs et ait, ce faisant, commis une erreur de droit ; que la chambre disciplinaire nationale pouvait, parmi les différents éléments d'appréciation dont elle disposait, tenir compte de ce que l'intéressée n'avait pas apporté, lors du débat oral, d'éléments nouveaux de nature à infirmer le bien-fondé des griefs ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 4127-32 du code de la santé publique : Dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande, le médecin s'engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents ; qu'aux termes de l'article R. 4127-39 du même code : Les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé. / Toute pratique de charlatanisme est interdite. ;

Considérant que ni la circonstance que Mme B n'ait pas été le médecin traitant de Mme A, qui la consultait pour des soins d'accompagnement en ayant pleinement connaissance, à compter de 2004, de la nature et de la gravité de sa maladie et refusait tout traitement oncologique ou chirurgical, ni la circonstance que les soins d'acuponcture et d'homéopathie qu'elle prodiguait aient été légaux, ne la dispensait du respect des obligations déontologiques énoncées par les dispositions mentionnées ci-dessus ; qu'en estimant, au vu de l'ensemble des éléments du dossier concernant la relation entre le médecin et sa patiente de 2004 à 2007, que l'intéressée avait, par son comportement répété, conforté Mme A dans le déni du cancer dont elle était atteinte, en se bornant à lui prodiguer des traitements illusoires, tout en omettant de l'informer de la gravité de son état, et en s'abstenant de l'inciter à se tourner vers des soins spécialisés, la chambre disciplinaire nationale a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine qui, dès lors qu'elle est exempte de dénaturation, n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de cassation ; que la chambre disciplinaire nationale a donc pu, sans entacher sa décision d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique, en déduire que Mme B avait commis des manquements à ses obligations professionnelles résultant des articles R. 4127-32 et R. 4127-39 du code de la santé publique, de nature à justifier une sanction disciplinaire ;

Considérant que si les principes de proportionnalité et de personnalisation des sanctions impliquent que le juge disciplinaire tienne compte de l'ensemble des éléments caractérisant le comportement professionnel du médecin faisant l'objet d'une plainte, ces principes n'impliquent pas, pour autant, que le juge ordinal d'appel soit tenu de motiver particulièrement le prononcé d'une sanction de radiation lorsque le juge de première instance a rejeté la plainte ; qu'en l'espèce, en indiquant, pour justifier le choix de la sanction de radiation retenue, après avoir énuméré l'ensemble des griefs retenus et qualifié ceux-ci de manquements aux obligations professionnelles, que l'intéressée représentait un réel danger pour les patients qui font appel à elle , la chambre disciplinaire nationale a suffisamment motivé sa décision ;

Considérant que l'appréciation, par la juridiction disciplinaire, de la proportionnalité de la sanction aux manquements retenus ne peut être utilement discutée devant le juge de cassation qu'en cas de dénaturation ; qu'en l'espèce, en estimant que les manquements ainsi retenus à l'encontre de Mme B justifiaient sa radiation du tableau, la chambre disciplinaire nationale n'a pas entaché de dénaturation l'appréciation à laquelle elle s'est livrée ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision attaquée ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées ;

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme B est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Hélène B, à Mme Inès A et au Conseil national de l'ordre des médecins.