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Cour de cassation, 19 février 2014, n° 12-35311 (Donation – Reconnaissance de dette – Présomption d’existence)

Dans cette décision, la demanderesse soutenait que la reconnaissance de dette souscrite par sa défunte mère n’était pas fondée sur une dette existante et constituait une donation déguisée. L’existence de la cause de l’obligation de remboursement, autrement dit de la remise des fonds, étant présumée, pesait alors sur la demanderesse la charge de prouver que la reconnaissance de dette était en réalité causée par l’intention libérale de sa souscriptrice. Or à tort, la cour d’appel l’en avait dispensé, déduisant elle-même de certaines incohérences chronologiques l’inexistence de la cause invoquée et partant, celle de la reconnaissance de dette. Ainsi la Cour confirme-t-elle le renversement de la charge de la preuve qui s’opère, par le jeu de la présomption d’existence de la cause, en présence d’une reconnaissance de dette. La convention est valable quoique la cause n'en  soit pas exprimée car celle-ci étant alors présumée ; il incombe à celui qui invoque son inexistence de renverser cette présomption.  Rappelons la nature simple de cette présomption, laquelle est donc susceptible d’être combattue par la preuve contraire. La difficulté que les juges du fond avaient permis, à l’héritière, d’éviter apparaît alors d’emblée : la charge de prouver un fait négatif, l’absence de cause. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Cour de cassation limite l’objet de la preuve à l’absence de remise des fonds.

 

Cour de cassation
chambre civile 1

Audience publique du mercredi 19 février 2014
N° de pourvoi: 12-35311

M. Charruault (président), président
Me Foussard, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le second moyen, pris en sa seconde branche :

Vu les articles 1315 et 1132 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que X. est décédée le 23 juillet 1997, laissant pour lui succéder sept enfants, M. A., Mme B., Mme C., M. D., Mme E., Mme F. et Mme G. ; qu'elle a laissé un testament comportant le legs d'une exploitation agricole à D. et G. et reconnaissant une créance de salaire différé au profit de G. ainsi que des dettes à l'égard de chacun de ses enfants, à l'exception d'F. ; que Mme F. a assigné ses frères et soeurs en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de leur mère, en sollicitant la désignation d'un expert chargé d'évaluer le legs et de dire si les reconnaissances de dettes souscrites par celle-ci correspondaient à des dettes existantes ;

Attendu que l'arrêt constate, par motifs adoptés, qu'ainsi que X. l'a précisé dans sa reconnaissance de dette, son fils D. vivait avec elle, qu'ils exploitaient donc ensemble la ferme et avaient d'ailleurs un compte courant commun et qu'il est ainsi plus que douteux que les factures aient été payées avec des fonds propres de M. D. à titre de prêt consenti à sa mère ; qu'il relève également, par motifs propres, que M. D. a versé au dossier plus de cent quarante factures à l'appui de sa demande, au nombre desquelles figure un nombre considérable de factures très largement postérieures à la reconnaissance de dette, échelonnées de 1990 à 1998, que l'on ne comprend pas comment en 1990 la défunte aurait pu se reconnaître débitrice de factures intervenues plusieurs années après, qu'aucune de ces factures ne présente de caractère particulièrement prévisible, que la falsification est trop massive et porte sur un montant trop considérable ; que cette dette n'est pas retenue ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la convention n'est pas moins valable quoique la cause n'en soit pas exprimée, de sorte qu'il incombait à Mme F., qui soutenait que la reconnaissance de dette souscrite par sa mère n'était pas fondée sur une dette existante et constituait une donation déguisée, d'apporter la preuve de ses allégations, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition disant que la reconnaissance de dette du 15 septembre 1990 souscrite au bénéfice de M. D. constituait une donation déguisée, l'arrêt rendu le 4 janvier 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Condamne Mme F. aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, signé et prononcé par M. Gridel, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 452 et 1021 du code de procédure civile, en son audience publique du dix-neuf février deux mille quatorze.

