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Cour administrative d'appel de Nancy, 19 décembre 2013, n° 13NC00331 (Marchés à bons de commande – Exécution partielle – Lettres d’intention)

La société X. a conclu en 2002 avec la commune Y. deux marchés à bons de commande. Le premier porte sur des travaux publics de réfection et de renforcement des trottoirs. Le second a pour objet des réfections de voirie liées au dégel. Pour les deux marchés, des montants minimum ont été prévus. Après exécution des deux marchés, il a été constaté que les commandes n'avaient été réalisées. En réponse aux demandes de dédommagement présentées par la société X., la commune Y. a, en dernier lieu par courrier du 9 décembre 2003, indiqué à ladite société qu'un marché sans formalité serait passé annuellement avec elle, durant les exercices 2004, 2005, 2006 et 2007, pour un montant cumulé de 300 000 euros HT et ce, afin de compenser sa perte de chiffres d'affaires et de résorber le litige. Aucune suite n'a été donnée à ce courrier par la commune.

C’est ainsi que la société X. a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne tendant à la condamnation de la commune à l’indemniser. Le juge de première instance a rejeté les conclusions de la société X. Celle-ci a donc interjeté appel.

La Cour administrative d’appel de Nancy a rejeté la requête formée par la société X. au motif que la demande de réparation du manque à gagner résultant de l'exécution partielle des contrats conclus en 2002 est sans lien avec le fait, pour la commune, de ne pas avoir donné suite à l'engagement de signer un nouveau contrat portant sur l'entretien des cours d'école. La Cour a profité de l’occasion pour rappeler que des courriers qui ne définissent pas avec précision l'objet du contrat à venir et son prix doivent être regardés comme desimples lettres d’intention et ne sauraient valoir marché public.

 

 

Cour Administrative d'Appel de Nancy

N° 13NC00331

   

4ème chambre - formation à 3

 

M. LAPOUZADE, président

Mme Pascale ROUSSELLE, rapporteur

M. WIERNASZ, rapporteur public

SCP CHALON - SUBSTELNY, avocat(s)

 

lecture du jeudi 19 décembre 2013

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu, sous le numéro 13NC00331, la requête, enregistrée le 21 février 2013, complétée le 3 décembre 2013, présentée pour la SARL X., prise en la personne de son représentant légal, dont le siège est …, par Me Chalon, avocat ;

 

La SARL X. demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1001422 en date du 20 décembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de la commune Y. à lui payer la somme de 192 622,02 euros au titre de l’indemnisation de son préjudice imputable au non-respect du compromis signé par la commune le 9 décembre 2003 ;

2°) de condamner la commune Y. à verser à la SARL X. la somme de 192 622,02 euros à titre d’indemnisation ;

3°) de condamner la commune de Y. à verser à la SARL X. 1 500 euros au titre de l’article L.761-1 du Code de justice administrative ;

 

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, elle a adressé une proposition à la commune Y. qui l’a acceptée et que de cet accord de volonté entre deux parties est né un contrat administratif que la commune se devait de respecter ;

- la SARL X. est une petite entreprise de travaux publics qui ne dispose d’aucun service administratif ou juridique et qui a fait confiance à la commune Y. ;

- quelle que soit la qualification à retenir, la responsabilité de la commune Y. doit être retenue ;

- le préjudice qu’elle a subi ne lui est pas exclusivement imputable ;

- elle justifie de sa qualité pour agir ;

 

Vu, le mémoire en défense, enregistrée au greffe le 5 juin 2013, présentée pour la commune Y., représentée par son maire en exercice, domicilié..., représentée par Me Marty, avocat ;

 

Elle soutient que :

- la requête de la société X. est irrecevable à défaut de justifier de sa qualité à agir ;

  - la société X. ne peut réclamer une indemnisation du fait de l’inexécution partielle du marché public 2002V003 en présence d’un décompte général et définitif ;

- il n’existe pas de contrat administratif conclu entre la commune et la société X. ;

- si un contrat était caractérisé, ce dernier ne pourrait être exécuté en raison de sa nullité qui découle du non respect des principes élémentaires rappelés à l’article 1er du code des marchés publics ;

- en matière de responsabilité, une société ne peut demander à titre d’indemnisation que le bénéfice, c’est-à-dire la perte de la marge bénéficiaire, et non le chiffre d’affaires ;

