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Cour administrative d’appel de Paris, 23 janvier 2014, n°13PA02158 (Responsabilité médicale - Décision préalable - Faute imputable au service - Absence)

Un patient adresse une demande d’indemnisation à l’AP-HP en raison des préjudices qu’il estime avoir subi lors de son hospitalisation. L’AP-HP reconnaît sa responsabilité et propose une indemnisation à l’intéressé que celui-ci refuse. Le patient saisit ensuite le Tribunal administratif de Paris aux fins de voir condamner l’AP-HP à l’indemniser de ses préjudices. A son décès, l’instance est reprise par sa fille. A la lumière d’une expertise médicale, la demande d’indemnisation est rejetée par le Tribunal et par la Cour d’appel. Dans cet arrêt, la Cour rappelle que le juge administratif n'est pas lié par l'appréciation faite par l'administration en réponse à une demande préalable. De ce fait, et en l’absence de faute imputable au service public hospitalier, la demande subsidiaire de la requérante d’être indemnisée à hauteur de la somme proposée à l’amiable par l’AP-HP est rejetée.

COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE PARIS

N° 13PA02158

 

Mme X.

 

M. Moreau Président

Mme Julliard Rapporteur

Mme Macaud Rapporteur public

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

La Cour administrative d'appel de Paris

(3ème Chambre)

 

Audience du 23 janvier 2014

Lecture du 6 février 2014

 

Vu la requête, enregistrée le 5 juin 2013, présentée pour Mme X. , demeurant …, par Me Bourgogne ; Mme X. demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1014821/6-1 du 8 avril 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la condamnation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser en réparation des préjudices résultant pour son père M. X. , décédé le 2 septembre 2011, de sa prise en charge par le groupe hospitalier Y. le 8 avril 2009, les sommes de 1 500 euros au titre de l'incapacité temporaire totale, de 60 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, de 15 000 euros au titre des souffrances endurées, de 25 000 euros au titre du préjudice d'agrément, de 50 000 euros au titre du préjudice patrimonial exceptionnel et de 50 000 euros au titre du préjudice moral, d'autre part, le cas échéant, à la désignation d'un expert qui aura notamment pour mission de décrire Ies conséquences de l'erreur médicale commise par I'AP-HP, enfin, à la mise à la charge de l'AP-HP le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de condamner 1'AP-HP à lui verser l'ensemble des sommes précitées, en réparation des préjudices résultant pour son père M. X., décédé le 2 septembre 2011, de sa prise en charge par le groupe hospitalier Y. le 8 avril 2009 ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner l'AP-HP à lui verser le montant de l'indemnisation proposée par cette dernière dans le cadre d'un protocole d'accord, soit une somme totale de 49 500 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'AP-HP le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l' article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas pris en compte le fait que l'AP-HP ait spontanément reconnu sa responsabilité en indiquant, dans sa correspondance du 8 juin 2010, que l'infarctus dont avait été victime M. X. lors de son hospitalisation avait été « favorisé par l'absence de traitement anticoagulant » alors qu'il présentait un risque de thrombose et qu'elle ne l'a pas remis en cause dans le cadre de la première instance ;

-le tribunal n'a pas davantage pris en compte le fait que les experts désignés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) d'Ile-de-France a relevé l'existence d'une faute dans la prise en charge de retard de l'infarctus de son père, entre le 1l et le 13 avril 2009 ;

-le cardiologue de M. X.  a attesté que le patient avait toujours mené une vie normale jusqu'à son hospitalisation en avril 2009 ;

- l'incapacité temporaire totale de 5 semaines de M. X. devra être indemnisée par l'octroi d'une somme de 1 500 euros ;

-   le déficit fonctionnel permanent de M. X., qui doit être évalué à 45%, devra être indemnisé par l'octroi d'une somme de 60 000 euros ;

-   les souffrances endurées par M. X., qui ont été évaluées à 5 sur une échelle de 7 par l'AP-HP et à 5,5 par l'expertise ordonnée par la CRCI, devront être indemnisées par l'octroi d'une somme de 15 000 euros ;

- le préjudice d'agrément de M. X., après la perte d'autonomie complète qui est résultée pour lui de la faute médicale alors qu'il menait une vie normale avant son hospitalisation, devra être indemnisé par l'octroi d'une somme de 25 000 euros ;

- le préjudice patrimonial exceptionnel correspondant au placement en liquidation judiciaire de l'entreprise dont M. X. était gérant et associé à la suite de la résiliation du bail commercial pendant son hospitalisation devra être indemnisé par l'octroi d'une somme de 50 000 euros ;

-   le préjudice moral de M. X., qui s'est vu diminué et à la charge complète de sa fille, devra être indemnisé par l'octroi d'une somme de 50 000 euros ;

 

Vu le jugement attaqué ;

 

Vu le mémoire, enregistré le 17 juillet 2013, présenté pour la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Alpes Maritimes par Me Nemer qui conclut à ce que la Cour réserve ses droits jusqu'à ce qu'elle soit en mesure de chiffrer sa créance et à la condamnation de l'AP-HP à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Elle soutient que :

