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Cour d’appel de Versailles, 4 février 2009, n° 08/08775 (Santé publique - environnement - antenne-relais de téléphonie mobile)

Par cet arrêt, la cour d’appel de Versailles a rendu un arrêt confirmatif du jugement rendu le 18 septembre 2008 par le tribunal de grande instance de Nanterre contre Bouygues Telecom donnant raison à trois couples de riverains qui avaient attaqué en janvier 2007 l’implantation deux ans plus tôt d’une antenne-relais de 19 mètres chez l’un de leurs voisins. En effet, la cour a confirmé le démontage d’une antenne-relais de téléphonie mobile dans la banlieue lyonnaise. Elle relève que si la réalisation reste hypothétique, il ressort de la lecture des contributions et publications scientifiques produites aux débats et des positions législatives divergentes entre les pays, que l’incertitude sur l’innocuité d’une exposition aux ondes émises par les antennes relais demeure et qu’elle peut être qualifiée de sérieuse et raisonnable.

COUR D'APPEL DE VERSAILLES.
14ème chambre.

ARRET CONTRADICTOIRE.

No-rôle : 08/08775.

4 février 2009.

DANS L'AFFAIRE ENTRE :

S.A. BOUYGUES TELECOM [...]

Représentée par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD

Assistée de Me Louis DESCARS et Me Christophe LAPP avocats

APPELANT

Monsieur Eric L [...]

Madame Florence L [...]

Monsieur Thierry G [...]

Madame Laure G [...]

Monsieur Jean-Marie LA [...]

Madame Catherine LA [...]

Représentés par la SCP BOMMART MINAULT

Assistés de Me Richard FORGET avocat

INTIMES

FAITS ET PROCEDURE,

Par arrêté ministériel du 8 décembre 1994, la société BOUYGUES TÉLÉCOM a obtenu l'autorisation d'établir, sur le territoire national, un réseau radioélectrique ouvert au public, en vue de l'exploitation d'un service de communication personnelle à la norme "DCS 1800", aujourd'hui dénommée "GSM".

Cet arrêté a été ultérieurement modifié par d'autres règlements administratifs qui, tout en maintenant les conditions de permanence du réseau et des services et l'obligation d'acheminer gratuitement les appels d'urgence, ont notamment aggravé les obligations de couverture du territoire en imposant â la société BOUYGUES TÉLÉCOM d'assurer au 1er juillet 2000 la couverture de zones, géographiques représentant au minimum 90 % de la population métropolitaine.

Par arrêté en date du 3 décembre 2002, la société BOUYGUES TÉLÉCOM a été autorisée à exploiter un réseau radioélectrique ouvert au public, en vue de l'exploitation d'un service de communications personnelles à la norme UMTS.

Afin que son réseau couvre une partie de la commune de Tassin La Demi-Lune et de la commune de Charbonnières (situées dans le département du Rhône), la société BOUYGUES TÉLÉCOM a implanté sur le territoire de la commune de Tassin La Demi-Lune sur la parcelle cadastrée n° 133 située 14 chemin du Gouttet, appartenant à 1 entreprise paysagiste LIGOT, une station de radiotéléphonie mobile composée d'un pylône en béton prenant la forme d'un arbre, de 19 mètres de haut, support d'antennes et d'armoires techniques.

Monsieur et Madame L habitent depuis juin 2003 à TASSIN LA DEMI LUNE au 10 chemin du Gouttet avec leurs deux enfants, leur maison est située sur la parcelle n°135 du plan cadastral entourée par les terrains des lots n°134, 133 et 146.

Monsieur et Madame LA habitent 24 chemin du Gouttet depuis septembre 1997 avec leurs six enfants, leur maison est située sur la parcelle n° 221 du plan cadastral.

Monsieur et Madame G habitent avec leurs trois enfants 21 chemin du Gouttet, sur la parcelle n° 127 située en face de celle des époux LA.

Compte tenu de la hauteur du pylône, la société BOUYGUES TÉLÉCOM a présenté à la Mairie de Tassin La Demi-Lune un dossier de déclaration de travaux exemptés de permis de construire, conformément aux dispositions de l'article R 422-2 e) du code de l'urbanisme.

