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Conseil d'Etat, 4 mars 2011, n° 315902 (infection nosocomiale - responsabilité)

Mme Danièle A. a été admise en urgence le 29 septembre 1999 au centre hospitalier de Morlaix en présentant une méningite purulente, qui s'est compliquée au cours de son séjour dans l'établissement d'une surinfection par un nouveau germe microbien. Elle reste depuis lors atteinte des séquelles d'une hémiplégie dont elle a demandé la réparation au centre hospitalier, son époux et ses trois filles intervenant en cours d'instance pour demander la réparation de leurs préjudices propres. Par un arrêt du 6 décembre 2007, la cour administrative d'appel (CAA) de Nantes condamne le centre hospitalier de Morlaix à lui verser la somme de 19 500 euros. Les consorts A se pourvoient en cassation contre cet arrêt en tant qu'il n'a que partiellement fait droit aux conclusions indemnitaires de Mme Danièle A et qu'il n'a pas annulé le rejet des conclusions de son époux et de ses filles.
La première question qui se posait au Conseil d’Etat était de savoir si la CAA avait correctement évalué le préjudice subi par la demanderesse.
La CAA avait refusé l'indemnisation des dépenses exposées par Mme A pour l'aménagement de son véhicule, en se fondant sur la circonstance que l'incapacité permanente partielle résultant de la seule surinfection nosocomiale n'était pas suffisamment importante pour justifier un tel aménagement. Le Conseil d’Etat estime alors que la CAA a fait une erreur de droit, car au lieu de procéder ainsi elle devait rechercher si les séquelles de l'hémiplégie rendaient dans leur ensemble cet aménagement nécessaire. Et dans le cas échéant, ne mettre les dépenses correspondantes à la charge du centre hospitalier qu'à hauteur de la fraction de ces séquelles imputables à sa faute, elle a commis une erreur de droit.
La CAA avait également refusé l'indemnisation des besoins de Mme A en assistance d'une tierce personne. Pour en décider ainsi, la cour s'est bornée à relever que cette dernière ne saurait solliciter une telle assistance dès lors que l'expert n'a pas prévu cette aide. Le conseil d’Etat a lui considéré qu'il appartient au juge à qui une indemnisation est demandée d'apprécier la réalité du préjudice et son lien avec la faute commise à partir de l'ensemble des éléments résultant de l'instruction. La CAA a donc commis une erreur de droit en se fondant exclusivement sur les conclusions de l’expert.
La deuxième question qui se posait au Conseil d’Etat portait sur l’indemnisation de l’époux et des filles de Mme. A. Le Conseil d’Etat estime qu’en refusant la réparation de leur préjudice les juges du fond ont commis une erreur de droit, et précise qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par les proches de Mme A à raison des séquelles dont cette dernière reste atteinte.

Conseil d'État
5ème et 4ème sous-sections réunies

N° 315902   


Inédit au recueil Lebon


M. Philippe Ranquet, rapporteur
M. Thiellay Jean-Philippe, rapporteur public
BLONDEL ; LE PRADO, avocat


Lecture du vendredi 4 mars 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 mai et 4 août 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Danièle A, M. Joël A, Mlle Aurélie A, Mlle Delphine A et Mlle Eloïse A, demeurant tous à ... ; les consorts A demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 06NT01071 du 6 décembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes n'a que partiellement fait droit à leur requête dirigée contre le jugement n° 023854 du tribunal administratif de Rennes du 13 avril 2006 rejetant leurs demandes tendant à la condamnation du centre hospitalier de Morlaix à les indemniser des conséquences dommageables d'une infection contractée par Mme Danièle A lors de son séjour dans l'établissement, d'une part en limitant l'indemnité allouée à Mme A à la somme de 19 500 euros, d'autre part en rejetant leurs conclusions tendant à l'annulation du jugement dans la mesure où il a rejeté les conclusions indemnitaires des autres consorts A ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur requête d'appel ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Morlaix la somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Ranquet, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Blondel, avocat des consorts A, et de Me Le Prado avocat du centre hospitalier de Morlaix ;

- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Rapporteur public ;

- La parole ayant été à nouveau donnée à Me Blondel, avocat des consorts A, et de Me Le Prado avocat du centre hospitalier de Morlaix ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme Danièle A a été admise en urgence le 29 septembre 1999 au centre hospitalier de Morlaix en présentant une méningite purulente, qui s'est compliquée au cours de son séjour dans l'établissement d'une surinfection par un nouveau germe microbien ; qu'elle reste depuis lors atteinte des séquelles d'une hémiplégie dont elle a demandé la réparation au centre hospitalier devant le tribunal administratif de Rennes, son époux et ses trois filles intervenant en cours d'instance pour demander la réparation de leurs préjudices propres ; que par un jugement du 13 avril 2006, le tribunal administratif de Rennes a rejeté l'ensemble des demandes des consorts A ; que par un arrêt du 6 décembre 2007, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement en tant qu'il rejetait les conclusions de Mme Danièle A et a condamné le centre hospitalier de Morlaix à lui verser la somme de 19 500 euros ; que les consorts A se pourvoient en cassation contre cet arrêt en tant qu'il n'a que partiellement fait droit aux conclusions indemnitaires de Mme Danièle A et qu'il n'a pas annulé le rejet des conclusions de son époux et de ses filles ;