- l'AP-HP n'a pas contesté sa responsabilité et accepté de prendre en charge les préjudices subis par M. X.  ;

- qu'elle n'est pas en mesure à ce jour de chiffrer sa créance mais entend exercer le recours subrogatoire sur les sommes qu'elle a versées à la victime, sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

 

Vu le mémoire en défense, enregistré le 18 septembre 2013, présenté pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) par Me Tsouderos qui conclut au rejet de la requête et des conclusions qui seraient ultérieurement formées par la CPAM des Alpes Maritimes, à titre subsidiaire, de ramener le montant des demandes de Mme X.  à de plus justes proportions et à la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l' article L. 761-1 du code de justice administrative

Elle soutient que :

-   c'est sans commettre d'erreur de droit que les premiers juges ont estimé à la lumière du rapport d'expertise, que l'interruption avant l'intervention chirurgicale et durant trois jours, du traitement anti-thrombotique de M. X., ne constituait pas une faute médicale, nonobstant l'opinion qu'avait pu émettre sur ce point l'administration hospitalière en reconnaissant le principe de sa responsabilité antérieurement au dépôt du rapport d'expertise ;

- l'appelante ne critique pas sérieusement les motifs du jugement attaqué relatifs à l'absence de faute du service public hospitalier dans l'interruption du traitement anti­thrombotique et se borne à faire valoir que le retard du diagnostic et du traitement de l'infarctus constituait un manquement fautif ;

-   si les experts ont effectivement retenu que le délai écoulé entre l'apparition le 11 avril 2009 de douleurs angineuses et la réalisation le 13 avril suivant d'une coronarographie qui a mis en évidence l'infarctus, était constitutif d'un manquement fautif, une telle faute n'avait pas induit de dommages supplémentaires compte tenu de la sévérité de la pathologie cardiaque dont souffrait M. X.;

- la critique du motif surabondant du jugement, tiré de ce que l'espérance de vie de M. X.  ne paraissait pas avoir été particulièrement diminuée par la survenance de l'infarctus d'avril 2009, est inopérante ;

-   à supposer même que le lien entre la survenance de l'infarctus d'avril 2009 et l'aggravation de l'état de santé du patient puisse être mis en évidence, la survenance de cet infarctus ne résulte pas d'une faute médicale ;

-   seul le retard de diagnostic et de traitement de l'infarctus est susceptible d'être regardé comme constitutif d'une faute médicale, laquelle parait être dépourvue de conséquences préjudiciables ;

-   à titre subsidiaire, en ce qui concerne les demandes indemnitaires, le juge n'étant pas lié dans l'évaluation des préjudices par l'appréciation qu'aurait pu émettre l'administration dont la responsabilité est recherchée, la demande de la requérante tendant à ce que la Cour lui alloue une somme qui ne peut être inférieure à celle que l'AP-HP avait spontanément proposé de lui verser, ne peut être accueillie ;

-   l'incapacité temporaire totale de M. X. devra être indemnisée par l'octroi d'une somme maximale de 500 euros ;

-   le déficit fonctionnel permanent de M. X., qui doit être évalué à 35%, devra être indemnisé par l'octroi d'une somme maximale de 40 000 euros ;

-   les souffrances endurées par M. X. devront être indemnisées par l'octroi d'une somme maximale de 9 000 euros ;

-   la preuve de l'existence d'un préjudice d'agrément, tel que l'impossibilité de pratiquer des activités sportives et de loisirs spécifiquement identifiées, n'est pas rapportée ;

-   le lien entre l'intervention chirurgicale et le préjudice patrimonial allégué n'est pas établi ;

-   la demande au titre du préjudice moral de M. X. doit être ramenée à de plus justes proportions, étant précisé que l'indemnisation des souffrances morales se trouve comprise dans la réparation des souffrances endurées ;

 

Vu le mémoire et les pièces complémentaires, enregistrés le 9 janvier 2014, présentés pour Mme X. par Me Bourgogne qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

 

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 janvier 2014 :

-   le rapport de Mme Julliard, premier conseiller,

-   les conclusions de Mme Macaud, rapporteur public,

-  et les observations de Me Tsouderos, avocat de l'AP-HP ;

 

