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Cour administrative d’appel de Nancy, 7 janvier 2010 (Responsabilité hospitalière – Centre hospitalier – Indemnisation – Accouchement – Préjudice corporel – Faute)

En l’espèce, une patiente impute divers troubles à la faute commise par le centre hospitalier qui l’a faite accoucher par voie naturelle alors qu’il aurait dû selon elle pratiquer une césarienne. La Cour administrative d’appel déboute la requérante au motif que le choix de la faire accoucher par voie basse ne constitue pas une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier. Elle relève en effet que la surveillance et la prise en charge de la grossesse de patiente, qui se sont déroulées dans des conditions conformes aux données actuelles de la science et pour lesquelles aucun manquement aux règles de l'art n'a été relevé, n'ont pas décelé de symptômes justifiant une césarienne à titre préventif. La cour indique également que même si la patiente a informé le centre hospitalier de l’existence de troubles antérieurs, cette pathologie ne constitue pas un antécédent alarmant qui aurait dû conduire le praticien à un autre choix que la délivrance par la voie naturelle.

Cour Administrative d'Appel de Nancy

N° 08NC01374
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre - formation à 3
M. VINCENT, président
M. Michel BRUMEAUX, rapporteur
M. COLLIER, commissaire du gouvernement
SCP ALEXANDRE LEVY KAHN, avocat

lecture du jeudi 7 janvier 2010

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 4 et le 17 septembre 2008, présentés pour Mme Fatima A, demeurant ..., par Me Alexandre ; Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0501889 en date du 17 juillet 2008 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation des Hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser une indemnité de 150 000 euros pour réparer les préjudices qu'elle a subis lors de son accouchement le 29 septembre 2002 ;

2°) de condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser cette indemnité, majorée des intérêts légaux à compter du 15 décembre 2003, date de sa demande préalable d'indemnisation et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) d'ordonner une nouvelle expertise ;

Elle soutient que :

- le caractère contradictoire de l'expertise n'a pas été respecté, les Hôpitaux universitaires de Strasbourg ayant transmis à l'expert des documents dont elle n'a pas eu connaissance ;

- les premiers juges ont estimé à tort qu'elle ne souffrait que d'une notion d'incontinence anale et qu'elle ne présentait pas d'antécédents particuliers, alors que l'expert a fait état de lésions préexistantes vraisemblables ;

- en présence de ces symptômes, les praticiens hospitaliers devaient faire le choix d'une opération par césarienne ;

- il est inexact d'affirmer qu'elle a bénéficié de soins de kinésithérapie ;

- l'expert n'a pas répondu à la question de savoir si l'accouchement par voie normale était la seule voie possible ;

Vu le mémoire en intervention, enregistré le 1er juillet 2009, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de Strasbourg, par Me Friedrich ; la caisse conclut à la condamnation des Hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser
22 757,63 euros au titre de sa créance provisoire avec intérêts au taux légal à compter de sa demande, à ce que ses droits soient réservés pour les prestations non comprises dans son décompte du 7 mars 2006, et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle fait valoir qu'elle est en droit de demander le remboursement de ses prestations si l'appel de Mme A devait être accueilli, en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ; la somme de 22 757,63 euros comprend les indemnités journalières, les frais d'hospitalisation, frais médicaux et pharmaceutiques, actes de radiologie et frais de transport ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 août 2009, présenté pour les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, par Me Le Prado ; les Hôpitaux universitaires de Strasbourg concluent au rejet de la requête ; ils font valoir que :

- la requérante n'indique pas qu'elle n'a pas pu consulter son dossier médical et en prendre connaissance dans le cadre de la procédure de l'expertise ; elle a eu la possibilité de contester l'analyse et les conclusions de l'expert à l'étape du pré-rapport ;

- le contenu du rapport a mis le juge en mesure de statuer sur les conclusions de la requête ; une nouvelle mesure d'expertise n'est pas nécessaire ; l'expert a répondu à la question de savoir pourquoi l'accouchement par voie normale était seul envisageable ; ce choix était justifié par les données obstétricales recueillies au cours de la surveillance de la grossesse ; l'expert n'a laissé de côté aucun élément du dossier ;
- le recours à la césarienne ne doit être décidé que dans le cas où l'accouchement normal présente des dangers sérieux ;

- Mme A n'a signalé ce trouble de l'incontinence anale, survenu à la 30ème semaine de grossesse, qu'à l'occasion de sa première consultation à l'hôpital, soit le 5 août 2002 ;

