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Conseil d’Etat, 7 décembre 2011, n° 337972 (Directeur d’un établissement public de santé – Praticiens hospitaliers – Affectation)

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat affirme que sauf urgence, le directeur d’un établissement public de santé ne peut pas décider seul de la mutation d’un praticien hospitalier. En effet, la Haute juridiction administrative considère que « le directeur d’un centre hospitalier qui, aux termes de l’article L. 6143-7 du code de la santé publique, exerce son autorité sur l’ensemble du personnel de son établissement, peut légalement, lorsque la situation exige qu’une mesure conservatoire soit prise en urgence pour assurer la sécurité des malades et la continuité du service, décider de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d’un praticien hospitalier au sein du centre, sous le contrôle du juge et à condition d’en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné ; qu’en revanche, il ne peut légalement décider la mutation d’un praticien, au sein d’un pôle d’activité ou d’un pôle à un autre, sans avoir recueilli la proposition du responsable du pôle où ce praticien est appelé à travailler et du président de la commission médicale d’établissement, à moins qu’il soit nécessaire pour la sécurité des malades et la continuité du service d’affecter immédiatement et à titre provisoire le praticien intéressé à de nouvelles fonctions ».

Conseil d'État

N° 337972
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies
M. Bernard Stirn, président
M. Olivier Rousselle, rapporteur
Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats

lecture du mercredi 7 décembre 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

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Vu, l'ordonnance n° 10DA00257 du 18 mars 2010, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 26 mars 2010, par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Douai a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à cette cour par le CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL EURE-SEINE ;

Vu le pourvoi, enregistré le 26 mars 2010 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, et le nouveau mémoire, enregistré le 28 septembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL EURE-SEINE, dont le siège est au 17 rue Saint Louis à Evreux Cedex (27023) ; le CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL EURE-SEINE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 0901558 du 30 décembre 2009 par lequel le tribunal administratif de Rouen a, d'une part, annulé la décision du 17 mars 2009 du directeur du centre hospitalier affectant M. Pascal A sur le site de Vernon, ensemble la décision de rejet du recours gracieux du 31 mars 2009, d'autre part, lui a enjoint de réintégrer M. A dans le service de chirurgie générale et viscérale du site d'Evreux en qualité de responsable dudit service, enfin, a condamné le centre hospitalier à verser à M. A une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les conclusions de M. A dirigées contre la décision du 17 mars 2009 et la décision de recours gracieux du 31 mars 2009 ;