Par arrêté du 13 décembre 2004, le maire de la commune a autorisé la réalisation des travaux, objet de la déclaration ; les travaux de construction de l'installation ont été réalisés à la fin de l'année 2005 ; à l'heure actuelle, le site couvre une zone de 2 km2.

Après avoir dans un premier temps saisi le tribunal administratif de Lyon de deux requêtes tendant à voir obtenir d'une part, la suspension de l'arrêté du 13 décembre 2004 autorisant l'édification de la station de radiotéléphonie mobile et d'autre part, l'annulation pure et simple de cet arrêté, Monsieur et Madame L, qui résident à proximité de l'installation, et auxquels se sont joints Monsieur et Madame G ainsi que Monsieur et Madame LA, ont, par acte du 18 janvier 2007, assigné la société BOUYGUES TÉLÉCOM en vue d'obtenir la condamnation de la société BOUYGUES TÉLÉCOM à enlever les installations litigieuses, sous astreinte de 500 € par jour de retard et à la voir condamner au paiement de dommages et intérêts pour trouble anormal de voisinage et dépréciation de leur maison.

Par jugement du 18 septembre 2008, revêtu de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Nanterre a condamné la société BOUYGUES TÉLÉCOM à :

- enlever les installations d'émissions-réceptions, sous astreinte de 100 € par jour de retard à l'issue d'une période de quatre mois commençant à courir le lendemain de la signification de la décision ;

- payer les sommes de 3 000 € respectivement à Monsieur et Madame Eric L, à Monsieur et Madame Thierry G et à Monsieur et Madame Jean-Marie LA, à titre de dommages et intérêts pour leur exposition au risque sanitaire.

Il a débouté les requérants de leurs demandes au titre de la dépréciation de leur maison et du préjudice visuel et condamné la société BOUYGUES TÉLÉCOM au paiement de la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Le tribunal a estimé, s'agissant du risque sanitaire, que :

- si la discussion scientifique reste ouverte, la société BOUYGUES TÉLÉCOM ne démontre dans le cas d'espèce, ni l'absence de risque, ni le respect d'un quelconque principe de précaution puisque, à l'exception de deux décisions administratives insuffisantes pour ce faire, aucune des pièces produites ne concerne spécifiquement l'installation en cause ;

- exposer son voisin contre son gré à un risque certain et non pas hypothétique comme prétendu en défense, constitue un trouble de voisinage, dont le caractère anormal tient au fait qu'il porte sur la santé humaine ;

- écarter le risque dans le cas présent ne peut s'obtenir que par l'enlèvement des installations.

Il a relevé, s'agissant du trouble visuel, que celui-ci n'est pas établi, à plus forte raison son caractère anormal, de telle sorte que les consorts L doivent être déboutés de leurs demandes à ce titre et qu'il n'y a pas lieu d'accueillir les prétentions des requérants au titre de la dépréciation de leurs maisons.

La société BOUYGUES TÉLÉCOM a interjeté appel de ce jugement.

Autorisée par ordonnance du 21 novembre 2008 à assigner à jour fixe les consorts L, G et LA pour l'audience du 7 janvier 2009, la société BOUYGUES TÉLÉCOM fait grief à la décision entreprise d'avoir commis une erreur de fait en considérant que l'existence d'un risque sanitaire certain serait établie, alors que les études scientifiques ne retiennent pas l'hypothèse d'un risque pour les populations vivant à proximité des stations de bases et que les scientifiques, quand ils font référence au principe de précaution, rappellent l'absence de risque pour ce qui concerne les stations-relais.

Elle relève que les études dont les premiers juges font état sont contestables et contestées et en outre inopérantes, dans la mesure où elles portent sur l'usage des téléphones portables et non sur les stations-relais, objet du présent litige.

Elle observe qu'en jugeant qu'elle ne produisait aucune pièce "spécifique" pour démontrer l'absence de risque, alors que les demandeurs ne se plaignaient d'aucune pathologie, le tribunal a renversé la charge de la preuve.

Elle soutient que le risque invoqué par les intimés ne peut constituer un préjudice susceptible d'être réparé dans le cadre de la théorie du trouble anormal de voisinage, alors que ce risque n'est en l'espèce qu'hypothétique.

