Revenir aux résultats de recherche

Conseil d'Etat, 30 mars 2011, n°320581 (absence de faute - indemnisation - ONIAM)

Le Conseil d'Etat rappelle en l'espèce que, lorsqu'aucune faute n'est retenue pour engager la responsabilité d'un établissement de santé, la Cour peut faire intervenir l'ONIAM. En ne le faisant pas en l'espèce, elle a méconnu les droits de la patiente :

"Considérant que, pour rejeter les demandes d'indemnisation dont elle était saisie à l'encontre de X., la Cour administrative d'appel a jugé que la lésion survenue au cours de l'opération coelioscopique ne révélait aucune faute engageant la responsabilité de cet établissement mais constituait la réalisation d'un risque inhérent à tout traitment chirurgical des affections gynécologiques ; qu'il n'était par ailleurs pas contesté devant elle que l'accident avait causé une incapacité temporaire totale excédant la durée de six mois mentionnée à l'article D. 1142-1 du même code et que ses conséquences présentaient ainsi le caractère de gravité requis par les dispositions du II de son article L. 1142-1 ; que, dans ces conditions, eu égard aux caractéristiques du dommage subi telles qu'elles résultaient de ses propres constatations et des pièces du dossier qui lui était soumis, la cour a méconnu les dispositions du premier alinéa de l'article L. 1142-21 du même code en n'appelant pas l'ONIAM en la cause ; que Mme A est, par suite, fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué dans la mesure où, après annulation du jugement de première instance, il a rejeté l'ensemble des conclusions indemnitaires ; que cette annulation implique qu'une fois l'ONIAM appelé en la cause , il soit statué à nouveau sur l'existence et l'étendue de la responsabilité de X et, si celle-ci n'est pas engagée ou l'est seulement pour une part du dommage, sur l'existence et l'étendue de l'obligation indemnitaire à la charge de l'office".

LE CONSEIL D'ETAT
SECTION DU CONTENTIEUX.
5ème et 4ème sous-sections réunies,
Sur le rapport de la 5ème sous-section
Mme JONCOUR
N° 320581
30 mars 2011

Cette décision sera publiée au Recueil LEBON

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 septembre et 9 décembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme J demeurant XXX ; Mme J demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l' arrêt n° 05 PA00603-05PA00604 du 11 juillet 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé le jugement n° 0210345-0213101-0418505 du 7 décembre 2004 du tribunal administratif de Paris condamnant l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 12 300 euros en réparation des conséquences dommageables des soins qu'elle a reçus dans cet établissement du 8 au 13 octobre 2001, a rejeté ses conclusions indemnitaires ainsi que celles de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les conclusions d'appel incident de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et de condamner cet établissement à lui verser une indemnité de 119 588,73 euros en réparation des préjudices subis ;

3°) de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 8 octobre 2001, Mme J a subi à l'hôpital XXX, dépendant de l'Assistance publique–Hôpitaux de Paris, une hystérectomie par voie cœlioscopique au cours de laquelle s'est produite une lésion de l'uretère gauche à l'origine de multiples complications, qui ont rendu nécessaires de nouvelles hospitalisations et interventions chirurgicales ; que saisie, à l'encontre du jugement du 7 décembre 2004 du tribunal administratif de Paris condamnant l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à verser à l'intéressée la somme de 12 300 euros, de conclusions d'appel de Mme J, de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et de l'établissement hospitalier, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir annulé le jugement comme entaché d'irrégularité, a rejeté par un arrêt du 11 juillet 2008 l'ensemble des demandes d'indemnisation ; que Mme J demande l'annulation de cet arrêt dans cette dernière mesure ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : « I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. / II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (…) » ; qu'en vertu des articles L. 1142-17 et L. 1142-22 du même code , la réparation au titre de la solidarité nationale est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ; qu'aux termes du premier alinéa de son article L. 1142-21 : « Lorsque la juridiction compétente, saisie d'une demande d'indemnisation des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins dans un établissement de santé, estime que les dommages subis sont indemnisables au titre du II de l'article L. 1142-1 ou au titre de l'article L. 1142-1-1, l'office est appelé en la cause s'il ne l'avait pas été initialement. Il devient défendeur en la procédure. » ; que l'ensemble de ces dispositions s'applique, en vertu de l'article 101 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, aux accidents médicaux consécutifs à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées à compter du 5 septembre 2001 ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la juridiction du fond saisie de conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité d'une personne mentionnée au I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique est tenue, si elle estime que le dommage invoqué remplit les conditions pour être indemnisé en tout ou partie sur le fondement du II du même article ou de son article L. 1142-1-1, d'appeler l'ONIAM en la cause, au besoin d'office, puis de mettre à sa charge la réparation qui lui incombe même en l'absence de conclusions dirigées contre lui, sans préjudice de l'éventuelle condamnation de la personne initialement poursuivie à réparer la part du dommage dont elle serait responsable ;

