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Cour administrative d'appel de Paris, 1er mars 2013, n° 12PA01546 (Responsabilité hospitalière – Défaut d’information – Perte de chance)

Cour administrative d’appel de Paris

N° 12PA01546

 

Inédit au recueil Lebon

3 ème chambre

Mme VETTRAINO, président

Mme Audrey MACAUD, rapporteur

Mme MERLOZ, rapporteur public

BRIAND, avocat(s)

 

lecture du vendredi 1 mars 2013

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la requête, enregistrée le 4 avril 2012, présentée pour Mme X, demeurant … , par Me Y ; Mme X demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1002219/6-3 du 2 février 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce qu’il ordonne une expertise médicale complémentaire et, à titre subsidiaire, à ce qu’il condamne l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 13 860 euros à parfaire, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, ainsi qu’une somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral subi du fait du manquement du service hospitalier à son obligation d’information ;

2°) de condamner l’AP-HP, en raison des fautes commises dans sa prise en charge tant dans l’information délivrée que dans les soins prodigués, à lui verser la somme de 10 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir, en réparation de son préjudice moral et de réserver le chiffrage pour le surplus des préjudices subis dans l’attente de la communication des pièces sollicitées ;

3°) à titre subsidiaire, d’ordonner une contre-expertise médicale ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner l’AP-HP à lui verser la somme de 16 230 euros à parfaire, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

5°) de mettre à la charge de l’AP-HP une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

  

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 31 janvier 2013 :

- le rapport de Mme Macaud, rapporteur,

 - les conclusions de Mme Merloz, rapporteur public,

- et les observations de Me Z, pour l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

 

1. Considérant que, le 22 mai 2007, Mme X, alors âgée de 68 ans, a été hospitalisée à l’hôpital A à Paris pour rechercher une éventuelle récidive d’une tumeur carcinoïde du grêle opérée en 1988 ; que, le 30 mai 2007, elle a été admise au service de chirurgie digestive de l’hôpital B, établissement relevant de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), pour une biopsie multiple de la vessie dont la paroi présentait une anomalie, les biopsies devant être réalisées le jour même sous anesthésie locale ; qu’au cours de la troisième biopsie, la vessie a été perforée, perforation qui a nécessité une laparotomie sous anesthésie générale pour suturer la brèche vésicale ; qu’après l’intervention, Mme X, qui avait été placée, dans un premier temps, dans le service de chirurgie digestive faute de places dans le service d’urologie, a ressenti des douleurs dans les jambes et a présenté, à partir du 1er juin, des douleurs thoraciques ; qu’une radiographie, réalisée le 3 juin 2007, a montré des ectasies bronchiques et bronchiolaires assez diffuses, un angioscanner, pratiqué le 4 juin 2007, révélant trois lacunes distales de perfusion, qui ont été attribuées à des embols fibrinocruoriques en provenance des membres inférieurs ; qu’à sa demande, Mme X a été transférée, le 4 juin 2007, dans le service de réanimation néphrologique où elle est restée jusqu’au 6 juin 2007, date à laquelle elle a regagné le service d’urologie après une scintigraphie pulmonaire ; que, le 8 juin 2007, la patiente a quitté l’hôpital B pour rejoindre l’hôpital A où elle a été hospitalisée jusqu’au 20 juin 2007 ; qu’estimant avoir subi des préjudices du fait de fautes commises à l’occasion de son hospitalisation à l’hôpital B, Mme X a adressé, le 18 mars 2009, une réclamation à l’AP-HP ; que cette demande ayant été rejetée par une décision du 20 août 2009, confirmée le 8 décembre 2009, Mme X a saisi le Tribunal administratif de Paris, le 5 février 2010, d’une requête tendant à la condamnation de l’AP-HP à l’indemniser des préjudices subis du fait des fautes commises lors de son hospitalisation à l’hôpital A; qu’elle demande à la Cour d’annuler le jugement du tribunal administratif du 2 février 2012 rejetant sa requête ;

 

Sur la régularité du jugement attaqué:

