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Cour administrative d'appel de Paris, 27 mai 2013, n°12PA01405 (Chute d'un patient - Décès - Lien de causalité - Responsabilité pour faute)

Les faits sont les suivants : M. X, alors âgé de 90 ans, a été admis le 17 juillet 2007 au sein de l'hôpital Y à la suite d'un accident vasculaire cérébral ayant entrainé une chute de sa hauteur puis transféré le lendemain au sein du service de gériatrie de l'hôpital Z. Cette hospitalisation a été marquée par divers troubles et une altération profonde de son état de santé général. Le 2 septembre 2007, le patient a été retrouvé dans sa chambre allongé par terre et souffrant d'un traumatisme frontal. Il est finalement décédé le 15 septembre 2007 d'une altération profonde de son état de santé général, sans qu'un diagnostic causal ait pu être mis en évidence.

Imputant le décès de M. X à sa prise en charge au sein de l'hôpital Z, les ayants droits du patient ont saisi cet établissement d'une demande indemnitaire et relèvent appel du jugement du 2 février 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris avait rejeté leur demande.

La cour administrative d'appel de Paris condamne l'hôpital Z : nonobstant l’incertitude relative à l’évolution de santé dégradé du patient et l’indétermination des causes précises du décès qui avaient été retenues par le Tribunal administratif de Paris, elle relève que l’expertise n’a pas exclu la possibilité d’un lien entre la chute de son lit d’hôpital du patient et la dégradation de son état de santé et a estimé que le décès pouvait être la conséquence d’un hématome sous-dural provoqué par cette chute. Elle souligne également que la prescription d’examens neurologiques complémentaires aurait permis de déceler la présence d’un tel hématome et de le traiter. Ces fautes dans la prise en charge médicale du patient sont donc de nature à engager la responsabilité pour faute de l'hôpital Z.

La Cour administrative d'appel de Paris considère ainsi que ces fautes ont compromis les chances du patient d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation et a retenu une perte de chance de 20%.

Vu la requête, enregistrée le 26 mars 2012, présentée pour Mme X...et Y, demeurant..., par Me ... ;

Mme X...et M. Y...demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1018854/6-3 du 2 février 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à leur verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices résultant pour eux du décès de leur époux et père M.X..;

2°) de condamner l'AP-HP à leur verser une indemnité de 30 000 euros à ce titre ;

3°) d'ordonner à l'AP-HP de produire l'entier dossier médical de M. X... ;

4°) de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 3 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 mai 2013 :

- le rapport de Mme Bailly, rapporteur,

- les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public,

- et les observations de Me, pour les consorts X...puis celles de Maitre..., pour l'AP-HP ;

1. Considérant que M. X..., alors âgé de 90 ans, a été admis le 17 juillet 2007 aux urgences de l'hôpital X à la suite d'un accident vasculaire cérébral ayant entrainé une chute de sa hauteur puis transféré le lendemain dans le service de gériatrie de l'hôpital Y ; que cette hospitalisation a été marquée par divers troubles, notamment des poussées de chondrocalcinose, des rétentions urinaires et une altération profonde de l'état général ; que le 2 septembre, il a été retrouvé dans sa chambre, allongé par terre, à 6h du matin, souffrant d'un traumatisme frontal ; que de plus en plus somnolent, il a présenté des troubles de la vigilance et des épisodes de désaturation ; qu'il est finalement décédé dans la nuit du 15 septembre 2007 d'une altération profonde de l'état général, sans qu'un diagnostic causal ait pu être mis en évidence ; qu'imputant le décès de X...à sa prise en charge défectueuse au sein du service hospitalier, M.Y..., son fils et médecin traitant, et Mme X..., son épouse, ont saisi l'AP-HP d'une demande indemnitaire ; qu'ils relèvent régulièrement appel du jugement du 2 février 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande ;

Sur les conclusions aux fins de communication de l'entier dossier médical de M.X :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1111-7 alinéa 6 du code de la santé publique : " En cas de décès du malade, l'accès des ayants-droit à son dossier médical s'effectue dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article L. 1110-4. " et qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 1110-4 du même code : " Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaitre les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès. " ;

3. Considérant qu'en application de ces dispositions, l'AP-HP a communiqué l'entier dossier médical de M.X.dans le cadre de la procédure d'expertise, précédemment ordonnée par ordonnance du 30 mars 2009 du juge des référés du Tribunal administratif de Paris, à la demande des consorts X... ; que ces derniers ont dès lors pu y avoir accès dans ce cadre ; que la demande, qui ne présente donc pas de caractère nécessaire, doit par suite être rejetée ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les fautes retenues par les premiers juges :

4. Considérant que le Tribunal administratif de Paris a considéré, par le jugement attaqué du 2 février 2012, que le défaut de pose de barrières latérales de sécurité sur le lit de  M. X...constituait, compte tenu de l'état du patient, une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service et que les examens et les soins apportés à l'intéressé, après sa chute du lit, dans la nuit du 2 septembre 2007, se caractérisaient par une insuffisance fautive dans la prise en charge médicale de celui-ci, dès lors qu'aucun examen cérébral approfondi n'avait été pratiqué ; que l'AP-HP conteste cette analyse ;

5. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que M. X..a été admis dans le service de gériatrie de l'hôpital Yà la suite d'une chute survenue à son domicile, et en raison d'une dégradation de son état général ; qu'il est constant par ailleurs qu'au domicile familial, précédemment à son admission, un système de sécurité avait été installé sur le lit de l'intéressé et qu'un épais tapis avait également été disposé sur le sol pour limiter les conséquences en cas de chute ; que même si M. X...était calme, il avait été noté à l'admission la présence de troubles majeurs de l'équilibre ; que trois jours avant l'hospitalisation, avait été constatée la perte de la marche, associée à une asthénie et une anorexie ; que dans ces conditions, l'état de l'intéressé, s'il n'appelait pas une surveillance constante, nécessitait à tout le moins la pose de barrières de sécurité sur le lit pour prévenir tout risque de chute ; que, contrairement à ce que soutient l'AP-HP, ce défaut est constitutif d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité pour faute de l'AP-HP ;

6. Considérant, d'autre part, que dans les suites de la chute du lit avec traumatisme crânien, aucun scanner cérébral n'a été réalisé, et ce, alors qu'une aggravation de l'état neurologique secondaire du patient avait été constatée et qu'à partir du 13 septembre, plusieurs épisodes de désaturation avaient été relevés ; que, contrairement à ce que soutient l'AP-HP, l'absence de réalisation d'examens complémentaires caractérise également, compte tenu de la dégradation de l'état général du patient, une faute dans la prise en charge médicale du patient, de nature à engager la responsabilité pour faute de l'AP-HP ;

En ce qui concerne le lien de causalité :

7. Considérant que le Tribunal administratif de Paris a, pour rejeter la demande indemnitaire des consorts X..., considéré qu'il résultait de l'instruction qu'il était impossible d'identifier la cause du décès de M.X.., ce qui ne permettait pas d'établir un lien de causalité direct et certain entre sa chute le 2 septembre 2007 et son décès le 16 septembre suivant ;

8. Considérant cependant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que l'expert n'a pas exclu la possibilité d'un lien entre la chute de M. X..de son lit d'hôpital et la dégradation de son état de santé à compter du 13 septembre, le décès pouvant être, selon lui, la conséquence d'un hématome sous-dural provoqué par cette chute ; qu'il a également relevé que la prescription d'examens neurologiques complémentaires aurait permis de déceler la présence d'un tel hématome et de le traiter ; qu'ainsi, nonobstant l'incertitude relative à l'évolution de l'état de santé dégradé du patient et l'indétermination des causes précises de son décès, les fautes précédemment retenues ont compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation  ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts X...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 2 février 2012, le Tribunal administratif de Paris a estimé que la responsabilité de l'AP-HP n'était pas engagée ;

Sur le préjudice des consorts X... :

10. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; qu'eu égard à la situation très compromise sur le plan vital de M.X..., alors âgé de 90 ans et dont l'hospitalisation depuis le 17 juillet 2007 avait été émaillée de plusieurs poussées de chondrocalcinose, de plusieurs rétentions urinaires et d'une altération profonde de l'état général, il y a lieu d'évaluer l'ampleur de la perte de chance résultant des deux fautes précédemment caractérisées à 20% et de mettre à la charge de l'AP-HP la réparation de cette fraction du dommage ;

11. Considérant, en premier lieu, qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et du préjudice d'affection de Mme X..., épouse de l'intéressé et de M. Y.., fils de celui-ci, résidant au domicile de ses parents, en les évaluant respectivement aux sommes de 20 000 euros et de 15 000 euros ; qu'en tenant compte de la fraction précitée, la réparation incombant à l'AP-HP doit être fixée aux sommes respectives de 4 000 euros et 3 000 euros ;

12. Considérant, en second lieu, que le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient affectés au foyer, déduction faite, le cas échéant, des prestations reçues en compensation de ce décès ; qu'en tenant compte d'une part d'autoconsommation de 40%, seule une part égale à 60% des revenus de la victime était affectée au foyer ; qu'il est constant que Mme X...perçoit une pension de réversion du chef de son mari décédé précisément égale à 60% des revenus que percevait celui-ci ; qu'ainsi elle ne démontre pas la réalité du préjudice économique subi du fait du décès ;

13. Considérant qu'il suit de là que l'AP-HP doit être condamnée à verser à Mme X..la somme de 4 000 euros et à M. Y..la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice résultant du décès de M. X.. ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des consorts X.., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par

l'AP-HP et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les consorts X..et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris versera à Mme X.la somme de 4 000 euros et à M. Y..la somme de 3 000 euros.

Article 2 : L'AP-HP versera aux consorts X...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de l'AP-HP tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 2 février 2012 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.