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Cour administrative d'appel de Douai, 14 septembre 2004, Epoux A. (obligation d'information - amniocentèse - l'absence de consentement écrit n'est pas consécutive d'une défaut d'information)


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 27 octobre 2003 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M et Mme Guillaume A. , élisant domicile ..., par la SCP d'avocats De Bézenac, Lamy, Mahiu et Alexandre ; M. et Mme demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 01-2325 en date du 26 juin 2003 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier d'Evreux à leur verser une indemnité en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi à la suite des conséquences dommageables de l'amniocentèse pratiquée le 30 décembre 1993 ;
2°) de condamner le centre hospitalier d'Evreux à leur verser chacun la somme de 22 687,35 euros en réparation dudit préjudice ;
3°) de condamner le centre hospitalier d'Evreux à leur verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à prendre en charge les frais d'expertise ;

Ils soutiennent qu'aux termes de l'article R. 162-16-7 du code de la santé publique modifié par le décret du 28 mai 1997, il appartenait au centre hospitalier de recueillir l'accord écrit de Mme pour participer au protocole de dépistage de la trisomie 21 et de l'informer de l'importance des risques qu'elle prenait en pratiquant l'amniocentèse ; qu'il est constant qu'elle n'a pas donné son consentement écrit ; que les affirmations du personnel hospitalier, en l'absence d'autre preuve, ne peuvent remettre en cause l'absence de consentement ; qu'une documentation sur un simple feuillet comportant un dossier important en volume remis à la patiente est insuffisant au regard de la réglementation en vigueur ; qu'il est établi par l'expertise que la fausse couche sceptique est liée à la ponction amniotique réalisée dans des conditions médicalement discutables ;

Vu le jugement et les décisions attaqués ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 8 janvier 2004, présenté pour le centre hospitalier d'Evreux, par Me Hummel-Desanglois, qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation des requérants à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administratif ; il soutient qu'il n'est pas envisageable qu'une amniocentèse ait pu être réalisée sans le consentement de la requérante qui, préalablement, a bénéficié de deux ponctions sanguines et s'est rendue de plein gré au rendez-vous pour pratiquer l'amniocentèse ; que la requérante a été préalablement informée sur la finalité, la technique et les risques de l'amniocentèse ainsi que le démontrent les documents qui lui ont été transmis et les attestations du personnel hospitalier qui l'a suivi pendant sa grossesse ; que le consentement écrit exigé par les dispositions du code de la santé publique ne constitue qu'un moyen de preuve ; que la requérante, qui a admis qu'en tout état de cause elle aurait fait réaliser l'amniocentèse, ne justifie pas d'un préjudice en terme de perte de chance ; que l'expert judiciaire a écarté toute faute de la part du praticien et du centre hospitalier ;

Vu le mémoire, enregistré le 12 juillet 2004, pour M et Mme , qui concluent aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens ; ils soutiennent, en outre, que l'indication médicale selon laquelle l'enfant que Mme portait présentait une malformation de type trisomique s'est révélée inexacte ; qu'en tout état de cause, aucun élément du dossier ne permet d'affirmer, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, que Mme n'aurait pas accepté le risque d'avoir un enfant trisomique ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er septembre 2004 où siégeaient

M. Gipoulon, président de chambre, Mme Signerin-Icre, président-assesseur et Mme Eliot, conseiller :
- le rapport de Mme Eliot, conseiller ;
- les observations de Me De Bézenac, avocat de M. et Mme ;
- et les conclusions de M. Paganel, commissaire du gouvernement ;

Sur le moyen tiré du défaut d'information :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 162-16-7 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret n° 95-579 du 28 mai 1997 : Les analyses de cytogénétique ou de biologie destinées à établir un diagnostic prénatal doivent avoir été précédées d'une consultation médicale de conseil génétique antérieure aux prélèvements, permettant... 3°) d'informer la patiente sur les risques inhérents aux prélèvements, sur leurs contraintes et leurs éventuelles conséquences, 4°) de recueillir, après lui avoir donné les informations susmentionnées, le consentement écrit de la femme enceinte à la réalisation des analyses ; le consentement est recueilli sur un formulaire conforme à un modèle fixé par arrêté du ministre chargé de la santé ... ;

Considérant que la circonstance qu'un patient n'ait pas donné son consentement écrit à la réalisation d'actes médicaux comportant des risques connus de décès ou d'invalidité n'est pas, en elle-même, de nature à établir qu'il n'aurait pas reçu l'information nécessaire à une prise de décision éclairée ; qu'il résulte de l'instruction qu'à l'occasion d'une première consultation au service de gynécologie du centre hospitalier d'Evreux, Mme , suivie pour sa grossesse, a reçu un document d'information générale sur le dépistage de la trisomie 21 mentionnant les risques de fausse couche spontanée de 0,5% inhérents à l'amniocentèse ; que les contraintes et les éventuelles conséquences sur le foetus des prélèvements effectués en vue du dépistage de cette maladie lui ont été rappelées lors d'une consultation en date du 27 novembre 1997 ; qu'enfin, ainsi que l'atteste le document établi le 30 décembre 1997 par le médecin qui a pratiqué l'amniocentèse dont s'agit, Mme a de nouveau été informée des risques liés à ce geste médical ; qu'ainsi, la patiente doit être regardée comme ayant reçu les informations sur les risques de l'amniocentèse dans des conditions qui ont permis à l'équipe médicale de recueillir le consentement éclairé de l'intéressée, alors même que cette dernière ne l'a pas formulé par écrit ; que, par suite, Mme n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen a rejeté le moyen tiré du défaut d'information ;

Sur le moyen tiré de la faute médicale :

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert commis par les premiers juges, qui souligne que l'aléa thérapeutique est à prendre en considération dans le cadre d'une ponction lombaire, que les difficultés techniques rencontrées par le praticien lors de la tentative de ponction du liquide amniotique subie par Mme sont constitutives d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier d'Evreux ; que, dès lors, les requérants ne sont pas fondés à mettre en cause la responsabilité du centre hospitalier sur ce fondement ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier d'Evreux à réparer les conséquences dommageables de la fausse couche subie par Mme ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le centre hospitalier d'Evreux, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à M. et Mme la somme qu'ils réclament au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner M. et

Mme à verser au centre hospitalier d'Evreux la somme de 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme est rejetée.
Article 2 : M. et Mme sont condamnés à verser au centre hospitalier d'Evreux la somme de 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Guillaume , au centre hospitalier d'Evreux et au ministre de la santé et de la protection sociale.