 2. Considérant que la circonstance que l’expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif exerce son activité professionnelle dans un établissement de santé relevant de l’AP-HP ne saurait suffire, par elle-même, à faire regarder ledit expert comme ayant manqué d’impartialité à l’égard des parties dans le déroulement des opérations d’expertise et les conclusions qu’il en a tiré ; qu’il ne résulte en outre pas de l’instruction que les opérations d’expertise se seraient déroulées, ainsi que le soutient la requérante, dans un climat conflictuel ; que si l’expert n’était pas en possession de certains éléments du dossier médical de Mme X, en particulier le dossier d’anesthésie, il résulte de son rapport qu’il disposait de nombreux documents médicaux sur l’état de santé de l’intéressée antérieurement à son hospitalisation du 30 mai 2007, l’expert ayant ainsi connaissance du fait que Mme X présentait, lors de son admission à l’AP-HP, une bronchopneumopathie obstructive asthmatique assez sévère connue et traitée depuis 15 ans, qu’elle souffrait également de troubles du rythme cardiaque et qu’une anomalie génétique d’un facteur de coagulation sanguine était connue ; qu’ainsi, l’expert, qui a répondu à l’ensemble des questions posées par le juge des référés, était suffisamment informé pour remplir la mission qui lui avait été confiée par le juge ; qu’enfin, la circonstance que le rapport d’expertise comporte plusieurs erreurs, notamment dans les dates de certains évènements, n’est pas de nature à entacher l’expertise d’irrégularité, ces erreurs étant purement matérielles et sans incidence sur les conclusions de l’expertise ; que, dans ces conditions, Mme X n’est pas fondée à soutenir que le tribunal se serait prononcé au vu d’une expertise irrégulière et aurait, par suite, entaché son jugement d’irrégularité ;

 

Sur les conclusions tendant à ce qu’une contre-expertise médicale soit ordonnée:

3. Considérant qu’il résulte du rapport de l’expert que ce dernier a pris soin d’examiner l’ensemble des pièces médicales communiquées ainsi que les observations écrites, très détaillées, de Mme X, avant de répondre aux questions posées par le juge des référés s’agissant des fautes qui auraient pu être commises et des préjudices subis par la requérante ; que le rapport d’expertise permet ainsi au juge, avec les autres pièces du dossier, en particulier les documents que les parties peuvent produire pour contester les conclusions de l’expert, de se prononcer sur la responsabilité de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris dans la survenance des dommages subis par Mme X à la suite de son hospitalisation le 30 mai 2007 à l’hôpital B pour une biopsie de la vessie ; que, dans ces conditions, les conclusions de Mme X tendant à ce qu’une contre-expertise médicale soit ordonnée doivent être rejetées, une telle expertise étant dépourvue d’utilité ;

 

Sur la responsabilité de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris:

 4. Considérant qu’aux termes du I de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique : “ Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. “ ;

 5. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que, lors de la troisième biopsie de la vessie, celle-ci a été perforée par le praticien ; que, contrairement à ce que semble soutenir Mme X, la perforation de l’organe, sur lequel portait l’acte chirurgical, ne suffit pas, par elle-même, à révéler un geste fautif de la part du médecin ; qu’il résulte du rapport d’expertise que la perforation de la vessie de Mme X doit, en l’espèce, être regardée comme un aléa thérapeutique ; qu’il résulte en outre de l’instruction que les mesures nécessaires ont été immédiatement mises en oeuvre pour remédier aux conséquences dommageables de la perforation, une laparotomie ayant été pratiquée pour suturer la perforation ; que, dans ces conditions, aucune faute, négligence ou maladresse médicale dans la conduite de la biopsie multiple ne saurait, ainsi que l’ont estimé les premiers juges, être retenue à... ;

