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Cour administrative d'appel de Marseille, 5 juillet 2011, n°09MA01455 (garde - urgences concomitantes - responsabilité)

Les juges rappellent que la responsabilité pour faute d'un établissement de santé ne peut être engagée dès lors qu'un praticien hospitalier de garde, retenu par une première urgence, ne peut être présent lors de la survenue d'une deuxième urgence concomitante à la première (la deuxième urgence ayant été traitée par une sage femme sans qu'aucune faute de sa part ne soit retenue).

En l'espèce, un praticien était retenu pour une intervention délicate sur un cancer des ovaires alors qu'au même moment, il était appelé par une sage femme pour un accouchement dystocique. Les juges relèvent que "la sage-femme sous la responsabilité de laquelle se déroulait l'accouchement de Mme A a prévenu à 11h15 et sans délais l'assistant de garde de la survenue de la dystocie ; qu'ainsi, la sage-femme n'a commis aucune faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier ; que si l'assistant de garde n'est arrivé qu'après l'extraction de l'enfant par manœuvre de Jacquemier, cette circonstance n'est pas de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier dès lors que le praticien était retenu à l'étage supérieur pour une intervention délicate sur un cancer des ovaires ; qu'ainsi, l'assistant de garde qui a interrompu l'intervention dès qu'il a été en mesure de le faire était, légitimement, dans l'impossibilité de se rendre plus rapidement au chevet de Mme A ; que, dès lors, aucune faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service ne peut être reprochée au service public hospitalier".  

COUR ADMINISTRATIVE D'APPELDE MARSEILLE.

 

2ème Chambre

PLEIN CONTENTIEUX

N° 09MA01455

5 juillet 2011.

Inédite au recueil Lebon.

Vu la requête, enregistrée le 23 avril 2009, présentée pour M. et Mme A demeurant ..., par Me Long, avocate ;

M. et Mme A demandent à la Cour :

1º) d'annuler le jugement nº 0602880, en date du 18 février 2009, par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs demandes tendant à condamner l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille (APHM) à leur verser, d'une part, une somme totale de 328 700 euros au titre des divers préjudices subis par Arahamane Soihibou et, d'autre part, une somme de 4 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative

 ;

2º) de condamner solidairement l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille, l'hôpital de la Conception et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) à leur payer la somme de 378 700 euros au titre des préjudices subis par leur enfant ainsi que la somme de 50 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral et de mettre à leur charge, outre les dépens, la somme de 4 000 au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative

 ;

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la

loi nº 2002-303 du 4 mars 2002

relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;

Vu le code de la santé publique et le code de l'action sociale et des familles;

Vu le code de justice administrative ;

Vu le

décret nº 2009-14 du 7 janvier 2009

relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions ;

Vu l'arrêté du vice-président du Conseil d'Etat, en date du 27 janvier 2009, fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du

décret nº 2009-14 du 7 janvier 2009

 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 juin 2011 :

- le rapport de Mme Massé-Degois, rapporteur,

- les conclusions de Mme Fedi, rapporteur public,

- et les observations de Me Long pour M. et Mme A ;

Considérant que Mme A a été admise le 25 avril 2002 dans le service de maternité de l'hôpital de la Conception à Marseille relevant de l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille au sein duquel elle a donné naissance à un enfant présentant des signes d'étirement du plexus brachial droit ; que M. et Mme A relèvent appel du

jugement du 18 février 2009 par lequel le tribunal administratif de Marseille

a rejeté leurs demandes tendant à être indemnisés solidairement par l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille (APHM), l'hôpital de la Conception et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des préjudices subis par leur enfant Arahamane à l'accouchement ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que les appelants font valoir qu'ils ont soutenu, en première instance, que la présence d'un médecin lors de l'accouchement de Mme A aurait permis d'éviter le dommage dont ils demandent la réparation et soutiennent, devant la Cour, que le tribunal a omis de statuer sur ce moyen ;

Considérant que le jugement critiqué, après avoir rappelé, d'une part, les dispositions législatives applicables aux sages-femmes en présence d'un accouchement dystocique leur imposant de faire appel à un médecin et, d'autre part, l'obligation de la présence du médecin dans de telles circonstances, a cependant estimé, au vu des éléments du dossier, que le fait que le médecin prévenu par la sage-femme s'était trouvé dans une impossibilité légitime de se rendre au chevet de Mme A n'était pas de nature à révéler une faute dans le fonctionnement ou l'organisation du service public hospitalier ; que, par suite, dès lors qu'il a regardé l'absence du médecin comme non fautive, le tribunal n'était pas tenu de se prononcer sur l'issue de l'accouchement en cas de présence de celui-ci ;