1. Considérant que M. X., né en 1935, était porteur d'une cardiopathie ischémique sévère manifestée dès 1993, qui avait nécessité en 2004 la mise en place d'un pace maker ; qu'en raison de la persistance d'une fraction d'éjection basse, une intervention visant à installer un défibrillateur et à remplacer une sonde fracturée a été réalisée le 9 avril 2009 au service de cardiologie de l'hôpital Y., après cinq jours d'arrêt du traitement anticoagulant à base de Pavlix et d'aspirine dont bénéficiait M. X. ; que le 11 avril suivant, après que le patient eut ressenti une douleur angineuse, un dosage de la troponine a été réalisé, révélant une majoration de ce taux, sans qu'aucun autre examen ne soit effectué, ni aucun traitement particulier mis en place hors la reprise de l'administration du Pavlix le 12 avril ; que le 13 avril, en raison d'une nouvelle douleur thoracique et d'une élévation de la troponine, une coronarographie réalisée en urgence a révélé un infarctus nécessitant la réalisation d'une angioplastie avec pose de stents ; qu'après la stabilisation hémodynamique obtenue vers le 14 mai 2009, M. X. a bénéficié d'un suivi médical au cours duquel il a subi plusieurs hospitalisations liées à des épisodes de décompensation et a présenté une dégradation progressive de son état conduisant à son décès le 2 septembre 2011 ; que le 26 novembre 2009, M. X. avait adressé une demande d'indemnisation à l'AP-HP à raison des préjudices qu'il estimait avoir subi lors de son hospitalisation à l’hôpital Y. en avril 2009 ; que par lettre du 8 juin 2010, l'AP-HP a admis sa responsabilité et a proposé une indemnisation à l'intéressé, qui l'a refusée par courrier du 9 juillet 2010 ; que M. X.  a saisi le Tribunal administratif de Paris le 10 août 2010 à fin de voir condamner l'AP-HP à l'indemniser de ses préjudices ; que sa fille, Mme X., a repris l'instance après le décès de son père, dont elle est l'unique héritière ; que, le 2 décembre 2010, M. X. avait saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) d'Ile-de-France, laquelle a diligenté une expertise médicale qui s'est traduite par un rapport déposé le 23 mai 2012 ; qu'à l'issue de cette procédure, également reprise par Mme X., la CRCI a rejeté la demande d'indemnisation par un avis du 28 juin 2012 ; que Mme X., relève appel du jugement du 8 avril 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a également rejeté sa demande d'indemnisation ;

 

Sur la responsabilité de l'AP-HP :

2.      Considérant qu'à l’appui de son recours contre le jugement attaqué, Mme X. soutient que le tribunal, n'a pas pris en compte le fait que l'AP-HP a spontanément reconnu sa responsabilité en indiquant, dans sa correspondance du 8 juin 2010, que l'infarctus dont avait été victime M. X.  lors de son hospitalisation avait été « favorisé par l'absence de traitement anticoagulant » alors qu'il présentait un risque de thrombose, responsabilité qu'elle n'a pas remis en cause dans le cadre de la première instance ; que, toutefois, ni le tribunal ni la Cour ne sont liés par l'appréciation qu'aurait pu porter l'administration sur le principe de sa responsabilité en dehors de la procédure contentieuse ; qu'il résulte au contraire de l'instruction, en particulier du résumé du séjour de l'intéressé dicté par le Dr Z. le 26 mai 2009, que le traitement anti-thrombotique oral par aspirine et Pavlix que suivait M. X.  a été interrompu cinq jours avant l'intervention sur recommandation du médecin du patient ; qu'en outre, les experts désignés par la CRCI d'Ile-de-France ont estimé que l'interruption de ce traitement et l'administration d'injections de Lovenox venant prévenir les risques hémorragiques avant l'opération du 9 avril 2009, étaient conformes aux règles de l'art et aux données acquises de la science et qu'aucune faute tirée de l'interruption du traitement anticoagulant de M. X. ne pouvait être retenue à l'encontre des équipes de l'hôpital Y.;

3.      Considérant que Mme X.  soutient que le tribunal n'a pas davantage pris en compte le fait que les experts désignés par la CRCI d'lle-de-France ont relevé l'existence d'une faute dans la prise en charge de l'infarctus de son père, entre le 11 et le 13 avril 2009 ; qu'il résulte, en effet, du rapport d'expertise précité que des manquements dans la prise en charge du patient entre le I l et le 13 avril 2009 sont imputables aux équipes de cardiologie de l'hôpital Y., dès lors que le tableau clinique présenté par M. X. le 11 avril 2009, associant douleur angineuse et augmentation de la troponine, permettait de suspecter la survenance d'un infarctus et aurait dû conduire à faire procéder à une coronarographie qui n'a été réalisée que le 13 avril, conduisant à la pose de stents pour arrêter l'accident ischémique en cours ; que, toutefois, il n'est pas établi que ce retard de diagnostic et de soins ait aggravé les conséquences de l'infarctus survenu le 11 avril 2009, ni même que M. X.  ait perdu, du fait de ces manquements, une chance d'échapper aux conséquences de cet accident, compte tenu de la sévérité de sa pathologie cardiaque et du succès de l'opération du 13 avril 2009 ;

4.      Considérant qu'aucune faute du service public hospitalier n'étant établie, celui-ci ne saurait se voir condamné à indemniser les préjudices subis par M. X., ni comme le demande Mme X. à titre subsidiaire, à verser la somme que l'AP-HP lui avait proposée dans le cadre d'un protocole d'accord qu'il a refusé ;

5.      Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise médicale, que Mme X. n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions, ainsi que celles de la CPAM des Alpes Maritimes présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ; que, par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme X.  le versement de la somme que l'AP-HP demande sur le fondement des mêmes dispositions ;

 

                                                                                        
DÉCIDE :

Article 1er :La requête de Mme X.  est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'AP-HP et de la CPAM des Alpes Maritimes présentées sur le fondement de l' article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme X., à la Caisse primaire d'assurance maladie des Alpes Maritimes et à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Copie en sera adressée au ministre des affaires sociales et de la santé.