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Conseil d’Etat, 6 novembre 2013, n°352043 (Responsabilité du médecin – Prise en charge – Suicide - Psychiatrie)

Une personne est conduite par les pompiers dans un établissement psychiatrique. Elle quitte ensuite le centre hospitalier contre l’avis de l’interne de garde. Le lendemain matin, elle met fin à ses jours. Ses ayants droit engagent la responsabilité de l’hôpital et obtiennent de la Cour d’appel une réparation intégrale de leurs préjudices en raison de la prise en charge fautive du patient. En effet, l’interne de garde n’avait ni consulté le dossier médical de la patiente, ni informé le médecin dont il relevait.

Le Conseil d’Etat affirme, que « s’il n’est pas certain qu’en l’absence de faute le dommage ne serait pas advenu, le préjudice qui résulte directement de la faute commise par l’établissement et doit être intégralement réparé n’est pas le dommage corporel constaté, mais la perte d’une chance de l’éviter, que la réparation qui incombe à l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue ».

 

Conseil d'État

N° 352043   

5ème et 4ème sous-sections réunies

lecture du mercredi 6 novembre 2013

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 août et 21 novembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le centre hospitalier de X...dont le siège … ; le centre hospitalier de X...demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n°10DA00832 du 21 juin 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0701945 du 7 janvier 2010 par lequel le tribunal administratif de Rouen l'a déclaré responsable du décès de M. B...Y...et l'a condamné à verser les sommes de 5 000 euros à M. E...Y...et à Mme F...Y..., 18 440 euros à M. C... Y..., 25 304 euros à Mme G...Y..., en qualité de représentante légale de sa fille Jeanne et 21 348 euros à Mme G...Y...en sa qualité de représentante légale de son fils Arthur ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

 

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier de X..., à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat des consorts I... ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 20 octobre 2006 à 22h45, M. B...Y...a été conduit par les pompiers à l'unité intersectorielle d'accueil, d'évaluation et d'orientation du centre hospitalier spécialisé de X..., compte-tenu d'un état de prostration sur son lieu de travail ; qu'à 23h30, après s'être entretenu avec un infirmier puis avec un interne de garde, il a quitté le centre hospitalier à sa demande et contre l'avis de l'interne ; que, le lendemain matin, il a mis fin à ses jours ; que M. E... et Mme F...Y..., Mme G...Y..., M. C...Y...et M. D... Y..., invoquant une faute du centre hospitalier dans la prise en charge du patient, ont formé un recours indemnitaire ; que, par un jugement du 7 janvier 2010, le tribunal administratif de Rouen a retenu la responsabilité de l'établissement et l'a condamné au paiement de différentes indemnités à MM. et A...Y...en réparation des préjudices liés au décès de M.B... Y... ; que, par un arrêt du 21 juin 2011, contre lequel le centre hospitalier de X...se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Douai, statuant sur l'appel de celui-ci contestant sa responsabilité, a rejeté sa requête ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 6153-3 du code de la santé publique, dans sa version applicable au litige : " L'interne en médecine exerce des fonctions de prévention, de diagnostic et de soins, par délégation et sous la responsabilité du praticien dont il relève " ; que la cour a retenu qu'alors que M. B... Y..., déjà hospitalisé pour une tentative de suicide en février 2006, avait demandé à ne pas être hospitalisé malgré l'avis contraire de l'interne de garde, ce dernier n'avait ni consulté son dossier médical, ni informé de cette situation le " médecin senior " de garde présent dans l'établissement ; qu'en déduisant de ces constatations, qui ne résultaient pas d'une dénaturation des pièces du dossier, que le centre hospitalier de X...avait commis une faute dans la prise en charge de M. B... Y..., la cour a suffisamment motivé son arrêt et ne l'a entaché ni d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique ;

3. Mais considérant qu'il incombe au juge retenant l'existence d'une faute du service public hospitalier lors de la prise en charge d'un patient de déterminer quelles en ont été les conséquences ; que s'il n'est pas certain qu'en l'absence de faute le dommage ne serait pas advenu, le préjudice qui résulte directement de la faute commise par l'établissement et doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte d'une chance de l'éviter ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

4. Considérant qu'en retenant l'existence d'un lien direct entre la faute du centre hospitalier et le décès de M. B...Y..., sans rechercher s'il pouvait être regardé comme certain que ce décès ne serait pas survenu si la prise en charge de l'intéressé n'avait pas été fautive, la cour a entaché sa décision d'une erreur de droit ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le centre hospitalier de X...est fondé à demander l'annulation de l'arrêt du 21 juin 2011 en tant qu'il se prononce sur les préjudices de M. E...et Mme F...Y..., Mme G...Y..., M. C...Y...et M. D... Y... ;

5. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du centre hospitalier de X...qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

 

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 21 juin 2011 est annulé en tant qu'il se prononce sur les préjudices M. E...et Mme F...Y..., Mme G...Y..., M. C...Y...et M. D...Y....

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai dans la mesure de la cassation prononcée.

Article 3 : Les conclusions de M. E...et Mme F...Y..., Mme G...Y..., M. C... Y...et M. D...Y... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier spécialisé de X..., à M. E... et Mme F...Y..., Mme G...Y..., M. C...Y...et M. D... Y....