Sur la responsabilité de l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la grossesse de Mme A a suivi une évolution normale et que les examens obstétriques antérieurs à l'accouchement ne laissaient présager aucune malformation physique de l'enfant ni supposer la survenance d'un accident obstétrical ; que, cependant, lors de l'accouchement, l'enfant a présenté une dystocie des épaules ; que devant l'urgence obstétricale que constitue une dystocie des épaules pour le foetus, la sage-femme a réalisé, sans attendre l'assistant de garde appelé à 11h15 et arrivé à 11h 32, soit deux minutes après l'expulsion de l'enfant, les manoeuvres de Roberts puis de Jacquemier afin de permettre le dégagement de l'épaule antérieure de l'enfant évitant ainsi une souffrance foetale et une anoxie cérébrale qui, au fil des minutes, engendre de graves conséquences neurologiques ; qu'il résulte de l'instruction que ces manoeuvres, nécessaires afin d'éviter de graves lésions cérébrales à l'enfant, ont été réalisées conformément aux règles de l'art et constituaient la seule solution thérapeutique adaptée à cette urgence ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du deuxième alinéa de

l'article L. 369 du code de la santé publique

repris à

l'article L. 4151-3 du même code

 : (...) en cas d'accouchement dystocique, la sage-femme doit faire appel à un médecin ; qu'il résulte de ces dispositions que lorsque survient une dystocie pendant un accouchement se déroulant sous la surveillance d'une sage-femme, celle-ci a l'obligation d'appeler un médecin ; que l'absence de médecin dans de telles circonstances est constitutive d'un défaut dans l'organisation et le fonctionnement du service engageant la responsabilité du service public hospitalier, à moins qu'il soit justifié d'une circonstance extrême ayant fait obstacle à ce que la sage-femme appelle le médecin ou que le médecin ait été, pour des motifs légitimes, placé dans l'impossibilité de se rendre au chevet de la parturiente ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise judiciaire, que la sage-femme sous la responsabilité de laquelle se déroulait l'accouchement de Mme A a prévenu à 11h15 et sans délais l'assistant de garde de la survenue de la dystocie ; qu'ainsi, la sage-femme n'a commis aucune faute de nature à engager la responsabilité le service public hospitalier ; que si l'assistant de garde n'est arrivé qu'après l'extraction de l'enfant par manoeuvre de Jacquemier, cette circonstance n'est pas de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier dès lors que la praticien était retenu à l'étage supérieur pour une intervention délicate sur un cancer des ovaires ; qu'ainsi, l'assistant de garde qui a interrompu l'intervention dès qu'il a été en mesure de le faire était, légitimement, dans l'impossibilité de se rendre plus rapidement au chevet de Mme A ; que, dès lors, aucune faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service ne peut être reprochée au service public hospitalier au regard des dispositions législatives précitées ; qu'en tout état de cause, aucun élément du dossier ne permet d'affirmer ni même de supposer que la présence du médecin de garde avant l'expulsion de l'enfant aurait permis à ce dernier d'éviter les troubles dont il est atteint ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de

l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles

 : (...) La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer (...) ; que les appelants ne sont pas fondés à invoquer ces dispositions à l'appui de leur demande indemnitaire en l'absence de faute commise lors de la prise en charge de l'accouchement Mme A par l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille dont dépend l'hôpital de la Conception ;

Sur l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :

Considérant qu'aux termes de

l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique

 : Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I [...] n'est pas engagée, un accident médical [...] ouvre droit à la réparation des préjudices du patient [...] au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de [...] soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ; que, conformément à l'article 101 de la

loi nº 2002-303 du 4 mars 2002

relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, ces dispositions s'appliquent aux accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales consécutifs à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées à compter du 5 septembre 2001 ;

Considérant qu'un accident médical est un accident en lien avec un acte de prévention, de diagnostic ou de soins ; que si un accouchement par voie basse ne constitue pas en soi un acte médical, les manoeuvres effectuées par la sage-femme lors de l'accouchement doivent nécessairement être regardées comme tel ; qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que le préjudice subi, c'est-à-dire la distorsion du plexus brachial, est directement imputable aux actes de soins réalisés lors de l'accouchement ; qu'il résulte toutefois des dispositions précitées que, pour être indemnisables au titre de la solidarité nationale, les préjudices doivent avoir eu pour le patient notamment des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'après un accouchement dystocique, il y a souvent des lésions nerveuses au niveau des cinquième et sixième vertèbres cervicales et des paralysies qui régressent dans un délai d'un an dans 70 % des cas et des lésions, comme celles présentées par l'enfant Soihibou, allant de la septième vertèbre cervicale à la première vertèbre dorsale et des paralysies dont les victimes ne récupèrent dans un délai d'un an que dans 40 % des cas, qui sont beaucoup plus rares ; qu'ainsi, les séquelles dont est atteint le jeune Soihibou ne sont pas sans rapport avec l'état initial de blocage des épaules dans le bassin maternel qu'il présentait lors de sa naissance ; que, par suite, les séquelles dont souffre le jeune Soihibou, pour importantes, invalidantes et regrettables qu'elles soient, ne sauraient être regardées comme des conséquences anormales de la dystocie au sens des dispositions précitées du II de

l'article L. 1142-1 du code de la santé publique

 ; que, dès lors, les préjudices consécutifs à l'accouchement de Mme A ne sauraient ouvrir droit à réparation au titre de la solidarité nationale ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme A ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs demandes ; que leurs conclusions présentées au titre des dispositions de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative

ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées et, en l'absence de dépens exposés dans la présente instance, leurs conclusions présentées au titre des dispositions de

l'article R. 761-1 du même code

le seront également ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme A est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A, à l'Assistance publique- hôpitaux de Marseille, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône et au ministre du travail, de l'emploi et de la santé.

N° 09MA014552

LONG

Mme Christine MASSE-DEGOIS

Mme FEDI

M. GONZALES