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Conseil d'Etat, 8 juin 2000, avis n° 364 803 (Cession - Contrat de marché public - Délégation de service public - Tiers)

Par cet avis, le Conseil d'Etat apporte des précisions relatives à la notion de cession et de tiers, et aux conditions de cession d’un contrat de marché public ou de délégation de service public.

 

Conseil d'Etat

Section des finances

Avis n° 364 803

Le 8 juin 2000

 

Le Conseil d’Etat, saisi par le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie des questions suivantes :

Y a-t-il « lieu d’appliquer les procédures prévues par le Code des marchés publics ou la loi du 29 janvier 1993,

I) lors de la cession pure et simple d’un contrat de marché(s) public(s) ou de délégation de service public à un tiers,

II) lorsqu’une entreprise prend le contrôle (au sens de la loi du n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales) d’une personne morale chargée directement de l’exécution d’un tel contrat,

III) lorsqu’une entreprise prend le contrôle (au sens de la loi de 1966) d’une personne morale disposant de filiales chargées de l’exécution de marchés ou de délégations, dont cette personne morale s’est ou non portée garante ? ».

Vu le Code civil ;

Vu le Code pénal ;

Vu le Code des marchés publics ;

Vu le Code Général des collectivités territoriales ;

Vu la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 modifiée sur les société commerciales ;

Vu la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, modifiée par la loi n° 94-42 du 9 février 1994, par la loi n° 95-127 du 8 février 1995 et par la loi n° 96-142 du 24 février 1996 ;

Est d’avis qu’il y a lieu de répondre aux questions posées dans le sens des observations suivantes :

I) Aux termes de l’article 39 du Code des marchés publics, issu du décret n° 56-256 du 13 mars 1956, « les marchés de l’Etat et de ses établissements publics autres que ceux ayant le caractère industriel et commercial [...] sont passés après mise en concurrence dans les conditions et sous les réserves prévues au titre 1er. ». La même disposition figure à l’article 250 du même code, issu du décret n° 92-1310 du 15 décembre 1992, pour les marchés passés au nom des collectivités locales et de leurs établissements publics.

L’article 38 de la loi susvisée du 29 janvier 1993 dispose que « les délégations de service public des personnes morales de droit public sont soumises par l’autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes [...]. Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l’autorité de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire. ». Aucun de ces textes, non plus qu’aucun

autre texte, ne traite de la procédure à suivre en cas de cession ou de transfert à un tiers des marchés publics ou des délégations de service public.

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux a, en revanche, posé depuis fort longtemps le principe selon lequel ces contrats sont conclus en raison de considérations propres à chaque cocontractant (« intuitu personae ») ; il en a tiré la conséquence que la cession d’un marché ou d’une concession ne pouvait avoir lieu, même en l’absence de toute clause spéciale du contrat en ce sens, qu’avec l’assentiment préalable de la collectivité cocontractante. Il a précisé les cas dans lesquels cette autorisation pouvait légalement être refusée, au regard notamment des nécessités du service public, les conditions dans lesquelles, en cas de cession non autorisée, la collectivité pouvait exiger la poursuite du contrat initial ou le résilier et, enfin, les droits à indemnité du titulaire du marché ou du concessionnaire, en cas de refus illégal d’autorisation de cession ou de résiliation illégale du contrat. Lorsque l’autorisation de cession peut être légalement accordée, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a toujours jugé que le choix du nouveau titulaire par le précédent cocontractant de l’administration n’était soumis à aucune procédure publique de mise en concurrence.

II) La première question posée par le Gouvernement traitant, en termes très généraux de la notion de cession à un tiers, le Conseil d’Etat estime nécessaire de lui apporter préalablement les précisions suivantes relatives aux notions de cession et de tiers.