 

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour M. D.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a refusé de constater, sur le fondement d'une reconnaissance de dettes en date du 15 septembre 1990, que M. D. était créancier de sa mère pour 300. 000 F, soit 45. 734, 70 € , et considéré par suite qu'il y avait une donation déguisée au profit de M. D. ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « celui-ci M. D. affirme avoir acheté des produits agricoles pour sa mère, ainsi que du ciment pour l'agrandissement d'un hangar et un poste de soudure pour l'entretien des machines, alors que, salarié de la société Z., il n'a jamais été exploitant agricole ; que Mme F. épouse Z... répond qu'en réalité, habitant avec sa mère, il participait à l'exploitation et que l'agrandissement du hangar n'est pas établi ; qu'elle fait remarquer que les factures sont postérieures à la reconnaissance de dette ; que Mme F. épouse Z... fait aussi remarquer que les factures concernent la réparation en 1990 d'un matériel qui n'apparaissait pas sur l'inventaire dressé lors de la séparation des époux en juillet 1980 et en conclut qu'elle ne pouvait pas concerner la défunte ; qu'elle n'explicite pas son raisonnement ; que le même reproche est formulé pour la réparation d'un tracteur, par un radiateur Zetor alors que l'inventaire mentionne un tracteur Mac Cormik ; que d'autres reproches de détail sont formulés ; que M. D. verse au dossier plus de 140 factures pour fonder sa demande ; que cependant, le tribunal a déjà souligné que la moitié des factures est postérieure à la reconnaissance de dette ; que cela n'empêche pas M. D. de verser au dossier déposé devant la cour un nombre considérable de factures très largement postérieures à la reconnaissance de dette, échelonnées de 1990 jusqu'à 1998 (par exemple une facture A... de février 1998) ; qu'un sondage permet d'en repérer très rapidement plus de quarante ; que l'on ne comprend pas comment en 1990 la défunte aurait pu se reconnaître débitrice de factures intervenues plusieurs années après ; qu'aucune de ces factures ne présente un caractère particulièrement prévisible ; que la falsification est trop massive, pour un montant trop considérable ; que c'est l'ensemble de la reconnaissance de dette qui est ainsi vicié ; que cette dette n'est pas retenue » (arrêt, p. 6-7) ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE « M. D. produit une reconnaissance de dette de sa mère d'un montant de 300 000 francs datée du 15 septembre 1990 ; qu'il produit également une grande quantité de factures mais plus de la moitié d'entre elles sont postérieures à la reconnaissance de dette et concernent des acquisitions faites entre fin 1990 et 1997 et, pour deux d'entre elles, sont même postérieures au décès de X. ; qu'il sera aussi relevé qu'ainsi que le précise cette dernière dans sa reconnaissance de dette, son fils D. vivait avec elle ; qu'ils exploitaient donc ensemble la ferme et avaient d'ailleurs un compte courant commun ; qu'il est ainsi plus que douteux que les factures aient été payées avec des fonds propres de M. D. à titre de prêt consenti à sa mère ; » (jugement, p. 5) ;

ALORS QUE, premièrement, la reconnaissance de dettes est présumée causée ; qu'il appartient à celui qui la conteste d'établir l'absence de cause ; que s'agissant de la réparation de matériels, intervenue en 1990, au titre desquels des factures ont été produites, l'arrêt énonce : « Mme F. épouse Z... fait aussi remarquer que les factures concernent la réparation en 1990 d'un matériel qui n'apparaissait pas sur l'inventaire dressé lors de la séparation des époux en juillet 1980 et en conclut qu'elle ne pouvait pas concerner la défunte » pour ajouter : « elle n'explique pas son raisonnement » ; qu'en décidant que la reconnaissance de dettes devait être considérée comme viciée autrement dit dépourvue de cause, alors que leurs propres constatations faisaient apparaître qu'à concurrence de ces réparations, la preuve de l'absence de cause n'avait pas été rapportée, les juges du fond ont violé les articles 1315 et 1132 du code civil ;

ALORS QUE, deuxièmement, s'agissant d'une facture relative à la réparation d'un tracteur, portant sur le radiateur, l'arrêt se borne à énoncer : « le même reproche est formulé pour la réparation d'un tracteur, par un radiateur Zetor alors que l'inventaire mentionne un tracteur Mac Cormick » ; qu'en se contentant de ce motif, sans faire apparaître que la preuve avait été rapportée par la partie qui contestait la cause de la reconnaissance de dettes, pour le montant correspondant à la réparation en cause, les juges du fond ont de nouveau violé les articles 1315 et 1132 du code civil ;