Considérant que Mme J, qui invoque dans le dernier état de ses écritures devant le Conseil d'Etat le bénéfice des dispositions du premier alinéa de l'article L. 1142-21 du code de la santé publique , doit être regardée comme soulevant ainsi le moyen tiré de la méconnaissance par les juges du fond des obligations qui résultent pour eux de ces dispositions ; qu'elle est recevable à invoquer en cassation une telle méconnaissance d'obligations qui ont un caractère d'ordre public et peut utilement s'en prévaloir pour contester l'arrêt attaqué ;

Considérant que, pour rejeter les demandes d'indemnisation dont elle était saisie à l'encontre de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, la cour administrative d'appel a jugé que la lésion survenue au cours de l'opération cœlioscopique ne révélait aucune faute engageant la responsabilité de cet établissement mais constituait la réalisation d'un risque « inhérent à tout traitement chirurgical des affections gynécologiques » ; qu'il n'était par ailleurs pas contesté devant elle que l'accident avait causé une incapacité temporaire totale excédant la durée de six mois mentionnée à l'article D. 1142-1 du même code et que ses conséquences présentaient ainsi le caractère de gravité requis par les dispositions du II de son article L. 1142-1 ; que dans ces conditions, eu égard aux caractéristiques du dommage subi telles qu'elles résultaient de ses propres constatations et des pièces du dossier qui lui était soumis, la cour a méconnu les dispositions du premier alinéa de l'article L. 1142-21 du même code en n'appelant pas l'ONIAM en la cause ; que Mme J est, par suite, fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué dans la mesure où, après annulation du jugement de première instance, il a rejeté l'ensemble des conclusions indemnitaires ; que cette annulation implique qu'une fois l'ONIAM appelé en la cause, il soit statué à nouveau sur l'existence et l'étendue de la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et, si celle-ci n'est pas engagée ou l'est seulement pour une part du dommage, sur l'existence et l'étendue de l'obligation indemnitaire à la charge de l'office ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce soit mise à la charge de Mme J, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée sur leur fondement par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ; qu'il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cet établissement la somme de 3 000 euros demandée à ce titre par Mme J ;

DECIDE :

Article 1er : L' arrêt n° 05 PA00603-05PA00604 de la cour administrative d'appel de Paris du 11 juillet 2008 est annulé en tant qu'il statue, après annulation du jugement n° 0210345-0213101-0418505 du 7 décembre 2004 du tribunal administratif de Paris, sur le surplus des conclusions de Mme J, sur celles de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et sur les conclusions incidentes de l'Assistance publique–Hôpitaux de Paris.

Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : L'Assistance publique–Hôpitaux de Paris versera à Mme J la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative .

Article 4 : Les conclusions de l'Assistance publique–Hôpitaux de Paris tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme J, à l'Assistance publique–Hôpitaux de Paris, à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Philippe Ranquet, Maître des Requêtes, - les observations de Me Blanc, avocat de Mme J et de la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, - les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, rapporteur public ; La parole ayant été à nouveau donnée à Me Blanc, avocat de Mme J et à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

Le Président : M. Bernard Stirn.