Elle précise que l'incertitude, quant à la réalisation du risque, affecte non seulement le préjudice, mais encore le lien de causalité entre ce préjudice éventuel et son activité.

Par voie de conséquence, elle demande à la cour d'appel d'infirmer la décision entreprise, et, statuant à nouveau, de la décharger des condamnations prononcées à son encontre, de débouter les consorts L, G et LA de toutes leurs prétentions ; et les condamner à lui verser chacun 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Monsieur et Madame L, Monsieur et Madame LA, et Monsieur et Madame G, intimés, concluent à la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a ordonné le démontage des installations, sollicitant, par appel incident que l'astreinte soit portée à 500 euros par jour de retard et que la société BOUYGUES TÉLÉCOM, soit condamnée à verser au titre du trouble anormal de voisinage, pour la réparation du préjudice passé lié à l'exposition à un risque sanitaire la somme de 10 000 € à Monsieur et Madame L, à Monsieur et Madame LA et à Monsieur et Madame G et en outre, à verser à l'ensemble des requérants une somme globale de 7 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils rappellent que la mise en œuvre de la responsabilité de celui qui trouble anormalement son voisin n'est pas conditionnée par la démonstration d'une faute, mais par celle de l'existence d'un trouble anormal imputable au défendeur.

En l'espèce, ils font valoir que du fait de l'implantation très proche de leur maison d'habitation ils sont, eux-mêmes et leurs enfants, exposés à un risque sanitaire qui crée un déséquilibre qui doit être réparé par la suppression du danger et l'indemnisation du préjudice causé.

Ils exposent que la controverse scientifique entourant les effets des ondes électromagnétiques liées à la téléphonie mobile dont l'innocuité est loin d'être établie, amplifie le sentiment d'angoisse créé par la proximité de l'antenne relais, sous le faisceau de laquelle ils se trouvent, car le risque porte sur la santé et qu'il résulte de nombreuses études scientifiques nationales et internationales connues des demandeurs que les pathologies liées à l'exposition à des ondes électromagnétiques de type téléphonie mobile peuvent être extrêmement graves, comme des cancers.

Se référant aux nombreuses publications de rapports scientifiques intervenues depuis que les normes en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques ont été fixées par le décret n° 2002- 775 du 3 mai 2002, selon proposition faite en 1998 par la commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP) reprise dans la recommandation du Conseil de l'Union européenne 1999/ 519/CE du 12 juillet 1999, ils opposent aux prétentions de la société BOUYGUES TÉLÉCOM que ces normes sont désormais considérées comme obsolètes, qu'elles ont été établies au regard des seuls effets avérés, ce qui exclut l'application du principe de précaution qui trouve justement à s'appliquer lorsqu'il existe une incertitude scientifique.

Ils en concluent que le seul respect des limites fixées ne permet pas d'écarter le risque engendré notamment par les effets non-thermiques des champs électromagnétiques.

Ils dénient que la distinction des ondes émises par lès téléphones portables de celles émises par les stations relais soit pertinente et soulignent qu'il est avéré que ces dernières émettent des micro-ondes d'extrêmement basse fréquence dite ELF, ce qui doit entraîner leur classement en catégorie 2B selon la classification de l'OMS dont la nocivité potentielle est reconnue puisque que cette catégorie "peut être cancérogène pour l'homme".

Ils font état, outre des préconisations contenues dans certains appels émanant de médecins faisant état de l'urgence de fixer de nouvelles normes, de l'adoption par différents pays membres de l'Union européenne de normes inférieures à celles retenues par la France ou encore aux chartes imposées par certaines municipalités comme Paris ou Besançon fixant des seuils limites d'émission très inférieurs à ceux retenus par le décret.

Ils relèvent que la situation qui leur est imposée par la présence voisine d'une antenne-relais constitue une violation du droit de chacun à "vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé" et que la force préventive de la responsabilité civile qui n'est pas discutée dans le droit de l'environnement, dans le droit social reconnaissant un droit de retrait au salarié, ainsi qu'en matière de concurrence déloyale doit "permettre de sanctionner un comportement en fonction des risques de préjudice futur qu'il fait courir".