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur la recevabilité des conclusions de l'époux et des filles de Mme A devant le tribunal administratif de Rennes :

Considérant que les conclusions de l'époux et des filles de Mme A, qui avaient présenté au centre hospitalier de Morlaix une réclamation préalable ayant lié le contentieux, tendant à l'indemnisation de préjudices qu'ils ont subis en raison de l'état de santé de cette dernière avaient été présentées au tribunal administratif par mémoire pouvant être regardé comme distinct alors même qu'il avait été aussi signé de Mme A et dans les conditions de délai de l'article R. 421-3 du code de justice administrative ; que la cour administrative d'appel a, dès lors, commis une erreur de droit en jugeant que l'époux et les filles de Mme A n'étaient pas recevables à faire valoir leurs prétentions indemnitaires propres ;

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur l'étendue de la responsabilité du centre hospitalier de Morlaix :

Considérant, en premier lieu, qu'en jugeant que la méningite dont Mme A était atteinte lors de son admission à l'hôpital et la surinfection nosocomiale, seule de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier, avaient toutes deux contribué à la réalisation du dommage et en fixant la part des séquelles imputable à chacune des deux causes, la cour administrative d'appel s'est livrée à une appréciation souveraine des pièces du dossier, notamment du rapport de l'expert commis par le tribunal de grande instance de Morlaix, exempte de dénaturation et qu'elle a suffisamment motivée ; que la cour étant tenue de ne faire supporter au centre hospitalier que les conséquences dommageables en lien direct avec la faute, ni la circonstance que l'expert se soit lui-même refusé à déterminer le rôle respectif de chacune des infections, ni le principe de réparation intégrale du préjudice ne faisaient obstacle à ce qu'elle procède de la sorte ;

Considérant, en second lieu, que la cour n'a pas davantage méconnu ce principe en retenant, pour identifier la part de l'incapacité permanente partielle et des souffrances physiques endurées imputable à la surinfection nosocomiale, des valeurs chiffrées approximatives, dès lors que pour la fixation des indemnités, les conséquences de l'incapacité et des souffrances ont été évaluées à des montants précis ; qu'elle n'était pas tenue, sous peine d'entacher son arrêt d'insuffisance de motivation, de s'expliquer des divergences entre ces modalités d'évaluation et celles mises en oeuvre par l'expert judiciaire ;

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur l'évaluation des postes de préjudices :

Considérant que la cour, après avoir relevé que la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel avait reconnu Mme A capable de reprendre une activité rémunérée avec certaines limitations, a estimé que les évaluations produites par la requérante ne suffisaient pas à justifier de l'existence d'un préjudice de perte de revenus imputable à la faute du centre hospitalier ; qu'elle n'a ainsi ni dénaturé les pièces du dossier, ni insuffisamment motivé son arrêt ;

Considérant, en revanche, que pour refuser l'indemnisation des dépenses exposées par Mme A pour l'aménagement de son véhicule, la cour s'est fondée sur la circonstance que l'incapacité permanente partielle résultant de la seule surinfection nosocomiale n'était pas suffisamment importante pour justifier un tel aménagement ; qu'en procédant ainsi, alors qu'elle devait rechercher si les séquelles de l'hémiplégie rendaient dans leur ensemble cet aménagement nécessaire, pour le cas échéant ne mettre les dépenses correspondantes à la charge du centre hospitalier qu'à hauteur de la fraction de ces séquelles imputables à sa faute, elle a commis une erreur de droit ;

Considérant également que pour refuser l'indemnisation des besoins de Mme A en assistance d'une tierce personne, la cour s'est bornée à relever que cette dernière ne saurait solliciter une telle assistance dès lors que l'expert n'a pas prévu cette aide ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il appartient au juge à qui une indemnisation est demandée d'apprécier la réalité du préjudice et son lien avec la faute commise à partir de l'ensemble des éléments résultant de l'instruction, la cour a commis une autre erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts A sont seulement fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur leurs conclusions dirigées contre le jugement de première instance dans la mesure où il rejette les demandes de l'époux et des filles de Mme A et en tant que, se prononçant sur le préjudice de cette dernière, il statue sur le poste de préjudice des frais liés au handicap, qui regroupe en l'espèce l'aménagement du véhicule et l'assistance d'une tierce personne ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond dans les limites de la cassation prononcée ;

Sur le préjudice de Mme A :

Considérant qu'il résulte de dispositions devenues définitives de l'arrêt attaqué que le dommage est imputable à la surinfection nosocomiale pour une fraction d'un tiers ; qu'en l'absence de débours de l'organisme de sécurité sociale auquel Mme A est affiliée au titre du poste de préjudice des frais liés au handicap, il incombe dès lors au centre hospitalier de Morlaix de l'indemniser du tiers des charges qu'elle supporte au titre de ce poste ;