 6. Considérant, en deuxième lieu, que Mme X invoque un défaut dans l’organisation du service dans la mesure où ses douleurs post-opératoires auraient été prises en compte tardivement, sans qu’il soit tenu compte du risque thrombotique qu’elle présentait du fait de ses antécédents familiaux ; qu’il résulte de l’instruction que si Mme X s’est plainte, dès le 31 mai au matin, de douleurs aux mollets, celles-ci ont été mentionnées sur la feuille de surveillance le même jour à 8h et ont été prises en compte par le chirurgien qui a prescrit, après un examen de la patiente qui s’est déroulé dans l’après-midi, un anti-coagulant, du Lovenox, prescription qui a été exécutée à 18h et dont les doses ont été ajustées à la hausse dès le lendemain, ainsi qu’un échodoppler, qui a été réalisé dans la soirée ; qu’il résulte en outre du rapport d’expertise que Mme X s’était levée dans la journée du 31 mai, ce qui prévient le risque thrombo-embolique, et qu’aucun signe clinique objectif n’avait été constaté ; qu’à la suite des douleurs thoraciques ressenties par Mme X dans la nuit du 2 au 3 juin, différents examens complémentaires ont été pratiqués les 3 et 4 juin, en particulier une radiographie du thorax, montrant des ectasises bronchiques et bronchiolaires diffuses, et un angioscanner révélant trois lacunes distales de perfusion, attribuées à des embols fibrinocruoriques en provenance des membres inférieurs ; que Mme Xa ensuite, à sa demande, été transférée au service de réanimation néphrologique où, le 6 juin, a été réalisée une scintigraphie, dont le compte rendu indique que les suites opératoires ont été marquées d’une phlébite bilatérale suivie d’embolies pulmonaires multiples malgré l’anticoagulation efficace et le repos ; qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’aucun retard dans la prise en charge de Mme X ne saurait être reproché au service hospitalier qui a pris en compte le risque thrombotique dès ses premières manifestations ; qu’il résulte en outre de l’instruction, en particulier du rapport d’expertise, que la réalisation d’une biopsie de la vessie sous anesthésie locale n’implique pas de prévention thrombo-embolique, l’exécution d’une laparotomie n’imposant pas davantage une telle prévention ; que si Mme X soutient qu’il n’a pas été tenu compte de ses antécédents familiaux pourtant mentionnés dans le dossier d’anesthésie, il n’est toutefois aucunement établi que l’anomalie génétique dont deux membres de sa famille sont atteints aurait justifié qu’un traitement anticoagulant lui soit prescrit à titre préventif ; qu’enfin, il ne résulte pas de l’instruction que l’hospitalisation de Mme X du 30 mai au 1er juin dans le service de chirurgie digestive, faute de lits disponibles en service d’urologie, ait été à l’origine d’une prise en charge insuffisante ou défaillante, l’intéressée, qui a été examinée par l’interne du service d’urologie dès le 31 mai, ayant, ainsi que l’a relevé le tribunal, fait l’objet d’une surveillance infirmière appropriée ; que, dans ces conditions, Mme X n’est pas fondée à engager la responsabilité de l’AP-HP du fait de fautes qui auraient été commises dans la prise en charge de ses douleurs post-opératoires ;

 7. Considérant, en dernier lieu, qu’aux termes de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique : “ Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...). / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel. (...) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen (...) “ ;

 8. Considérant que lorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que si cette information n’est pas requise en cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation ; qu’un manquement des médecins à leur obligation d’information engage la responsabilité de l’hôpital dans la mesure où il a privé le patient d’une chance de se soustraire au risque lié à l’intervention en refusant qu’elle soit pratiquée ; que c’est seulement dans le cas où l’intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d’aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l’existence d’une perte de chance ; qu’il résulte du rapport d’expertise que si le dossier de chirurgie digestive mentionne que l’interne d’urologie a donné les informations nécessaires à Mme X préalablement à la réalisation de la biopsie multiple de la vessie, il est constant que la requérante, qui conteste la réalité de cet entretien, n’a pas été informée du risque rare mais connu de perforation de la vessie et de la nécessité, dans un tel cas, de pratiquer une laparotomie, alors qu’aucune urgence, impossibilité ou refus de la patiente d’être informée ne justifiaient le manquement des médecins à cette obligation d’information ; qu’il résulte toutefois de l’instruction que la biopsie envisagée avait pour objet de rechercher une récidive fortement suspectée d’une affection cancéreuse ; qu’en l’absence d’alternative pour déterminer la présence de l’affection suspectée, compte tenu du caractère exceptionnel du risque de perforation à l’occasion de la biopsie et de la nécessité de procéder à la recherche de cette possible récidive, Mme X ne peut être regardée comme ayant été privée d’une chance de se soustraire au risque de perforation de la vessie et à la laparotomie pratiquée pour remédier aux conséquences de cette perforation ;

9. Considérant, toutefois, qu’indépendamment de la perte d’une chance de refuser l’intervention, le manquement des médecins à leur obligation d’informer le patient des risques courus lors d’une intervention ouvre pour l’intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d’obtenir réparation des troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles ; que l’existence d’un tel préjudice ne se déduit pas de la seule circonstance que le droit du patient d’être informé des risques de l’intervention a été méconnu, la réalité et l’ampleur du préjudice devant être établis par la victime ; que si Mme X n’a pas été informée du risque de perforation de la vessie, elle ne justifie toutefois d’aucun préjudice spécifique résultant de l’impossibilité pour elle d’avoir pu se préparer à la réalisation de ce risque ; que, dans ces conditions, Mme X n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif n’a pas retenu la responsabilité de l’AP-HP sur ce fondement ;

10. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de surseoir à statuer jusqu’à ce que l’AP-HP communique à la requérante des pièces que celle-ci lui aurait réclamées, que Mme X n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

 

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative:

 11. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui n’est pas la partie perdante en la présente instance, la somme que demande Mme X au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

 

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme X est rejetée.