Ainsi, ils font valoir qu'imposer d'attendre que le risque soit réalisé, impliquerait la pérennisation d'un risque anormal ou illicite et ferait peser sur la victime l'aléa probatoire.

Ils précisent encore que si la réalisation du risque est hypothétique, la certitude de son existence, qui s'apprécie à la lumière de la controverse scientifique, suffit à créer un préjudice moral réparable chez la victime.

Ils sollicitent réparation des préjudices liés à l'exposition à un risque sanitaire, le préjudice moral qui est de nature à altérer leur situation personnelle et le préjudice patrimonial qui est né de la dépréciation de leur bien immobilier résultant de la présence même de l'antenne relais sur une propriété voisine des leurs et plus spécialement causé aux consorts L, et qui a eu pour effet de déprécier la valeur de leur bien immobilier.

MOTIFS DE L'ARRÊT :

Considérant que l'appel interjeté le 19 novembre 2008 par la société BOUYGUES TELECOM a fait l'objet d'un enregistrement sous le numéro 08-8775 préalable à l'autorisation d'assigner à jour fixé ayant abouti à la délivrance et au dépôt d'une assignation le 27 novembre 2008 enregistrée sous le numéro 08- 9058 ;

Que s'agissant d'une seule et même instance, il y a lieu d'ordonner la jonction des dossiers répertoriés sous les numéros 08- 9058 et 08- 8775 ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que l'installation en cause fonctionne dans le respect des normes, définies par le décret du 3 mai 2002, que le relevé effectué le 1er juin 2006 par le docteur Pierre LE RUZ à la demande de Monsieur et Madame L fait apparaître que les champs électriques efficaces (RMS) exprimés en volts par mètre (V/m) entre 19 heures et 19 heures 45 sont de 0,3 V/m à 1, 8 V/m;

Qu'il est ainsi établi que les intimés qui vivent au plus proche de l'antenne implantée sur la commune de Tassin la Demi Lune, ne sont pas exposés à un risque lié aux effets thermiques des ondes électromagnétiques ;

Considérant qu'un trouble anormal de voisinage étant allégué, le respect des normes, la licéité de l'activité, son utilité pour la collectivité, ne suffisent pas à eux seuls à écarter l'existence d'un trouble ;

Considérant qu'en l'espèce, les demandeurs en première instance font plus particulièrement état d'un risque sanitaire induit par une exposition aux effets non thermiques des ondes électromagnétiques et notamment à l'exposition aux ondes comportant des fréquences de récurrence d'extrême basse fréquence dites ELF produites de manière discontinue par brèves saccades, dite puisées ;

Considérant que selon l'arrêt du 11 juin 2004 rendu par le Conseil d'Etat, il résulte d'un rapport remis au gouvernement en 2001 qu'en l'état des connaissances scientifiques, il n'est pas établi que les ondes électromagnétiques auraient des effets non thermiques dangereux pour la santé publique ;

Considérant que le rapport auquel il est fait référence, (dit rapport ZMIROU) prend en considération, que :

- "les seuls effets sanitaires délétères" qui soient scientifiquement établis, sont, dans la gamme des RF, "certains effets dus à réchauffement",

- il existe, selon les données scientifiques actuelles des effets biologiques variés pour des niveaux d'énergie qui n'induisent pas une hausse de température,

- le défaut de connaissance sur ces effets non thermiques ne permet pas que les effets sanitaires soient identifiés et que puissent être déterminées des nouvelles valeurs garantissant une réduction, voire une élimination de ce risque pour la santé dont la démonstration n'est pas faite ; qu'il formule des préconisations s'inspirant du principe de précaution, soulignant, néanmoins, qu'il ne valide pas l'hypothèse d'un risque sanitaire ;

Qu'ainsi, outre les mesures d'évitement prudent concernant l'usage des téléphones mobiles, ce rapport préconisait notamment la poursuite d'un objectif de réduction au minimum du niveau d'exposition du public et, en particulier, que les personnes potentiellement sensibles -enfants et malades- ne soient pas atteintes directement par le faisceau d'une antenne venant d'une station située à moins de 100 mètres ;