D’une part, la cession d’un marché ou d’une délégation de service public doit s’entendre de la reprise pure et simple, par le cessionnaire qui constitue son nouveau titulaire, de l’ensemble des droits et obligations résultant du précédent contrat. Elle ne saurait être assortie d’une remise en cause des éléments essentiels de ce contrat, tels que la durée, le prix, la nature des prestations et, s’agissant de concessions, le prix demandé aux usagers. Lorsque la modification substantielle de l’un de ces éléments implique nécessairement la conclusion d’un nouveau contrat, ce contrat, même conclu sous forme d’un avenant, doit être soumis aux procédures de publicité et de mise en concurrence préalables, prévues par les dispositions du Code des marchés publics ou de la loi du 29 janvier 1993 précités.

D’autre part, la notion de tiers auquel le contrat est cédé doit s’entendre d’une personne morale distincte du titulaire initial dudit contrat. Tel n’est pas le cas, en application de l’article 1844-3 du Code civil et des articles 5°, 354, 355, 355-1 et 355-2 de la loi susvisée du 24 juillet 1966, relatifs à la notion de prise de contrôle des sociétés, en cas de transformation régulière d’une société en une société d’une autre forme, ou en cas de prorogation ou de toute autre modification statutaire. Tel n’est pas non plus le cas, selon la jurisprudence, lorsqu’il est procédé à un changement de propriétaire des actions composant le capital sociale, même dans une proportion très largement majoritaire. En revanche, il y a bien cession à un tiers lors de la réalisation d’opérations de scission et de fusion, lorsque ces opérations aboutissent à la création de sociétés nouvelles, en vertu des dispositions des articles 371, 372, 372-1 et 372-2 de la loi susvisée du 24 juillet 1966 ou lorsque, à la suite d’autres formes de transmissions de patrimoines ou de cessions d’actifs, une société nouvelle se voit attribuer, en qualité de cessionnaire, un marché public ou un contrat de délégation de service public.

III) Il résulte de ce qui précède que les trois questions posées par le Gouvernement peuvent faire l’objet d’une réponse commune.

L’autorisation de cession ne peut légalement être refusée pour un motif autre que ceux qui résultent des décisions du Conseil d’Etat statuant au contentieux.

Au nombre de ces motifs figure, notamment, l’appréciation des garanties professionnelles et financières que peut présenter le nouveau titulaire du contrat pour assurer la bonne fin du contrat dans le cas d’un marché ou, dans le cas d’une délégation, de son aptitude à assurer la continuité du service public et l’égalité des usagers devant le service public. Dès lors que l’autorisation de cession est légalement subordonnée à une telle appréciation préalable, l’on ne saurait envisager une procédure de publicité et de mise en concurrence, pouvant conduire au choix d’un nouveau titulaire du contrat. Une telle procédure n’a d’ailleurs jamais été requise par le Conseil d’Etat statuant au contentieux.

Si, en revanche, la cession à un nouveau titulaire ou la disparition du titulaire initial, à la suite d’opérations de restructuration, aboutissant à la création de sociétés nouvelles, lui paraît de nature soit à remettre en cause les éléments essentiels relatifs au choix du titulaire initial du contrat soit à modifier substantiellement l’économie dudit contrat, la collectivité publique est en droit de refuser son autorisation de cession. Si le cédant ne croit pas devoir en poursuivre l’exécution ou s’il a disparu, le marché ou la délégation peut, ou même doit, être résilié et un nouveau contrat ne peut être passé que dans le respect des règles de publicité et de mise en concurrence, telles que posées par le Code des marchés publics et par la loi susvisée du 29 janvier 1993.

IV) S’il apparaissait que la collectivité publique cocontractante se prêtait à une man.uvre ou à un détournement de procédure, avec la complicité du cédant ou du cessionnaire du contrat, dans le but notamment de contourner les règles de mise en concurrence applicables au contrat initial, la décision qu’elle prendrait d’autoriser la cession dudit contrat serait entachée de détournement de pouvoir. Il appartiendrait au contrôle de légalité de la faire censurer, sans préjudice de l’application éventuelle des sanctions prévues par l’article 432-14 du Code pénal.