- le préjudice est exclusivement imputable à l’imprévoyance de la société X. qui a renoncé à l’indemnité à laquelle elle avait droit au titre des précédents marchés, et elle ne pouvait ignorer que le contrat était entaché de nullité ;

- en raison de la faute grossière commise par la société X., le lien de causalité entre la faute commise par la commune et le préjudice subi par la société n’est pas établi ;

  

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le code de justice administrative ;

 

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

 

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 9 décembre 2013 :

- le rapport de Mme Rousselle, président,

- les conclusions de M. Wiernasz, rapporteur public,

- et les observations de Me Marty, conseil de la commune Y. ;

 

1. Considérant que la SA Z., aux droits de laquelle soutient venir la SARL X., a conclu en 2002 avec la commune Y. deux marchés à bons de commande, l’un portant sur des travaux publics de réfection et de renforcement des trottoirs et l’autre sur des réfections de voirie liées au dégel ; qu’il était prévu un montant minimum de commandes fixé à 341 342 euros pour le premier marché et de 675 200 euros pour le second ; qu’après exécution des deux marchés, il a été constaté que les commandes n’avaient été réalisées, respectivement, que pour des montants de 181 956,14 euros et 449 072,92 euros ; qu’en réponse aux demandes de dédommagement présentées par la société, la commune Y. a, en dernier lieu par courrier du 9 décembre 2003, indiqué à la SA Z. qu’un marché sans formalité serait passé annuellement avec elle, durant les exercices 2004, 2005, 2006 et 2007, pour un montant cumulé de 300 000 euros HT “ afin de compenser sa perte de chiffres d’affaires et de résorber le litige “ ; qu’aucune suite n’a été donnée à ce courrier par la commune ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté les conclusions de la société X. tendant à la condamnation de la commune à l’indemniser à hauteur de 192 622,02 euros ;

Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la commune :

 

Sur la nature de l’engagement de la commune Y. :

2. Considérant qu’il résulte de l’instruction que par deux courriers datés respectivement des 14 octobre et 9 décembre 2003, le maire de la commune Y., reconnaissant le manque à gagner de la SARL X. consécutivement aux deux marchés à bons de commande qu’elle avait souscrits précédemment avec ladite commune, a proposé, à titre de dédommagement, de souscrire un marché sans formalité avec la société pour un montant total de 300 000 euros, portant sur des travaux dans des cours d’école ; que ces courriers, qui ne définissent pas, en tout état de cause, avec précision l’objet du contrat à venir et son prix, ne peuvent être regardés que comme des lettres d’intention ; qu’il suit de là que, contrairement à ce que soutient la société requérante, ces documents ne peuvent valoir engagement contractuel et elle n’est, par suite, pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait dû mettre en œuvre la responsabilité contractuelle de la commune ;

 

Sur la responsabilité de la commune Y. :

3. Considérant qu’ainsi qu’il a été dit, il résulte de l’instruction, et notamment d’échange de courriers entre la société X. et la ville Y. que le maire de ladite commune a proposé de souscrire un marché sans formalité avec la société pour un montant total de 300 000 euros ; que cet engagement, fait en violation des principes les plus élémentaires, rappelés à l’article 1er du Code des marchés publics, de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, présente en tout état de cause un caractère fautif ; que toutefois, d’une part, la circonstance qu’un nouveau marché à bons de commande, conclu le 24 janvier 2005, en vue de la réparation des trottoirs suite au gel n’aurait pas été honoré à hauteur du montant minimum est, en tout état de cause, compte tenu notamment de son objet, sans lien avec l’engagement précité pris par le maire de la commune Y. le 9 décembre 2003 ; que, d’autre part, la société à qui il appartenait si elle s’y croyait fondée de mettre en oeuvre les voies de droit nécessaires, ne peut prétendre à l’indemnisation du manque à gagner résultant de l’exécution partielle des contrats conclus en 2002, qui constitue un litige distinct de celui né du non-respect par la commune Y. de l’engagement de signer un nouveau contrat portant sur l’entretien des cours d’école ; que, s’agissant précisément de cet engagement, la société X. n’établit pas avoir subi un préjudice économique susceptible d’être indemnisé par la commune Y. ;

4. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société X. n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande ;

 

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

5. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administratives font obstacle à ce les frais exposés par la société requérante et non compris dans les dépens soient mis à la charge de la commune Y., qui n’est pas la partie perdante à l’instance ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la commune de Y. tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société X. est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune Y. tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société X. et à la commune Y.