Que le guide publié en 2001 par la commission internationale ICNIRP pour l'établissement de limites d'exposition aux champs électriques, magnétiques et électromagnétiques, auquel se réfère l'ensemble des acteurs et dont il est fait état dans la plupart des réponses ministérielles aux questions des parlementaires sur l'exposition à un risque sanitaire des voisins d'une station relais, précise que deux catégories de valeurs limites sont présentées : "les restrictions de base : valeurs limites d'exposition aux champs électriques, magnétiques ou électromagnétiques qui sont établies directement à partir d'effets sur la santé avérés et " les niveaux de référence" dont "le respect garantit le respect de la restriction de base";

Que ce guide précise n'être "fondé que sur des effets immédiats sur la santé, tels que stimulation, des muscles ou des nerfs périphériques, les chocs et brûlures provoqués par le contact avec des objets conducteurs ou encore l'élévation de température des tissus sous l'effet de l'absorption d'énergie";

Qu'il mentionne "en ce qui concerne d'éventuels effets à long terme tels qu'une élévation du risque de cancer", que, "l'ICNIRP a conclu que les données scientifiques étaient insuffisantes pour servir de base à l'établissement de valeurs limites d'exposition" mentionnant pourtant "des recherches épidémiologiques qui ont apporté des éléments en faveur d'une association entre une exposition - à des densités de flux magnétiques très inférieures aux valeurs recommandées dans le présente guide, pour des champs de 50/60 Hz- et effets cancérigènes" ;

Considérant que la préconisation en 2001 de mesures destinées à parer à un éventuel risque non encore prouvé, en raison de l'absence de résultats scientifiques, laissait la discussion totalement ouverte en ce qui concerne l'existence des effets non thermiques des ondes électromagnétiques et que le décret de 2002 exerce une contrainte permettant d'éviter les effets sanitaires délétères "scientifiquement établis", soit dans la gamme des radio-fréquences, "certains effets dus à réchauffement";

Considérant que depuis cette date, dont l'ancienneté est à mesurer à l'échelle de l'essor de la téléphonie mobile, compte tenu de la floraison sur le territoire national et dans les endroits les plus reculés de stations relais multiples du nombre d'opérateurs concurrents soumis à des obligations réglementaires pour couvrir la totalité du territoire, deux avis ont été publiés en 2003 et 2005 par l'agence française de sécurité sanitaire environnementale, fondés sur la consultation de diverses études scientifiques concluant, pour le premier, qu'il "n'est pas possible d'attribuer un effet sanitaire aux stations de base" et constatant, pour le second, "qu'aucune donnée scientifique nouvelle publiée depuis son précédent rapport d'expertise ne révèle un risque pour la santé lié au rayonnement émis par les stations de base de téléphonie mobile" ;

Que la relative pertinence de ces avis est à apprécier à la lumière de l'évaluation des méthodes de travail scientifique de l'AFSSE résultant du constat fait en décembre 2005 par l'inspection générale des affaires sociales ;

Considérant encore que si, l'Organisation Mondiale de la Santé dans un "aide-mémoire" .publié en mai 2006 .sous le numéro 304, relatif aux effets des stations de base (pièce n°21) retient que : " Compte tenu des très faibles niveaux d'exposition et des résultats des travaux de recherche obtenus à ce jour, il n'existe aucun élément scientifique probant confirmant d'éventuels effets nocifs des stations de base et des réseaux sans fil pour la santé", elle indique néanmoins dans ce même aide-mémoire: "Si l'on peut s'attendre à ce que l'exposition aux champs RF des stations de base et des réseaux sans fil n'ait aucun effet sur la santé, l'OMS préconise néanmoins des recherches pour déterminer si l'exposition plus intense aux radiofréquences des téléphones mobiles pourrait avoir des effets sur la santé";

Considérant que la confirmation de l'existence d'effets nocifs pour la santé exclut nécessairement l'existence d'un risque puisqu'elle correspond à la constatation d'une atteinte à la santé qui, en l'espèce, confinerait à une catastrophe sanitaire ;

