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Conseil d’Etat du 24 octobre 2011, n°345514

Le décret n°2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires, prévoit qu’une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site internet relevant du Premier ministre n'est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s'en prévaloir à l'égard des administrés.
Par cet arrêt le Conseil d’Etat juge que la portée juridique que confère la mise en ligne d’une circulaire sur le site internet dédié ne s’étend pas à ses annexes si celles-ci n’ont pas également été mises en ligne : « la portée que ce décret confère à la mise en ligne ne saurait toutefois s'étendre, en cas de mise en ligne partielle de la circulaire »

 

Conseil d'État
N° 345514   
 

Mentionné dans les tables du recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies
M. Christian Vigouroux, président
M. Philippe Ranquet, rapporteur
M. Jean-Philippe Thiellay, rapporteur public

lecture du lundi 24 octobre 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi, enregistré le 4 janvier 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1009071 du 21 décembre 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de la décision du 17 septembre 2010 du préfet de Maine-et-Loire refusant à M. Fadil A l'échange de son permis de conduire délivré au Kosovo contre un permis de conduire français et de la décision du 2 novembre 2010 de la même autorité rejetant son recours gracieux ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de suspension présentée par M. A ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la route ;

Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;

Vu le décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 ;

Vu le décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 ;

Vu l'arrêté du 8 février 1999 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les Etats n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Ranquet, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, rapporteur public ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. A, titulaire d'un permis de conduire délivré le 13 février 2009 par la République du Kosovo, en a demandé l'échange contre un permis de conduire français, que le préfet de Maine-et-Loire lui a refusé par une décision du 17 septembre 2010, confirmée le 2 novembre 2010 sur recours gracieux ; que le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 21 décembre 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a suspendu l'exécution de ces décisions ;

Sur la condition d'urgence :

Considérant qu'en relevant que M. A devait nécessairement disposer d'un véhicule pour continuer à exercer son activité professionnelle et justifiait par là d'une situation d'urgence, le juge des référés a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation ;

Sur l'opposabilité de la liste prévue à l'article 14 de l'arrêté du 8 février 1999 :

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 222-3 du code de la route : Tout permis de conduire national, en cours de validité, délivré par un Etat ni membre de la Communauté européenne, ni partie à l'accord sur l'Espace économique européen, peut être reconnu en France jusqu'à l'expiration d'un délai d'un an après l'acquisition de la résidence normale de son titulaire. Pendant ce délai, il peut être échangé contre le permis français, sans que son titulaire soit tenu de subir les examens prévus au premier alinéa de l'article R. 221-3. Les conditions de cette reconnaissance et de cet échange sont définies par arrêté du ministre chargé des transports, après avis du ministre de la justice, du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des affaires étrangères (...) ; qu'aux termes de l'article 7.1 de l'arrêté du 8 février 1999 pris pour l'application de ces dispositions : Pour être échangé contre un titre français, tout permis de conduire national, délivré par un Etat n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen, doit répondre aux conditions suivantes : 7.1.1 Avoir été délivré au nom de l'Etat dans le ressort duquel le conducteur avait alors sa résidence normale, sous réserve que cet Etat procède, de manière réciproque, à l'échange du permis de conduire français (...) ; que l'article 14 du même arrêté prévoit que le ministre chargé des transports établit, après consultation du ministre des affaires étrangères, la liste des Etats qui accordent aux ressortissants français les avantages ou privilèges analogues à ceux mentionnés aux articles 4 et 7.1.1 ci-dessus et qu'il porte cette liste à la connaissance des préfets ;

Considérant, d'autre part, que les directives, les instructions, les circulaires, ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives , sont, aux termes de l'article 29 du décret du 30 décembre 2005 pris pour l'application de la loi du 17 juillet 1978, publiés dans des bulletins ayant une périodicité au moins trimestrielle et comportant dans leur titre la mention Bulletin officiel ; qu'aux termes de l'article 1er du décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires : Les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l'Etat sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre. Elles sont classées et répertoriées de manière à faciliter leur consultation. / Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n'est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s'en prévaloir à l'égard des administrés. (...) ;

Considérant que le préfet de Maine-et-Loire s'est fondé, pour prononcer le refus d'échange litigieux, sur la circonstance que le Kosovo ne figurait pas sur la liste prévue à l'article 14 de l'arrêté du 8 février 1999 et fixée par une circulaire du 22 septembre 2006 ; que le juge des référés a retenu, comme faisant naître un doute sérieux sur la légalité de la décision, le moyen tiré de ce que cette liste, n'ayant pas été publiée, n'était pas opposable aux administrés ; que le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION fait valoir que la circulaire du 22 septembre 2006 a été publiée au bulletin officiel du ministère de l'équipement n° 2006-20 du 10 novembre 2006 et mise en ligne dans les conditions prescrites à l'article 1er du décret du 8 décembre 2008 ;

Considérant que pour que l'administration puisse se prévaloir des dispositions de cette circulaire à la date de la décision litigieuse, ces dispositions devaient avoir été à la fois publiées dans un bulletin officiel conformément aux prescriptions de l'article 29 du décret du 30 décembre 2005 et mises en ligne conformément à celles de l'article 1er du décret du 8 décembre 2008 ; que la portée que ce décret confère à la mise en ligne ne saurait toutefois s'étendre, en cas de mise en ligne partielle de la circulaire, qu'à ses dispositions effectivement consultables sur le site ; qu'il est constant que le tableau fixant la liste des Etats concernés annexé à la circulaire du 22 septembre 2006 n'a pas été reproduit dans la version mise en ligne de cette circulaire, laquelle se borne à renvoyer, pour sa consultation, au bulletin officiel du ministère de l'équipement ; que dans ces conditions, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit en regardant la liste des Etats comme inopposable aux administrés ;

Sur la prise en compte d'une réponse ministérielle :

Considérant que pour retenir l'existence d'un doute sérieux sur la légalité du refus d'échange litigieux, le juge des référés s'est fondé à titre déterminant sur l'inopposabilité aux administrés de la liste des Etats prévue à l'article 14 de l'arrêté du 8 février 1999, et n'a retenu qu'à titre surabondant que le doute (était) possible quant au défaut de la condition de réciprocité eu égard aux termes d'une réponse du ministre des affaires étrangères et européennes à une question parlementaire relative à l'échange des permis de conduire délivrés au Kosovo ; qu'ainsi, le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION ne saurait en tout état de cause utilement invoquer l'erreur de droit qu'aurait commise le juge des référés en fondant son ordonnance sur une réponse ministérielle dépourvue de caractère normatif ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION et à M. Fadil A.