Considérant, d'une part, que Mme A justifie avoir dû exposer, à raison de l'incapacité résultant des séquelles de l'hémiplégie, des dépenses d'aménagement de son véhicule pour un montant de 4 633,17 euros ; qu'elle a de ce fait droit à une indemnité de 1 544,39 euros ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que les séquelles dont Mme A reste atteinte rendent difficile l'accomplissement de nombreux gestes du quotidien ; qu'il sera fait une juste appréciation de ses besoins en assistance d'une tierce personne en les évaluant à trois heures quotidiennes ; qu'il y a lieu de lui allouer de ce chef, compte tenu du salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire brut augmenté des charges sociales et de la part du dommage imputable à la surinfection nosocomiale, un capital de 28 000 euros pour la période écoulée de son retour au domicile jusqu'à la date de la présente décision et, à compter de cette date, une rente versée par trimestre échu dont le montant annuel, fixé à 2 700 euros à cette même date, sera revalorisé par la suite par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale ;

Considérant que les consorts A sont, par suite, fondés à demander que l'indemnité de 19 500 euros que l'arrêt attaqué, par des dispositions devenues définitives, condamne le centre hospitalier de Morlaix à verser à Mme A soit portée à 49 044,39 euros en capital, auxquels s'ajoute la rente mentionnée ci-dessus ;

Sur les demandes des autres consorts A :

Considérant, d'une part et comme il a été dit ci-dessus, que l'époux et les filles de Mme A étaient recevables à présenter des conclusions tendant à la réparation de leurs préjudices ; que, d'autre part, le mémoire par lequel ils ont saisi le tribunal administratif de Rennes de ces conclusions constituait un mémoire distinct conforme aux prescriptions de l'article R. 632-1 du code de justice administrative ; qu'en rejetant leurs conclusions comme irrecevables, le tribunal administratif a, par suite, entaché son jugement du 13 avril 2006 d'une irrégularité de nature à en justifier, dans cette mesure, l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions dont l'époux et les filles de Mme A ont saisi le tribunal administratif de Rennes ;

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par les proches de Mme A à raison des séquelles dont cette dernière reste atteinte en évaluant le préjudice en résultant à 8 000 euros pour M. Joël A et à 1 500 euros chacune pour Mlles Aurélie, Delphine et Eloïse A ; que le dommage étant imputable pour une fraction d'un tiers à la surinfection nosocomiale, il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Morlaix à leur verser, respectivement, les sommes de 2 666,67 euros et 500 euros chacune ;

Considérant que M. Joël A ainsi que Mlles Aurélie, Delphine et Eloïse A ont droit aux intérêts au taux légal sur les sommes qui leur sont dues à compter de leur demande indemnitaire reçue le 23 avril 2004 ; qu'ils ont demandé la capitalisation des intérêts le 6 juin 2006 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du centre hospitalier de Morlaix une somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par les consorts A devant le tribunal administratif, la cour administrative d'appel et le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt n° 06NT01071 de la cour administrative d'appel de Nantes du 6 décembre 2007 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions des consorts A tendant à l'annulation du jugement n° 023854 du tribunal administratif de Rennes du 13 avril 2006 dans la mesure où ce dernier a rejeté les demandes indemnitaires de l'époux et des filles de Mme A et en tant qu'il statue sur le poste de préjudice relatif à l'aménagement du véhicule de Mme A et à l'assistance d'une tierce personne.

Article 2 : L'article 1er du jugement n° 023854 du tribunal administratif de Rennes du 13 avril 2006 est annulé.

Article 3 : La somme que le centre hospitalier de Morlaix est condamné à verser à Mme A par les dispositions de l'article 2 de l'arrêt n° 06NT01071 de la cour administrative d'appel de Nantes du 6 décembre 2007 est portée à 49 044,39 euros.

Article 4 : Le centre hospitalier de Morlaix est condamné à verser à Mme A, à compter la date de la présente décision et par trimestre échu, une rente dont le montant annuel, fixé à 2 700 euros à la même date, sera revalorisé par la suite par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.

Article 5 : Le centre hospitalier de Morlaix est condamné à verser à M. Joël A la somme de 2 666,67 euros et à Mlles Aurélie, Delphine et Eloïse A celle de 500 euros chacune. Ces sommes porteront intérêts légaux à compter du 23 avril 2004. Les intérêts échus le 6 juin 2006 seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date pour produire eux mêmes intérêts.

Article 6 : Le centre hospitalier de Morlaix versera aux consorts A la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des consorts A devant le tribunal administratif de Rennes, de leurs conclusions devant la cour administrative d'appel de Nantes et de leur pourvoi est rejeté.

Article 8 : La présente décision sera notifiée à Mme Danièle A, à M. Joël A, à Mlle Aurélie A, à Mlle Delphine A, à Mlle Eloïse A, au centre hospitalier de Morlaix et à la caisse de mutualité sociale agricole du Finistère.