Considérant d'autre part, que par diverses communications ou interpellations comme les appels de Salzbourg en 2000, de Fribourg en 2002 , de Bamberg en 2004, d'Helsinki en 2005 des médecins ont manifesté et rendu publique leur inquiétude au regard des pathologies développées par certains de leurs patients riverains d'antennes relais ;

Qu'en 2006, la résolution de Benvenuto souligne que " des effets biologiques peuvent être provoqués par l'exposition tant aux extrêmement basses fréquences (ELF) qu'aux radiofréquences (RF). L'épidémiologie, ainsi que l'expérimentation in vivo et in vitro démontrent que l'exposition à certains ELF peut augmenter le risque carcinogène chez l'enfant et provoquer d'autres problèmes de santé chez l'adulte comme chez l'enfant" et incite les gouvernements "à adopter un cadre de recommandations portant sur l'exposition aux CEM du grand public et des professionnels s'inspirant du Principe de Précaution2, ce qu'ont déjà fait certains Etats" ;

Considérant que si la plupart des effets délétères avérés ou pris en compte au titre du principe de précaution (comme les citoyens y ont été invités par un communiqué du ministère de la santé en date du 2 janvier 2008) connus depuis 1998 sont relatifs à l'utilisation intensive de "portables", la question de la pertinence d'une distinction totale à opérer entre les ondes et champs magnétiques générés par les stations de base qui ne semblent pas avoir d'effet thermique et ceux des téléphones mobiles retenus comme plus agressifs, reste posée au regard de la similitude des ondes passant entre les téléphones mobiles et leur relais et au regard de la production par ces stations relais, d'ondes d'extrêmement basse fréquence et de champs ELF, ce que l'Agence Nationale des fréquences (ANFR) ne récuse pas ;

Considérant que les recherches induites par l'opération INTERPHONE lancée à l'échelle internationale sont seulement entamées ;

Qu'un dernier rapport intitulé BIO-INITIATIVE a été déposé le 31 août 2007 par des personnes dont les titres universitaires et les travaux réalisés antérieurement établissent le sérieux et permettent d'écarter la critique faite par la société BOUYGUES TÉLÉCOM résultant d'une absence de mandat émanant d'un organisme national ou international et d'un propos ne distinguant pas les installations électriques de la téléphonie mobile ;

Que ce rapport BIO-INITIATIVE, (à la lecture duquel le Parlement européen s'est dit "interpellé"), . sans apporter de réponse définitive sur ce point, a conclu que les limites d'exposition aux ELF posées notamment par l'ICNIRP sont inadéquates à la protection des personnes et que si les conséquences sanitaires des champs électromagnétiques demeurent mal connues, les connaissances scientifiques actuelles sont suffisantes pour prendre des mesures de gestion de risques ;

Considérant encore que si certaines études émanant de médecins peuvent être critiquées voire écartées en raison d'une absence de rigueur dans la recherche ou le relevé de mesures, l'ensemble des publications, même de celles produites par la société Bouygues TÉLÉCOM au soutien de son appel, font apparaître la nécessité, en raison du caractère fragmentaire des connaissances, de poursuivre les recherches sur l'éventuelle nocivité d'une exposition qui, s'agissant d'ondes émises par les antennes ou stations relais, est continue et imposée ;

Qu'aucun élément ne permet d'écarter péremptoirement l'impact sur la santé publique de l'exposition de personnes à des ondes ou des champs électromagnétiques ELF ;

Considérant enfin, que l'exemple d'autres pays qui ont abandonné la référence aux normes édictées par l'ICNIRP et légiféré en retenant des valeurs se situant entre 0,6 V/m (Autriche, Lichtenstein, Italie, Pologne, Russie, Chine) et 4 V/m pour la Suisse, voire 3 V/m en ; ce qui concerne le Luxembourg ou encore la fixation de périmètre d'exclusion en distance des constructions, n'est pas de nature à faire taire les craintes que peuvent ressentir les personnes vivant à proximité d'une antenne relais, qui certes émet dans les limites réglementairement fixées en France par le décret de 2002, mais au-delà de ce qui est permis dans plusieurs autres pays européens ;