3°) de mettre à la charge de M. A la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi du 22 avril 1905 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Rousselle, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat du CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL EURE-SEINE et de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. A,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat du CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL EURE-SEINE et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. A ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A, recruté le 1er septembre 2005 en qualité de praticien hospitalier contractuel au CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL D'EURE-SEINE, au sein du service de chirurgie viscérale du pôle digestif du site d'Evreux, a été nommé responsable de ce service le 31 janvier 2006, puis, après avoir passé avec succès le concours de praticien hospitalier, a été titularisé pour une période probatoire d'un an à compter du 1er juillet 2007 ; qu'à la suite d'un conflit opposant M. A aux praticiens du service d'anesthésie, le directeur de l'établissement a suspendu l'intéressé pour une durée de trois mois renouvelable par une décision du 16 octobre 2008, puis a mis fin à cette suspension le 15 janvier 2009, après que le chirurgien avait été titularisé à titre définitif à compter du 1er juillet 2008 au sein du CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL EURE-SEINE ; qu'en raison de la persistance du conflit et du refus opposé par les anesthésistes d'accompagner M. A dans ses activités opératoires sur le site d'Evreux, le directeur du CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL EURE-SEINE a informé ce dernier le 17 mars 2009 de sa décision de l'affecter, à compter du 1er avril 2009, au sein du service de chirurgie du site de Vernon pour y opérer ses patients tout en lui prescrivant de continuer à organiser ses consultations à Evreux, cette mesure devant être évaluée le 1er octobre et étant susceptible d'être renouvelée ou interrompue ; que par un jugement en date du 30 décembre 2009, le tribunal administratif de Rouen a annulé cette décision, enjoint au directeur de réintégrer M. A dans le service de chirurgie viscérale du site d'Evreux dans le délai de 15 jours et condamné le CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL à verser au praticien une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts ; que le CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL d'EURE-SEINE se pourvoit en cassation contre ce jugement ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : Le directeur est compétent pour régler les affaires de l'établissement autres que celles qui sont énumérées à l'article L. 6143-1. Il assure la gestion et la conduite générale de l'établissement et en tient le conseil d'administration informé. A cet effet, il exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son art... ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article R. 6152-8 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : La nomination dans l'établissement public de santé est prononcée par arrêté du directeur général du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière, après avis de la commission médicale d'établissement et du conseil exécutif.... : qu'aux termes de l'article R. 6152-11 : ... En cas de mutation interne, le praticien déjà nommé dans l'établissement est affecté dans un pôle d'activité sur proposition du responsable de pôle et du président de la commission médicale d'établissement. En cas de transfert de poste d'un pôle d'activité à un autre pôle du même établissement public de santé intervenant dans le cadre d'une réorganisation interne, le praticien affecté sur ce poste fait l'objet d'une nouvelle affectation dans le pôle d'accueil, sur proposition du responsable de ce pôle et du président de la commission médicale d'établissement, dès lors que le profil du poste est compatible avec la spécialité d'exercice du praticien ..../ Dans tous les cas , l'affectation est enregistrée par l'établissement national chargé de la gestion des personnels de direction de la fonction publique hospitalière et des praticiens hospitaliers ; qu'aux termes de l'article R. 6143-36-1 du même code : Les décisions prévues aux articles R. 6152-11 et R. 6152-209, à l'exception de leur cinquième alinéa, sont prises par le directeur de l'établissement public de santé ;

Considérant que le directeur d'un centre hospitalier qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut légalement, lorsque la situation exige qu'une mesure conservatoire soit prise en urgence pour assurer la sécurité des malades et la continuité du service, décider de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, sous le contrôle du juge et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné ; qu'en revanche, il ne peut légalement décider la mutation d'un praticien, au sein d'un pôle d'activité ou d'un pôle à un autre, sans avoir recueilli la proposition du responsable du pôle où ce praticien est appelé à travailler et du président de la commission médicale d'établissement, à moins qu'il soit nécessaire pour la sécurité des malades et la continuité du service d'affecter immédiatement et à titre provisoire le praticien intéressé à de nouvelles fonctions ;

Considérant que la décision du directeur du CENTRE HOSPITALIER COMMUNAL EURE-SEINE d'affecter à titre provisoire M. A, responsable du service de chirurgie viscérale situé à Evreux depuis 2006, au service de chirurgie viscérale situé à Vernon placé sous la responsabilité d'un autre praticien, présente le caractère d'une mutation au sein du pôle où ce praticien était affecté qui, ainsi qu'il a été dit, et alors qu'aucune urgence ne rendait nécessaire son affectation provisoire au service de chirurgie viscérale de Vernon, ne pouvait légalement intervenir que sur proposition du responsable de ce pôle et du président de la commission médicale d'établissement ; que, par suite, le tribunal administratif de Rouen, en jugeant que le directeur du centre hospitalier avait illégalement prononcé le déplacement provisoire pour une durée de moins de six mois de M. A du service de chirurgie du site d'Evreux au service de chirurgie du site de Vernon, faute d'avoir recueilli la proposition du responsable de ce pôle et du président de la commission médicale d'établissement, n'a pas commis d'erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que le CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL EURE-SEINE n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL EURE-SEINE la somme de 3 500 euros que demande M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante , la somme que demande le CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL EURE-SEINE,au même titre ;

D E C I D E :

Article 1er : Le pourvoi du CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL EURE-SEINE est rejeté.

Article 2 : Le CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL EURE-SEINE versera 3 500 euros à M. POLI au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL EURE-SEINE et à M. Pascal A.