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Cour administrative d’appel de Versailles, 6 mai 2014, n° 11VE01594 (Appel d'offres - Spécifications techniques – Exigence non justifiée par les besoins - Annulation du marché)

La commune  X. a lancé le 20 octobre 2009 une procédure d'appel d'offres ouvert pour la passation d'un marché de construction d'une halle des sports couverte au stade Léo Lagrange. Le marché a été attribué, le 1er décembre 2009, à un groupement conjoint composé des sociétés C. et B.. La société A., candidate à l'attribution de ce marché, a saisi le tribunal administratif de Montreuil lequel a, par un jugement du 29 mars 2011, rejeté sa demande d'annulation du contrat ainsi que d'indemnisation de son manque à gagner du fait de son éviction. C’est dans ces circonstances que l’appel a été interjeté. En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Versailles a relevé, d’une part, que « les prescriptions des articles 4.2 et 4.3 du CCTP […] correspondent à la technique faisant l'objet [d’un brevet] dont seule la société B. était détentrice » et, d’autre part, qu'il résulte du tableau de réception des offres remis par la commune X. que seule la société B. a déposé un dossier de candidature. Dans ces conditions, la spécification technique en cause a eu pour effet de restreindre la concurrence et la commune X. n’a pas démontré que ses besoins n'auraient pas pu être satisfaits par des prescriptions moins restrictives eu égard à l'objet du marché concerné. Par conséquent, les restrictions apportées à la concurrence ont porté atteinte au principe d'égalité entre les candidats. La cour en a déduit que le contrat conclu devait être annulé.

 

Cour Administrative d'Appel de Versailles

N° 11VE01594   

5ème chambre

Mme COLOMBANI, président
M. Stéphane DIÉMERT, rapporteur
Mme BESSON-LEDEY, rapporteur public
PLATEAUX, avocat

lecture du mardi 6 mai 2014

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu, avec les mémoires et pièces qui y sont visés, l'arrêt avant dire droit du 18 juillet 2013 par lequel la Cour de céans a sollicité de M. C...B..., expert en génie civil, un avis technique sur le fondement de l'article R. 625-2 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 avril 2014 :

- le rapport de M. Le Gars, président assesseur,

- les conclusions de Mme Besson-Ledey, rapporteur public,

- les observations de MeE..., pour la société A.,

- les observations de MeD..., pour les sociétés B. et C.,

- et les observations de Me A...pour la commune X. ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la commune de X. a lancé le 20 octobre 2009 une procédure d'appel d'offres ouvert pour la passation d'un marché de construction d'une halle des sports couverte au stade Léo Lagrange ; que le marché a été attribué le 1er décembre 2009 à un groupement conjoint composé des sociétés C. et B. ; que, saisi par la société A., candidate à l'attribution de ce marché, le Tribunal administratif de Montreuil a, par un jugement du 29 mars 2011, rejeté sa demande d'annulation du contrat ainsi que d'indemnisation de son manque à gagner du fait de son éviction ;

2. Considérant que, par un arrêt du 18 juillet 2013, la Cour de céans a écarté le moyen tiré de l'irrégularité du jugement et la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de la société A. ; qu'elle a également rejeté les conclusions à fin d'indemnisation ; que, s'agissant des conclusions à fin d'annulation du marché litigieux, elle a, d'une part, écarté les moyens tirés de l'incompétence du signataire du marché et de ce que le pouvoir adjudicateur ne lui aurait pas, en temps utile, transmis les plans auxquels renvoie le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) et, d'autre part, avant de statuer sur le surplus des conclusions de la requête et afin d'apprécier la portée du moyen tiré de la méconnaissance de l'article 6 du code des marchés publics, ordonné, avant dire droit, un avis technique conformément à l'article R. 625-2 du code de justice administrative ;

3. Considérant que l'avis technique mentionné au paragraphe 2 a été requis aux fins de préciser, d'une part, si les dispositions du CCTP applicable au marché litigieux ont pour effet de rendre impossible la fixation d'une toiture en textile par des profilés mécaniques et de la mettre en tension sans recourir à cette fin à une technique dont le brevet appartient à la société B. et si des solutions alternatives sont envisageables, d'autre part, si les dispositions du même CCTP, en tant qu'elles imposent un système de fixation qui, " non visible et discret ", et ne devant nécessiter aucune maintenance, proscrivent la fixation des toiles par des cordes, des drisses, des sandows ou tout système assimilé sans garantie de vieillissement similaire, et excèdent les besoins inhérents à la réalisation de l'ouvrage et, enfin, si, et dans quelle mesure, la référence aux recommandations à usage des professionnels figurant au CCTP a pu entacher de contradictions les spécifications techniques du marché, eu égard par ailleurs aux autres dispositions dudit cahier ; que le consultant a déposé son rapport le 7 novembre 2013 ;