ALORS QUE, troisièmement, les motifs du jugement ne sauraient restituer une base légale à l'arrêt attaqué dès lors qu'ils se bornent à retenir : « il est ainsi plus que douteux que les factures aient été payées avec des fonds propres de M. D. à titre de prêt consenti à sa mère » quand seule une certitude, quant à l'absence de cause, pouvait justifier que la reconnaissance de dettes soit privée d'effet ; qu'à supposer que les motifs du jugement soient incorporés à l'arrêt, ils justifient à leur tour une censure pour violation des articles 1315 et 1132 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a refusé de constater, sur le fondement d'une reconnaissance de dettes en date du 15 septembre 1990, que M. D. était créancier de sa mère pour 300. 000 F, soit 45. 734, 70 € , et considéré par suite qu'il y avait une donation déguisée au profit de M. D. ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « celui-ci M. D. affirme avoir acheté des produits agricoles pour sa mère, ainsi que du ciment pour l'agrandissement d'un hangar et un poste de soudure pour l'entretien des machines, alors que, salarié de la société Z., il n'a jamais été exploitant agricole ; que Mme F. épouse Z... répond qu'en réalité, habitant avec sa mère, il participait à l'exploitation et que l'agrandissement du hangar n'est pas établi ; qu'elle fait remarquer que les factures sont postérieures à la reconnaissance de dette ; que Mme F. épouse Z... fait aussi remarquer que les factures concernent la réparation en 1990 d'un matériel qui n'apparaissait pas sur l'inventaire dressé lors de la séparation des époux en juillet 1980 et en conclut qu'elle ne pouvait pas concerner la défunte ; qu'elle n'explicite pas son raisonnement ; que le même reproche est formulé pour la réparation d'un tracteur, par un radiateur Zetor alors que l'inventaire mentionne un tracteur Mac Cormik ; que d'autres reproches de détail sont formulés ; que M. D. verse au dossier plus de 140 factures pour fonder sa demande ; que cependant, le tribunal a déjà souligné que la moitié des factures est postérieure à la reconnaissance de dette ; que cela n'empêche pas M. D. de verser au dossier déposé devant la cour un nombre considérable de factures très largement postérieures à la reconnaissance de dette, échelonnées de 1990 jusqu'à 1998 (par exemple une facture A... de février 1998) ; qu'un sondage permet d'en repérer très rapidement plus de quarante ; que l'on ne comprend pas comment en 1990 la défunte aurait pu se reconnaître débitrice de factures intervenues plusieurs années après ; qu'aucune de ces factures ne présente un caractère particulièrement prévisible ; que la falsification est trop massive, pour un montant trop considérable ; que c'est l'ensemble de la reconnaissance de dette qui est ainsi vicié ; que cette dette n'est pas retenue » (arrêt, p. 6-7) ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE « M. D. produit une reconnaissance de dette de sa mère d'un montant de 300 000 francs datée du 15 septembre 1990 ; qu'il produit également une grande quantité de factures mais plus de la moitié d'entre elles sont postérieures à la reconnaissance de dette et concernent des acquisitions faites entre fin 1990 et 1997 et, pour deux d'entre elles, sont même postérieures au décès de X. ; qu'il sera aussi relevé qu'ainsi que le précise cette dernière dans sa reconnaissance de dette, son fils D. vivait avec elle ; qu'ils exploitaient donc ensemble la ferme et avaient d'ailleurs un compte courant commun ; qu'il est ainsi plus que douteux que les factures aient été payées avec des fonds propres de M. D. à titre de prêt consenti à sa mère ; » (jugement, p. 5) ;

ALORS QUE, premièrement, tant en première instance qu'en cause d'appel, les juges du fond laissent incertain le point de savoir si la reconnaissance de dettes est causée s'agissant des dépenses correspondantes aux factures autres que celles qui ont été considérées comme postérieures à la reconnaissance de dettes ; qu'en déniant tout effet à la reconnaissance de dettes, dans sa totalité, quand aucun motif ne mettait en évidence, avec certitude, l'absence de cause, s'agissant des factures antérieures à 1990, les juges du fond ont violé les articles 1315 du code civil et 1132 du même code ;

ALORS QUE, deuxièmement, et de la même manière, à supposer même qu'à raison de la date des factures, eu égard à la date de reconnaissance de dettes, il y ait eu falsification et en admettant même que cette falsification soit massive et ait porté sur un montant considérable, de toute façon, la charge de la preuve incombant à la partie qui invoque l'absence de cause, les juges du fond, s'ils pouvaient écarter pour partie la reconnaissance de dettes, devaient la laisser subsister en lui laissant produire effet s'agissant des factures pour lesquelles aucune falsification n'était constatée ; que de ce point de vue également, l'arrêt a été rendu en violation des articles 1315 du code civil et 1132 du même code.