Considérant que, si la réalisation du risque reste hypothétique, il ressort de la lecture des contributions et publications scientifiques produites aux débats et des positions législatives divergentes entre les pays, que l'incertitude sur l'innocuité d'une exposition aux ondes émises par les antennes relais, demeure et qu'elle peut être qualifiée de sérieuse et raisonnable ;

Qu'en espèce, la société BOUYGUES TÉLÉCOM n'a pas mis en œuvre dans le cadre de cette implantation, les mesures spécifiques ou effectives qu'elle est capable techniquement de mettre en œuvre ainsi que l'établit la signature de chartes entre certaines communes et les opérateurs de téléphonie mobile qui fixent des normes d'émission bien en deçà des normes actuellement en vigueur en France ou qui éloignent les antennes mobiles des zones d'habitation ;

Considérant que les intimés, qui ne peuvent se voir garantir une absence de risque sanitaire généré par l'antenne relais implantée sur la parcelle n° 133 située 14 chemin du Gouttet à proximité immédiate de leur domicile familial, justifient être dans une crainte légitime constitutive d'un trouble ;

Que le caractère anormal de ce trouble causé s'infère de ce que le risque étant d'ordre sanitaire, la concrétisation de ce risque emporterait atteinte à la personne des intimés et à celle de leurs enfants ;

Considérant que la cessation du préjudice moral résultant de l'angoisse créée et subie par les intimés du fait de l'installation sur la propriété voisine de cette antenne-relais, impose, en absence d'une quelconque proposition de la société BOUYGUES TÉLÉCOM, d'ordonner son démantèlement ;

Que la décision entreprise doit être confirmée sur ce point, sauf à porter, passé le délai de quatre mois à compter de la signification de la présente décision, l'astreinte prononcée, à la somme de 500 € par jour de retard ;

Considérant que l'installation de l'antenne relais à proximité immédiate de leur, domicile sous le faisceau de laquelle ils se trouvent depuis fin 2005, a créé indiscutablement un sentiment d'angoisse, dont la manifestation s'infère des nombreuses actions qu'ils ont menées ;

Que cette angoisse ayant perduré depuis plus de trois années la réparation du préjudice subi par chacun des couples intimés doit être fixée à la somme de 7 000 € ;

Considérant que les intimés ne sont pas fondés à invoquer à l'appui de leur demande pécuniaire la dépréciation de la valeur de leur bien, dont l'hypothèse même est à exclure dans - la mesure où le démontage de l'antenne, cause de ce préjudice patrimonial seulement éventuel, est ordonné ;

Considérant qu'en l'espèce, la société BOUYGUES TELECOM succombant en ses prétentions doit être condamnée en application de l'article 700 du code de procédure civile à verser à l'ensemble des intimés la somme de 6 000 € ;

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant contradictoirement et en dernier ressort ;

Ordonne la jonction des dossiers répertoriées sous les numéros 08/9058 et 08/ 8775 ;

Confirme le jugement rendu entre les parties, le 18 septembre 2008 par le tribunal de grande instance de Nanterre, sauf en ce qu'il a fixé le montant de la réparation du préjudice moral subi par Monsieur et Madame Eric L, Monsieur et Madame Thierry G et Monsieur et Madame Jean-Marie LA à la somme de 3 000 € (trois mille euros) ; et sur le montant de l'astreinte ;

Statuant sur les dispositions infirmées ;

Condamne la société BOUYGUES TELECOM à verser 7 000 € (sept mille euros) de dommages et intérêts respectivement à Monsieur et Madame Eric L, à Monsieur et Madame Thierry G et à Monsieur et Madame Jean-Marie LA, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral qui leur a été causé ;

Dit que passé le délai de quatre mois à compter de la signification du présent arrêt, l'astreinte assortissant la condamnation à l'enlèvement des installations prononcée par le tribunal de grande instance, est fixée à la somme de 500 € (cinq cents euros) par jour de retard ;

Y ajoutant ;

Condamne la société BOUYGUES TELECOM à verser aux intimés la somme de 6 000 6 (six mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société BOUYGUES TELECOM aux dépens, autorisation étant donnée aux avoués en la cause de les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code procédure civile.

Madame Evelyne LOUYS, Madame Ingrid ANDRICH, conseillers, M. Jean-François FEDOU, président.