Sur la validité du marché :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 du code des marchés publics : " IV. - Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d'un mode ou procédé de fabrication particulier ou d'une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu'une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. / Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l'objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle et à la condition qu'elle soit accompagnée des termes : " ou équivalent ". " ; que le CCTP prescrivait notamment en son article 4.2 que " la couverture textile est mise en forme par des arcs en acier galvanisé situés entre les portiques " et en son article 4.3 que " la toile sera fixée par des profilés mécaniques inoxydables (acier inox type 316 L ou aluminium anodisé). Le système de fixation sera non visible et discret. Le système de fixation ne nécessitera aucune maintenance (...). Le système de mise en tension permettra de régler parfaitement la tension dans les membranes et de procéder facilement à une remise en tension " ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société B. détenait, à l'époque de la rédaction du CCTP, un brevet relatif au réglage du système de mise en tension des membranes de couverture de bâtiments ; que les prescriptions des articles 4.2 et 4.3 du CCTP, rappelées au paragraphe ci-dessus, correspondent à la technique faisant l'objet du brevet précité et dont seule la société B. était détentrice ; qu'en effet, ainsi que le relève le consultant dans son avis technique déposé le 7 novembre 2013, ces prescriptions techniques, en particulier l'article 4.3 du CCTP, excluaient tout système de fixation des toiles par cordes, drisses, sandows ou tout système assimilé, lequel nécessite une maintenance et revêt un caractère visible quand bien même fut-il discret et ne pouvaient pas être satisfaites sans recourir à la technique par profilés métalliques dont le brevet appartenait à la société B. ; que si la société B. soutient, contrairement à cet avis, ne pas avoir été la seule à maîtriser la technique de la couverture textile par profilés métalliques et à pouvoir présenter une offre compatible avec les prescriptions du CCTP, et si elle produit à l'appui de ses allégations des photographies d'ouvrages réalisés par divers concurrents, elle n'apporte toutefois aucun élément permettant d'apprécier les similitudes techniques des dispositifs utilisés par ses concurrents à l'époque de la rédaction du CCTP, en particulier en ce qui concerne leur aptitude à permettre le réglage des toiles ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin de recourir à une mesure d'expertise, elle n'est pas fondée à soutenir que les conclusions de l'avis technique devraient être écartées ; qu'il résulte d'ailleurs du tableau de réception des offres remis par la commune X. que seule la société B. a déposé un dossier de candidature ; que, dans ces conditions, la spécification technique relative aux profilés métalliques a eu pour effet de restreindre la concurrence ; que la commune X. ne démontre pas que ses besoins n'auraient pas pu être satisfaits par des prescriptions moins restrictives eu égard à l'objet du marché concerné ; que, par suite, les restrictions apportées à la concurrence, qui ont eu pour effet de favoriser la société B. et d'éliminer les autres opérateurs, ont porté atteinte au principe d'égalité entre les candidats ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, aux paragraphes 4 et 5, que la commune X. a méconnu les exigences de mise en concurrence énoncées à l'article 6 du code des marchés publics ;

Sur les conséquences de l'illégalité du marché :

7. Considérant qu'il appartient au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences ; qu'il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d'accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l'annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits des cocontractants, d'annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat ;

8. Considérant qu'eu égard à la gravité de l'illégalité commise et à ses conséquences sur le choix de l'attributaire et alors que, en dépit des circonstances invoquées par la commune X. tirées de ce que le marché est entièrement exécuté et que l'ouvrage est en service et affecté à l'usage du public, il ne résulte pas de l'instruction que l'annulation du contrat constituerait une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits des contractants, il y a lieu de prononcer l'annulation de ce marché ;

Sur les conclusions à fin d'injonction et sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité :

9. Considérant que l'annulation du contrat par le présent arrêt n'implique pas nécessairement que le juge ordonne la démolition de l'ouvrage réalisé en application du contrat ; qu'en l'espèce, alors que l'ouvrage public est terminé et effectivement affecté à un service public, sa démolition porterait une atteinte excessive à l'intérêt général ; qu'il en résulte que les conclusions tendant à obtenir la démolition de l'ouvrage ne peuvent qu'être rejetées ; que, par voie de conséquence, doivent être également rejetées les conclusions subséquentes de la société A. tendant à ce qu'un titre exécutoire soit émis par la commune X. à l'encontre de la société B. en vue de la restitution par cette dernière de la totalité des sommes perçues pour l'exécution du marché ;

Sur les dépens :

10. Considérant que les frais de l'avis technique taxés et liquidés par l'ordonnance du 5 décembre 2013 du président de la Cour administrative d'appel de Versailles à la somme de 2 257,83 euros doivent être mis à la charge de la commune X. ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant, en premier lieu, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la Cour fasse bénéficier la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais exposés à l'occasion du litige soumis au juge et non compris dans les dépens ; que, dès lors, les conclusions de la commune X. et de la société B. doivent être rejetées ;

12. Considérant, en second lieu, que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner la commune X. à verser à la société A. une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions tendant aux mêmes fins présentées par la société A. à l'encontre de la société B. et de la société C. ;

 

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1000737 du 29 mars 2011 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la société A. tendant à l'annulation du contrat.

Article 2 : Le contrat par lequel la commune X. a confié le marché de construction d'une halle des sports couverte au stade Léo Lagrange au groupement conjoint composé de la société B. et de la société C. est annulé.

Article 3 : Les frais de l'avis technique, taxés et liquidés par l'ordonnance du 5 décembre 2013 du président de la Cour administrative d'appel de Versailles à la somme de 2 257,83 euros, sont mis à la charge de la commune X..

Article 4 : La commune X. versera à la société A. une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.