- elle a fait l'objet de soins adéquats au sein du service de gynécologie obstétrique des Hôpitaux universitaires de Strasbourg ; l'expert n'a relevé aucun manquement aux règles de l'art ni de décision professionnellement fautive ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 31 août 2009, présenté pour Mme A ; elle maintient l'ensemble de ses conclusions ; elle soutient que :

- il existait des précédents qui auraient dû conduire les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à la prudence dans le choix des modes d'accouchement ;

- les troubles dont elle était affectée auraient été constatés si les examens d'usage avaient été pratiqués ;

- la gravité de son état a été attestée par la note du 5 juin 2008 du service d'endoscopie du centre hospitalier universitaire de Nancy ;

Vu la décision en date du 28 novembre 2008 par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme A l'aide juridictionnelle au taux de 15 % ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 décembre 2009 :

- le rapport de M. Brumeaux, président,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de Me Alexandre, avocat de Mme A et de la caisse primaire d'assurance maladie de Strasbourg ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme A a accouché le 29 septembre 2002 par voie naturelle et extraction instrumentale sous analgésie péridurale dans le service de gynécologie et d'obstétrique des hôpitaux universitaires de Strasbourg après avoir subi une épisiotomie préventive qui a été suturée ; que Mme A reste atteinte d'incontinence anale et de douleurs périnéales et impute ces troubles à la faute qu'aurait commise le centre hospitalier en ne pratiquant une césarienne ;

Sur la régularité de la procédure de première instance :

Considérant que le jugement attaqué se fonde notamment sur les conclusions du rapport d'expertise établi par le docteur B, expert nommé par ordonnance en date du 6 juillet 2004 du président du Tribunal administratif de Strasbourg ; qu'il n'est pas contesté que certains documents relatifs à l'état de santé de Mme A ont été communiqués à ce dernier par les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg et qu'il les a exploités sans que l'intéressée en ait eu connaissance ; que, dans ces circonstances, l'expertise n'a pas respecté les principes de la procédure contradictoire et le jugement attaqué doit être annulé comme intervenu sur une procédure irrégulière ; que, toutefois, cette circonstance ne fait pas obstacle, après évocation du litige, à ce que le rapport de l'expert, qui constitue une des pièces du dossier sur laquelle Mme A a pu faire valoir ses observations écrites, soit retenu à titre d'élément d'information par la Cour et qu'il soit statué au fond ;

Sur la responsabilité des hôpitaux universitaires de Strasbourg :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, que la surveillance et la prise en charge de la grossesse de Mme A, qui se sont déroulées dans des conditions conformes aux données actuelles de la science et pour lesquelles aucun manquement aux règles de l'art n'a été relevé, n'ont pas décelé de symptômes justifiant une césarienne à titre préventif ; que si la requérante soutient avoir informé le centre hospitalier à l'occasion d'une consultation prénatale, à sa trentième semaine de grossesse, qu'elle souffrait d'incontinence anale, ce trouble, qui peut survenir lors d'une grossesse sans présenter un caractère alarmant, ne constituait pas ainsi un antécédent particulier qui aurait dû conduire le praticien à un autre choix que la délivrance par la voie naturelle ; que, dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise en l'absence d'éléments versés au dossier de nature à remettre en cause le sérieux des conclusions de l'expert, le choix du service de gynécologie et d'obstétrique des Hôpitaux universitaires de Strasbourg de procéder à l'accouchement par voie basse ne peut être regardé comme une faute de nature à engager la responsabilité de ce dernier ; que, par suite, Mme A, qui n'allègue d'ailleurs plus en appel que les lésions sphinctériennes et les douleurs périnéales dont elle est affectée résulteraient de gestes inappropriés pendant l'accouchement, n'est pas fondée à soutenir que les séquelles dont elle souffre seraient imputables à une faute du service public hospitalier ; qu'il suit de là que sa demande présentée devant le Tribunal administratif de Strasbourg tendant à la condamnation des Hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser une indemnité de 150 000 euros en réparation des préjudices subis lors de son accouchement le 29 septembre 2002 doit être rejetée ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être que rejetées ;

Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Strasbourg :

Considérant que, dès lors que la responsabilité des hôpitaux universitaires de Strasbourg n'est pas engagée, les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Strasbourg tendant à la condamnation de ceux-ci à lui rembourser les prestations versées et futures doivent être rejetées ; que par suite, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être également rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 17 juillet 2008 est annulé.
Article 2 : La demande de Mme A présentée devant le Tribunal administratif de Strasbourg est rejetée ainsi que le surplus de ses conclusions devant la Cour.
Article 3 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Strasbourg sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Fatima A, aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg et à la caisse primaire d'assurance maladie de Strasbourg.